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Le silence en héritage

REPORTAGE

Pourquoi certains souvenirs d’enfance remontent-ils soudain à la surface ? Quelle place faut-il leur accorder ? Anne Berest, romancière chic et mélancolique, se pose la question dans le train qui nous mène à Lons-le-Saunier, au pied du Jura. Gamine, elle observait parfois la surprise des commerçants quand sa mère payait en chèque. « Vous êtes de la famille du peintre ? » demandaient-ils. Et Madame Berest répondait de manière évasive, comme s’il fallait mettre à distance le patronyme accolé au sien à l’état civil et sur les bordereaux. Picabia. Pour Francis Picabia, génie du début du XXe siècle, impressionniste devenu proche des surréalistes. Enfant, Anne Berest s’intéressait à lui en cachette, en lisant les notices biographiques brossées à grands traits dans les dictionnaires. Mais à la maison, pas un mot sur cette illustre ascendance. « C’est bien plus tard, lorsque je suis devenue adulte, que j’ai compris le silence qui l’entourait », me glisse l’écrivaine.

C’est le propre des grands auteurs : plonger dans les secrets de famille pour en tisser une œuvre où les fantômes prennent vie. En 2017, Anne et sa sœur Claire Berest avaient déjà consacré un passionnant ouvrage à leur arrière-grand-mère, Gabriële, première épouse de Picabia. Une artiste sans œuvre, inspiratrice, conseillère, soutien indéfectible de son mari. « Nous avons eu l’intuition que cette femme (Grasset, 2021), sur ses aïeux morts en déportation, quand Claire a raconté son obsession pour Frida Kahlo dans (Stock, 2019). Mais leur arrière-grand-mère a fini par les rattraper. Elles publient ensemble(Éditions Seghers), recueil d’écrits inédits de Francis Picabia à son ex-épouse : on y découvre son processus de création, ses tâtonnements, sa pensée sur la condition humaine ou la marchandisation du monde de l’art. Preuve, s’il en fallait une, que le peintre savait aussi se faire écrivain, poète dada avant l’heure, se livrant à un « onanisme épistolaire », capable d’envoyer des missives enflammées à Gabriële, longtemps après leur séparation. « J’avais beaucoup de choses à te dire, mais j’ai tout oublié. » Ces mots, me dit Anne Berest, dormaient au fin fond du Jura, dans cette maison qui était « le port d’attache » de Gabriële, « un lieu d’enfance, thaumaturgique ».

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