POLICE LA SÉRIE NOIRE
Une vague inédite de suicides endeuille les forces de l’ordre. Enquête sur les raisons d’un malaise profond
Ses proches décrivent un fils, un père et un frère aimant et attentif. Fier d’être CRS, il avait toujours voulu protéger et défendre, mais la réalité l’avait déçu, puis brisé. Victime de deux agressions, Yannick n’avait jamais oublié son face-à-face violent avec les migrants à Calais. Et souffrait du traitement médiatique réservé à la police, qui, selon lui, en ternissait l’image.
Ces héros, amoureux de leur métier, ne voulaient pas laisser entrevoir leur désespoir
À la sœur de Yannick, qui cherchait des explications, le commandant aurait répondu sèchement : « Je sais ce que c’est que d’avoir les pieds dans le sang ! »
Dix policiers se sont suicidés depuis le 1 janvier. Un chiffre vertigineux mais qui ne dit rien des failles profondes et des plaies invisibles de Yannick, 34 ans, CRS retrouvé pendu le 7 janvier, de Pierre-Yves, 30 ans, affecté à la brigade financière, qui s’est donné la mort chez lui le 15 janvier avec son arme de service, ou de janvier, après une descente aux enfers de quatre ans, Yannick publie sur Facebook une centaine de photos de lui. Sa vie en images. On voit ses traits se durcir, une barbe drue apparaître, son sourire se tordre en rictus. Pour seul commentaire, il laisse cette phrase enjouée : « Que de souvenirs avec vous ! » Il a, à cette date, déjà décidé d’en finir et écrit une lettre d’adieu de huit pages, sans pathos, sans larmes. Presque une lettre de départ en voyage : « Il me tarde d’être ce fantôme pour mes proches, mes amis, les gens que j’aime, un fantôme gentil, bienveillant et protecteur. Il ne faut pas avoir peur, c’est moi ! » Yannick attend le retour de vacances de sa mère, Claudine, pour passer à l’acte. Le 7 janvier, il gare sa voiture devant la maison de celle-ci, dépose ses clés, sa lettre, son téléphone et ses papiers sur la table de la salle à manger, puis part à pied, avec une corde dans son sac à dos, vers un coin de campagne où il adorait se rendre quand il était enfant. Lui qui, sur Facebook, réagissait toujours au suicide de ses collègues n’a plus la force de continuer. « Tous ces morts dans la police, ça le tuait », dit sa mère. Une semaine après la tragédie, Marion s’est rendue à la caserne de Chalon pour rencontrer les supérieurs de son frère. «Je voulais comprendre, je voulais que ça change, mais je n’ai rencontré que de l’indifférence. On n’est soutenu par personne. Le commandant n’a pas pris la peine d’appeler ma mère, d’écrire une lettre. Voilà ce que ça vaut, la vie d’un homme. Pour eux, c’est juste la fin d’un alcoolique.» À la sœur de Yannick, qui cherchait des explications, le commandant de la caserne aurait répondu sèchement: «J’ai connu huit suicides, je sais ce que c’est que d’avoir les pieds dans le sang.» À l’un de ses meilleurs amis, quelques jours avant le drame, Yannick avait dit : « Sers-toi de mon histoire. » L’ami n’avait pas compris le message. Aujourd’hui, la famille de Yannick voudrait que sa mort participe à une prise de conscience.
