Soudain, elle rejoint son mari assis dans un canapé rouge. Elle se met à califourchon sur lui, exécute de son bassin un lent mouvement de va-et-vient. Il glisse les mains sur ses fesses, lui caresse le dos, l’embrasse dans le cou. À ce stade de l’intrigue, ils ont l’air de s’aimer, unis et désunis par leurs efforts désespérés pour avoir un enfant. Plus tard, dans une autre scène, c’est elle qui l’attend, couchée dans le lit conjugal. « Tu dors ? demande-t-il. – Non, je ne dors pas. »
Il s’approche, fait glisser la couverture pour la découvrir, et s’allonge sur elle.
Penché sur son ordinateur, Philippe Carbonneaux n’en finit pas de visionner ces vidéos qu’il a enregistrées lors des répétitions et des représentations de L’Inondation, il y a trois ans. Carbonneaux est l’assistant du metteur en scène Joël Pommerat et il cherche toujours à comprendre comment ces deux scènes, de quatre-vingts et quinze secondes dans un opéra qui dure deux heures, ont pu bouleverser l’existence des deux personnes qui l’ont joué, détruire l’avenir professionnel de l’une d’elles, sonner l’alerte sur les violences sexuelles dans le monde lyrique, et mobiliser jusqu’au gouvernement. Au lendemain d’une représentation de janvier 2020, la soprano Chloé Briot s’est plainte du baryton, Boris Grappe, l’accusant de l’avoir harcelée et agressée sexuellement. Pas dans les coulisses, jamais dans la vraie vie. Non, uniquement sur le plateau, lors de ces deux scènes d’amour. Lui s’est défendu de toutes ses forces : comment peut-on agresser sexuellement un partenaire sous les yeux de la troupe et d’un public attentif ? « Tout ici est simulé, tout est pour de faux, les chanteurs sont habillés, c’est du théâtre », répète Carbonneaux, effaré.
Il n’empêche : le spectacle, lancé avec succès en septembre 2019, revient à l’affiche de l’Opéra-Comique, à Paris, du 27 février au 5 mars, avec les mêmes artistes lyriques, à l’exception de l’un des deux principaux personnages. On l’aura compris : le baryton, qui incarnait « L’Homme » avec maestria, a été rayé de la distribution.
Reprenons l’affaire au commencement. La première fois que Chloé Briot se plaint du comportement de son partenaire, personne ne met en doute à haute voix ses propos. C’est l’époque. Boris Grappe, lui, est assommé. Cela fait des mois qu’il prépare et joue avec Chloé BriotUn opéra composé par Francesco Filidei et que Joël Pommerat a