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BEAUTÉS INTÉRIEURES

xiste-t-il des confinements volontaires ? Ce fut sûrement le cas pour Yves Saint Laurent, créateur hypersensible (c’est Catherine Deneuve qui le dit) aux « nerfs fragiles », comme aurait pu l’écrire Proust, à qui le couturier dédira sa propriété de Deauville en baptisant chaque chambre du nom d’un personnage d’ Échapper à la médiocrité du monde aura constitué l’essentiel de sa vie, que ce soit à travers la couture, les voyages, les collections d’art, la littérature. Et ses intérieurs aussi : de Paris au Maroc via la Normandie, chacune de ses adresses fut imaginée à la croisée de la bulle esthétique et de l’antidote à la laideur. Pas d’eau tiède pour Saint Laurent, qui confia un jour à Jacques Grange, son complice devant l’éternel : « Je veux me sentir comme si j’étais en Bavière, dans la maison de Louis II. » On redécouvre au fil des pages des univers à la Visconti : l’exubérance XIXdu château Gabriel, à Deauville, et son jardin confié au paysagiste Louis Benech, où se cache la datcha sortie tout droit d’un conte russe ; les couleurs enivrantes de la villa Oasis, à Marrakech, jouxtant le paradisiaque jardin Majorelle ; le 5, avenue Marceau, à Paris, siège de la maison de couture et enfin l’appartement de la rue de Babylone, saint des saints de 600 m2 au luxe quasi sépulcral, où les toiles de Géricault, Warhol et Léger voisinaient avec une tapisserie d’Edward Burne-Jones, un torse romain, des œuvres d’art premier... Récemment aperçu dans une agence immobilière au prix de plus de 23 millions d’euros, le duplex vide semble avoir perdu de son âme, son mystère, et cette aura singulière créée ici et là par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. En 2009, la dispersion de la collection des deux hommes organisée au Grand Palais, qualifiée de « vente du siècle », totalisa plus de 370 millions d’euros. C’est dire si les moyens financiers allèrent de pair avec un goût exquis et un sens de la mise en scène rarement égalé. D’où l’importance des clichés de Marianne Haas, sortes de peintures qui remettent chaque meuble et chaque objet dans le contexte qui était le sien. Car même pour échapper au monde, il n’y a pas de hasard : au détour des pages, la photographe se souvient du caractère obsessionnel de Monsieur Saint Laurent, chez qui elle passa trois mois à réaliser ces images. « C’était toujours compliqué de bouger un objet, fut-ce d’un centimètre : il voyait immédiatement toutes les erreurs, et cela le rendait fou. » L’homme veillait en effet sur ses tanières comme sur des êtres adorés. Comme le reconnaîtra un jour Pierre Bergé : « On sait que les maisons ont besoin d’être aimées. Les nôtres le furent – plus que nécessaire. » En cas de doute, ce beau livre suffit à le prouver.

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