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KALEVI AHO

NÉ EN 1949

Concerto pour cor anglais et harpe. Concerto pour violon, violoncelle et piano.

Dimitri Mestdag (cor anglais), Wouter Vossen (violon), Marc Vossen (violoncelle), Anneleen Lenaerts (harpe), Bart Van de Roer (piano), Antwerp Symphony Orchestra, Olari Elts.

Bis (SACD). Ø 2019. TT: 59’.

TECHNIQUE: 4/5

TECHNIQUE SACD: 4/5

Après un frémissement initial quasi imperceptible, le Double Concerto (2014) pour cor anglais et harpe laisse deviner l’une de ses filiations: on réunit difficilement une note grave de harpe puis une attaque de cor anglais sans convoquer l’esprit de Mahler. Cette orchestration certes conventionnelle mais toujours très efficace, appliquée à une écriture centrée sur des thèmes et développements, rappelle souvent la rhétorique musicale de Chostakovitch. Après une jolie cadence debussyste qui permet de zoomer sur le jeu limpide d’Anneleen Lenaerts, un Allegro un tantinet académique, conjuguant la vigueur rythmique de Bartok à des sinuosités orientalisantes. Le finale se recentre sur la plastique mélodique du cor anglais de Dimitri Mestdag, rehaussé d’une rare incursion d’Aho dans le domaine des sons multiphoniques.

Comme son ancêtre beethovénien, le Triple Concerto (2018), pour violon, violoncelle, piano et orchestre de chambre, mêle ambiances chambriste et orchestrale. Avoir confié les parties solistes au Trio Storioni est une très bonne idée, car entre les trois musiciens néerlandais, la cohésion est sans faille. L’inévitable motorique inspirée de Bartok refait surface avant que l’entame paisible du troisième mouvement (Tranquillo, misterioso) mette de nouveau en valeur le trio, parenthèse vite refermée par un retour à un pathos digne du Chostakovitch le plus sombre. Son exécution irréprochable n’efface pas le sentiment d’une musique fermée sur ellemême.

Pierre Rigaudière

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

L’Art de la fugue BWV 1080. Petit Livre d’Anna Magdalena Bach (extraits). Partita BWV 1004 (Chaconne, transcr. Brahms). Cantate BWV 147 (choral, transcr. Hess). Et oeuvres de W.F., J.C.F., C.P.E. et J.Ch. Bach.

Daniil Trifonov (piano).

DG (2 CD). Ø 2020-2021.

TT: 2 h 17’.

TECHNIQUE: 4/5

Titrée « The Art of Life », la pochette envahie par une frondaison photographique ne peut qu’évoquer le controversé Tree of Life de Terence Malick. Derrière, l’auditeur découvre deux contenus distincts. Le premier, consacré aux fils de Bach et à une douzaine d’extraits du Petit Livre d’Anna Magdalena, a été enregistré en décembre 2020 dans le Massachusets; le second, mis en boîte à Berlin début 2021, comprend L’Art de la fugue, la chaconne transcrite par Brahms pour main gauche seule et Jésus que ma joie demeure, substitué à Vor deinen Tron comme conclusion de l’Opus ultimum.

Daniil Trifonov aborde la première partie en postromantique, sursollicitant la Sonate no 5 de Johann Christian, oubliant la danse dans les menuets et polonaises d’Anna Magdalena, soupirant ou cognant à plaisir. Néanmoins, l’émotion que dégage la Polonaise no 8 de Wilhelm Friedemann nous rappelle la Sonate en si mineur de Scarlatti telle que la ciselait Horowitz, et les Variations sur Ah vous dirai-je maman de Johann Christoph Friedrich semblent, sous ces doigts-là, du très grand piano.

Les mêmes moyens superlatifs se retrouvent dans L’Art de la fugue d’une main légère et vive – à l’exception d’un grossier Contrepoint VI. Les octaviations de basses n’alourdissent pas une gamme infiniment délicate de nuances et d’articulations. L’ostensible intériorité peut rappeler un Filippo Gorini (cf. no 706) mais dépouillé de ses vapeurs mystiques. Dépouillé aussi, malheureusement, de la complexité contrapuntique: pouvoir ainsi faire surgir un sujet ou le thème principal des tréfonds de la polyphonie, et le faire ainsi sans rupture de fluidité, est admirable pianistiquement et infiniment séduisant pour l’oreille; mais le faire aussi systématiquement réduit la fugue à une succession de mélodies accompagnées.

Paul de Louit

« Bach on the Rauwolf Lute ». Prélude BWV 999.

Sonate pour violon BWV 1001 (arr.). Sonate pour violon BWV 1005 (extr., arr.).

Suite pour violoncelle BWV 1007 (arr.). Suite BWV 1006a.

Partita pour violon BWV 1004 (Chaconne, arr.).

Jakob Lindberg (luth baroque).

Bis (SACD). Ø 2020. TT: 1 h 27’.

TECHNIQUE: 4/5

TECHNIQUE SACD: 4,5/5

Jakob Lindberg poursuit son exploration du répertoire germanique sur son Sixtus Rauwolf, probablement l’un des plus anciens luths baroques en état de jeu. Conçu vers 1590, transformé en luth à onze choeurs en 1715, le vénérable instrument donne l’impression d’une parfaite adéquation avec le répertoire composé au tout début du XVIIIe siècle.

Bach, on le sait, a peu écrit pour le luth et surtout transcrit pour lui certaines de ses oeuvres pour clavecin, violon, violoncelle, lesquelles ont été souvent enregistrées; à la BWV 1006a (élaborée par le compositeur d’après la Partita pour violon no 3), Lindberg ajoute, comme bien d’autres avant lui, ses propres transcriptions dont la rigueur, l’éloquence et l’idiomatisme méritent les plus vifs éloges. Sa science de l’instrument lui permet de frapper dans le mille: la clarté du discours le dispute à l’incarnation, que la profondeur du son densifie véritablement. Quelle lisibilité dans la Fugue de la BWV 1005, notamment dans le médium et le grave, quelle agilité dans les préludes, et quel souffle dans les cascades de la fameuse Chaconne BWV 1004 comme dans la superbe Fugue BWV 1001! Le plus fort? Lindberg décoche les traits les plus virtuoses (dans un suraigu parfois tendu, pourtant) avec un calme et une énergie qui nous bluffent; tout coule avec humilité mais puissance, en faisant la part belle à des moments d’intense intériorité. A cet ensemble plutôt sage, aux tempos volontiers modérés (c’est manifeste dans la BWV 1006a), manque toutefois un rien d’engagement pour nous faire totalement chavirer.

Wissâm Feuillet

Passion selon saint Jean BWV 245.

Nick Pritchard (Evangéliste), William Thomas (Jésus), Alex Ashworth (baryton-basse), Julia Doyle (soprano), Alexander Chance (contre-ténor), Peter Davoren (ténor), Monteverdi Choir, English Baroque Soloists, John Eliot Gardiner.

DG (2 CD + 1 Blu-Ray).

Ø 2021. TT: 1 h 56’.

TECHNIQUE: 5/5

Troisième Passion selon saint Jean pour John Eliot Gardiner qui revient dans le giron de Deutsche Grammophon, chez qui la première avait été publiée en 1986. Enregistrée lors d’un concert sans public le vendredi saint 2021, cette nouvelle lecture agrippe dès le choeur d’entrée, maelström porté par une pulsation implacable, où laissent pantois la maîtrise et l’engagement du Monteverdi Choir. Ce dernier est le héros d’une production où chacune de ses interventions, foule déchaînée (« Wäre dieser », « Wir dürfen »), assemblée recueillie, aimante (« Wer hat dich so geschlagen »), saisit par son éloquence.

Peter Davoren habite « Ach mein Sinn » avec intensité, pare « Erwäge » de couleurs changeantes, accordées à celles des violes d’amour, tandis qu’Alex Ashworth tient « Eilt » avec fermeté. William Thomas campe un Jésus solennel, déjà hors du monde, moins complexe peut-être que celui de Johannes Weisser (avec Jacobs, HM). L’Evangéliste de Nick Pritchard, sans avoir l’aura de Kurt Equiluz (avec Harnoncourt I) ni l’autorité de Werner Güra (chez Jacobs), fait vivre sa partie avec élan, conviction et probité. Un peu fade dans « Ich folge dir », Julia Doyle livre un « Zerfliesse » tout en transparence; seul Alexander Chance peine à enthousiasmer: le timbre sans charme dans « Von den Stricken » se montre néanmoins plus touchant dans la déploration de « Es ist vollbracht ».

Restent des English Baroque Soloists d’une grande sûreté technique, réactifs, sans raideur, et un chef qui, fin connaisseur de l’oeuvre de Bach, en exalte comme bien peu le souffle dramatique, sans oblitérer la force de son message spirituel, son pouvoir de consolation. Plus aboutie que la mouture gravée par le même Gardiner pour SDG, plus fervente que celle réalisée pour Archiv il y a trente-cinq ans, cette réalisation, sans détrôner Brüggen (Philips, 1993) ou Harnoncourt II (Teldec, 1995), vaut pour son incandescence.

Jean-Christophe Pucek

Passion selon saint Matthieu BWV 244.

Julian Prégardien (Evangéliste), Stéphane Degout (Jésus), Sabine Devieilhe, Hana Blazikova (sopranos), Lucile Richardot (alto), Tim Mead (contre-ténor), Reinoud Van Mechelen, Emiliano Gonzalez Toro (ténors), Christian Immler (basse), Maîtrise de Radio France, Pygmalion, Raphaël Pichon.

HM (3 CD). Ø 2021. TT: 2 h 42’.

TECHNIQUE: 4,5/5

Au commencement, un « Kommt, ihr Töchter » idéal de pulsation, de propor tions. D’une lisibilité telle qu’on oublie son effectif généreux, le choeur est soutenu par un orchestre souple et attentif, l’un et l’autre montrant partout une énergie, une malléabilité, une délicatesse admirables. Sans doute peut-on imaginer des « Lass ihn kreuzigen! » d’une virulence encore plus torve, mais la fulgurance de « Sind Blitze », de « Der du den Tempel » laisse pantois. Tout ici est tendu par une vision dramatique qui ne s’essouffle jamais.

Le plateau de solistes ne manque pas non plus d’atouts. S’imposent en premier lieu l’Evangéliste d’exception, au verbe ardent, de Julian Prégardien, et le Jésus entre lucidité et fragilité intériorisées – bouleversantes – de Stéphane Degout, qui ne le cèdent en rien à leurs prestigieux aînés (Prégardien père et Van Egmond chez Leonhardt, Equiluz chez Harnoncourt I, Goerne chez Harnoncourt III) et nous offrent un Mont des Oliviers d’anthologie. On notera aussi la belle présence dramatique de Reinoud Van Mechelen (« Ich will bei meinem Jesu wachen », « Geduld »).

La réussite est moins égale côté dames. Lucile Richardot, après un « Buss und Reu » à l’émission un rien pincée, s’acquitte sans faillir de son « Erbame dich », mais ne dispense ni la même émotion que Fink (avec Jacobs, HM), ni la luminosité amère de Scholl (chez Herreweghe II, HM). Malgré un timbre épanoui, une ligne ductile, Sabine Devieilhe reste, comme dans son récent disque chez Erato (cf. no 705), étrangère à l’univers de Bach: « Blute nur » coule indifférent, « Aus Liebe » se cantonne à un exercice de style – superbe, certes. Malgré d’indéniables séductions plastiques, la lecture de Raphaël Pichon ne bouscule guère une discographie où brillent toujours Harnoncourt III (Teldec), Leonhardt (DHM) et Gardiner II (SDG). Vouloir et montrer ne suffisent pas: on souhaiterait que s’impose au premier plan la force de la musique et de la parole sacrée.

Jean-Christophe Pucek

SAMUEL BARBER

1910-1981

Quatuor à cordes op. 11. IVES: Les deux quatuors à cordes. Scherzo « Holding Your Own ».

Quatuor Escher.

Bis. Ø 2019. TT: 1 h 14’.

TECHNIQUE: 2/5

Avec un son plus contemporain que celui des Emerson, moins engagés dans le même programme américain (DG), les Escher prennent l’avantage. Le Quatuor en si mineur de Samuel Barber, composé en 1936, fut créé à Rome par les Pro Arte. Son lyrisme discrètement moderniste trouva son public mais Barber, insatisfait du finale, le réécrivit pour la création américaine avant de l’écarter de la version publiée (1943) au bénéfice d’une brève conclusion empruntée au premier mouvement. Profondément élégiaque, l’Adagio allait s’imposer grâce au succès de son arrangement pour orchestre à cordes, popularisé par Toscanini. L’oeuvre entière conserve aujourd’hui tout son attrait et bénéficie d’une interprétation de grande qualité. Les Escher ont l’excellente idée de proposer en appendice le finale d’origine, longtemps passé à la trappe (il ne fut enregistré pour la première fois qu’en 2013). Vif, primesautier, énergique, il aurait très bien pu être signé Menotti, dont Barber partageait l’existence.

Les deux quatuors de Charles Ives sont un cran en dessous, bien qu’interprétés avec autant de conviction, de précision et de beauté. Le premier (1896) est écrit par un étudiant de vingt et un ans à Yale sur des hymnes religieux; plus élaboré, le second (1911-1913), se veut une conversation « entre quatre hommes [qui] discutent, parlent (politique), se battent, se serrent la main, se taisent, puis marchent vers les montagnes pour regarder le firmament ». Comme dans un scherzo miniature de 1903-1904 joué en complément, Ives télescope des chants américains auxquels se mêlent cette fois Tchaïkovski, Beethoven et Brahms, dans un fouillis un peu moins séduisant que dans les pages symphoniques du plus célèbre des musiciens-assureurs.

Michel Stockhem

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Sonates pour piano nos 29 « Hammerklavier » et 32. Angela Hewitt (piano).

Hyperion. Ø 2020. TT: 1 h 17’.

TECHNIQUE: 4/5

Angela Hewitt arrive au terme d’une intégrale des sonates de Beethoven entamée voici seize ans sur son cher piano Fazioli. Extrême clarté des lignes, grâce agile mais doigts d’acier, pédale discrète, main gauche puissante et subtilement contrôlée, transparence de la texture: le jeu sensible de la pianiste canadienne déroule un discours souvent personnel dont les accents dramatiques tirent l’oreille. Dans la « Hammerklavier » Angela Hewitt privilégie une approche centrée sur la densité, l’immédiateté de l’instant, au détrimment de la continuité dramatique. Il en résulte un premier mouvement et un finale captivants mais erratiques, où rapports et proportions, malgré cet apparent désordre, restent justes. L’Adagio offre une parfaite réussite, grâce à une concentration intense, une méditation hors du temps qui semblent exclure tout élan émotionnel trop facile.

L’interprétation creusée de la Sonate op. 111 est de bout en bout remarquable. Plus lucide que fervente, diront certains, mais la pianiste, grande interprète de Bach, montre une rare intelligence de la dialectique des contraires que Beethoven met en oeuvre. Nul répit, nulle éclaircie dès la gigantesque cadence introduisant l’Allegro con brio, dont on retiendra la monolithique rudesse, toute entière dominée par une solide et pugnace mise en valeur du thème principal (à peine peut-on deviner second thème, développement, reprise, etc.). Dans les métamorphoses si complexes et profondes des variations de l’Adagio, la rigoureuse simplicité et la logique structurelle du jeu interrogatif de Hewitt s’allient, éclairant soudain avec davantage de clarté une écriture somptueusement contrapuntique et une polyphonie enchanteresse. Au point qu’elles feraient presque oublier le thème de l’Arietta si elles n’en étaient pas la pure émanation.

Patrick Szersnovicz

RÉFÉRENCES: Guilels (DG), Solomon (notre Discothèque idéale) pour la no 29; Arrau (Philips), Serkin (DG), Benedetti Michelangeli (notre Discothèque idéale), Kovacevich (Warner) pour la no 32.

« Beethoven for Three ». Symphonies nos 2 (arr. Ries) et 5 (arr. Matthews).

Leonidas Kavakos (violon), Yo-Yo Ma (violoncelle), Emanuel Ax (piano).

Sony. Ø 2021. TT: 1 h 09’.

TECHNIQUE: 3,5/5

« Beethoven, le plu s gr and maître de l’orchestre, est rarement admiré pour sa technique d’instrumentation; ses symphonies sont de la trop bonne musique dans tous les sens du terme, et l’orchestration y est trop intimement intégrée… et cependant, quelle incomparable pensée instrumentale cela peut être! siècle, une grande part du public ne pouvait les entendre qu’à travers divers arrangements pour piano solo ou à quatre mains, trio avec piano, quatuor à cordes, etc. Goethe lui-même découvrit – et admira – la en mineur sous cette forme.

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