Ce retour sur les côtes algériennes, Patrick Bruel, l’enfant « berbère, parti de rien, parti d’une guerre », l’a d’abord imaginé en chanson. En juin 2022, dans Je reviens, il écrit ce couplet : « L’avion va bientôt atterrir/Tu caches tes larmes dans un sourire/J’avais quel âge ?/Trois ans à peine/Et nous voilà/Tous les deux à Tlemcen. » En ce début février 2023, tout juste avant que l’avion ne se pose à Alger, l’homme, né le 14 mai 1959 dans la vieille ville à l’architecture mauresque de Tlemcen, nous en détaille la genèse : « J’ai fait comme quand j’étais gamin lorsqu’une chose me travaillait : je l’ai couchée sur le papier pour la rendre réelle. »
Patrick Bruel a beau prétendre avoir écrit cette chanson pour clôturer son dixième album, paru à l’automne sous le titre Encore une fois, on est en droit de ne pas le croire : en réalité, cette chanson, il l’écrit depuis toujours. Depuis ce jour de juin 1962 où, deux semaines avant la proclamation de l’indépendance, l’enfant, arrimé à sa mère, a suivi le chemin de 150 000 autres Juifs d’Algérie et 500 000 pieds-noirs. Il a pris un train à Tlemcen, puis un taxi à Oran en direction de l’aéroport Es Senia. Vingt-cinq kilos de bagages seulement, pas le temps ni la place pour son vélo, ses jouets ou les photos, car les nationalistes s’étaient montrés très clairs à l’égard des Français : c’était « la valise ou le cercueil ». « Dans l’urgence, on n’a pas le temps de s’attarder sur ses sentiments ou même d’avoir des états nous dit aujourd’hui sa mère, la douce et résistante Augusta.