La pluie tombe dru entre Meuse et Argonne en cet automne 1918, et les soldats du Corps expéditionnaire américain grognent en piétinant dans la boue. À peine deux jours après le début de leur offensive, ils manquent déjà de munitions et les relèves se font à pied sur des dizaines de kilomètres. C’est d’autant plus rageant qu’ils sont entourés de camions par centaines – en panne! L’état-major comptait sur eux pour suppléer le manque de chevaux. Mais ils ont été incapables de négocier les ornières creusées sur les routes détrempées, ou sont tombés dans les fossés, victimes de conducteurs maladroits. Tous sont en attente de pièces détachées que l’armée n’a pas. Malgré la mobilisation de 274000 camions, les Américains n’en ont jamais plus de 30000 opérationnels en même temps. La leçon sera-t-elle apprise? Pas par les Allemands en tout cas, qui se retrouvent dans la même situation en Russie à l’automne 1941. L’opération Barbarossa est certes motorisée par un barnum conséquent de 500000 véhicules, mais disparates, sans capacités tout-terrain, sans pièces de rechange et aux performances médiocres: il s’agit souvent de simples véhicules civils tout juste repeints. L’usure fait des ravages. La Wehrmacht casse 73 % de ses camions en cinq mois, 90 % en sept. La Grande Armée d’Hitler n’est plus alimentée que par ses chevaux, comme celle de Napoléon jadis.
Une tradition américaine
Faut-il en conclure que le camion est trop fragile, trop dépendant du réseau routier, inapte à supplanter le cheval? Français, Allemands et Russes, qui mobilisent des armées de masse, ne l’imaginent qu’en complément de leurs équidés. Mais les Britanniques et les Américains choisissent d’y placer leur confiance dès les années vingt. Le camion est, à leurs yeux, déjà indispensable pour tracter l’artillerie lourde, il accélère le tempo et le cheval ne
