Guerres & Histoires

POUTINE A DU MAL À MOBILISER ? CE PHÉNOMÈNE N’EST PAS RÉCENT

a guerre de Sécession, ou guerre civile américaine, débute le 12 avril 1861 avec le bombardement de Fort Sumter, à Charleston en Caroline du Sud, par les « rebelles » sudistes, futurs Confédérés. La première bataille importante du conflit, dite de Bull Run ou de Manassas, a lieu le 21 juillet suivant. Ce n’est pourtant qu’en avril 1862, un an après le commencement du conflit, que le Congrès confédéré vote une loi de conscription, qui comporte au demeurant de multiples possibilités d’exemption. Et systématise l’obligation de servir à la requête du gouvernement fédéral. Tout au long de la guerre, les deux camps ne vont ainsi accroître qu’à reculons l’ampleur de leur mobilisation humaine, et chercher toutes les alternatives possibles au service militaire obligatoire – des Blancs. L’émancipation des esclaves noirs dans l’Union en fait en effet des cibles toutes désignées des recruteurs – et le Sud aura carrément recours à la mobilisation d’esclaves sans les émanciper au préalable, dans les derniers mois de la guerre. On fait aussi au maximum appel à la levée de régiments de « volontaires » à base d’immigrés récents, irlandais par exemple, en leur faisant notamment miroiter l’accès à la nationalité américaine. Même lorsque la conscription est effective, les textes votés comme les pratiques laissent une large marge aux stratégies personnelles d’évitement : une étude de 1981* a ainsi mesuré que, sur 776 829 hommes mobilisés dans l’armée de l’Union par les quatre vagues de conscription s’étalant entre la bataille de Gettysburg, en juillet 1863, et la fin de la guerre, en avril 1865, seuls 46 347 ont été effectivement incorporés ! Le reste a eu recours à des substituts payés ou est parvenu à trouver un « volontaire » pour le remplacer. Tout ceci complique singulièrement la capacité des deux camps à entretenir leurs forces déployées, d’autant que la multiplicité des formes d’engagement pose des problèmes récurrents, comme la fin de contrat des premiers volontaires – engagés pour une durée fixe et non pour toute la durée de la guerre – bien avant le terme du conflit. Ces problèmes ont évidemment été amplifiés par l’impréparation à la guerre des États-Unis de l’époque. Il faut cependant souligner qu’ils se sont posés sous des formes proches à tous les États ayant tenté, avant le XX siècle, de mobiliser tout ou partie de leur population. De la guerre du Péloponnèse aux guerres mondiales, en passant par la Rome antique, la France de Louis XIV comme celle de la Révolution et de l’Empire, pour ne citer que quelques exemples, mobiliser s’est avéré une décision non seulement politiquement délicate – car génératrice de réticences, voire carrément de résistance pouvant être armée, dans la population – mais aussi difficile à mettre en oeuvre. On tend aujourd’hui à oublier que les mobilisations « générales » de 1914 et celles de 1939 n’ont été possibles que parce que les États européens, France et Allemagne en particulier, avaient mis en place depuis près d’un demi-siècle non seulement des systèmes de service militaire obligatoire en temps de paix et des réserves par tranche d’âge, mais aussi une administration de la mobilisation qui représentait une part non négligeable du travail des états-majors en amont d’une guerre. Il n’est donc pas surprenant que la décision, annoncée par Vladimir Poutine le 21 septembre dernier, d’une mobilisation « partielle » en Russie pour accroître les forces engagées dans la guerre en Ukraine commencée en février, ressemble étroitement aux situations historiques évoquées ici : annonce faite plusieurs mois après le début des combats, et sous la pression des événements, réticence à la mobilisation chez les concernés, relative désorganisation dans l’incorporation des premières vagues de mobilisés, questionnements sur l’efficacité des unités levées ou reconstituées par ce moyen, etc. La raison en est simple : alors que l’armée soviétique était fondamentalement une immense structure de mobilisation, l’actuelle armée russe a largement abandonné ce modèle – paradoxalement, c’est l’Ukraine qui semble avoir mieux préservé cet « héritage » soviétique. Pour les pays occidentaux, et notamment la France, l’exemple doit être médité : réapprendre la mobilisation prend du temps. Il serait sans doute moins coûteux d’y consacrer quelques efforts dès le temps de paix, à condition bien sûr d’être en mesure d’admettre politiquement cette perspective – une proposition difficile quand on voit la réticence avec laquelle même le pouvoir russe aborde cette question.

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