Diapason

MOLIÈRE Un théâtre en musique

Vendredi 10 février 1673, théâtre du Palais-Royal à Paris. Acte I, scène 8. Angélique, fille du malade imaginaire, prie la servante Toinette d’informer l’amoureux Cléante qu’on prétend la marier à un affreux médecin. « Je n’ai personne à employer à cet office, répond Toinette, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant. » L’acte doit donc finir sur la sérénade du vieil amant, lequel entre avec son luth. Mais qui arrive? « Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix? » Des violons! Polichinelle s’irrite: « Paix là, taisez-vous, violons! » Depuis que Dieu ou diable a inventé la galanterie, une sérénade c’est un homme et un luth. Qu’ont à faire là des violons? Ils insistent. « Taisezvous vous dis-je. » Le crincrin redouble. « Peste des violons! La sotte musique que voilà! La la la la la la. »

Changeons de méthode. « Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir… Voilà le moyen de les faire taire. La musique est accoutumée à ne point faire ce qu’on veut. » Les Violons passent mais la musique reste. Alertée par ce tapage, survient la police. En chantant! « Qui va là, qui va là? », sol la si, si sol ré? L’amoureux in petto: « Est-ce que c’est la mode de parler en musique? » Oui, monsieur, c’est la mode. La dernière mode. On peut même lyncher en musique. La bastonnade par où l’acte prend fin s’abat en sol majeur. La garde (chantant): « Allons, préparez-vous, / Et comptez bien les coups. » Polichinelle (parlant): « un, deux, trois, quatre, cinq, six », tandis que « les archers danseurs lui donnent des coups de bâton en cadence. »

Fin de partie

Ainsi Le Malade imaginaire offre-t-il à la figure la plus disgraciée de la commedia dell’arte le rôle d’un vieux théâtre vaincu par la jeune musique, deux fois plutôt qu’une, d’abord les violons, ensuite les chanteurs. Polichinelle ne chante pas, ne commence même pas sa sérénade. Il subit le concert. Peut-être Molière ne veut-il qu’amuser le public. Peut-être son nouveau musicien, Marc-Antoine Charpentier, lui a-t-il promis de surpasser le chef-d’œuvre de Lully dans ce genre « parole contre musique »–valets chanteurs réveillant le valet parleur dans La Princesse d’Elide.

Peut-être. Difficile pourtant de ne pas apercevoir sous un malade bien malade une semaine avant sa mort. Difficile de ne pas lire entre les lignes de Polichinelle ces derniers mots rapportés ou imaginés par le biographe Grimarest: « Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je me suis cru heureux; mais aujourd’hui que je suis acablé de peines sans pouvoir compter sur aucuns momens de satisfaction et de douceur, je vois bien qu’il me faut quitter la partie. » Pas la vie: la partie. La partie qu’il vient de perdre

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Diapason

Diapason8 min de lectureMusic
19 Rendez-vous à Ne Pas Manquer
Les 3, 4 et 5 mai, dans toute la France. Comme chaque année depuis 2007, une trentaine de maisons lyriques françaises ouvrent leurs portes et leurs coulisses lors de l’opération « Tous à l’Opéra ! » Pendant trois jours, les visiteurs peuvent assister
Diapason3 min de lecture
La Californie
Ernest Fleischmann (1924-2010). L’anniversaire fera peu de bruit, alors chantons. Né à Francfort, chef d’orchestre à neuf ans, le petit Ernest fuit l’Allemagne avec sa famille en 1936. Impresario entre Le Cap et Londres, le voici en 1969 executive di
Diapason2 min de lecture
Pianomania
▸ Mesuré, jusqu’à parfois un certain manque de poids sonore, Herbert Schuch a des idées à revendre dans le Concerto no 1 de Beethoven, en compagnie de l’Orchestre de la WDR dirigé par Tung-Chieh Chuang – le Rondo final est plein d’esprit. En bonus, l

Livres et livres audio associés