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CARL FRIEDRICH ABEL

1723-1787

Sonates pour viole de gambe et basse continue A2:50, 57A, 53, 75, 56A, 72, 7.

Andantino A2:67.

Paola Pandolfo (viole de gambe), Amélie Chemin (violoncelle, viole de gambe continuo), Andrea Buccarella (pianoforte, clavecin), Thomas Boysen (luth).

Glossa. Ø 2020. TT : 1 h 17’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Le mémorable « Drexel Manuscript » (Glossa, 2008, Diapason d’or) ne laissait rien ignorer des affinités que Paolo Pandolfo entretient avec la musique d’Abel. Le nouveau florilège, puisant à trois sources découvertes dans les années 2010, illustre l’étendue des capacités d’un compositeur aussi doué pour capturer la plus irrépressible allégresse que la mélancolie la plus étreignante. La beauté de ses adagios était proverbiale : elle atteint des tréfonds de désolation dans celui de la Sonate en la mineur (A2:57A), tandis que la vitalité conquérante des mouvements extrêmes de la Sonate en ré majeur (A2:50) avive l’indicible nostalgie qui embue son coeur.

Paolo Pandolfo s’y entend pour sonder ces abîmes d’un archet éloquent ; il parvient même à mettre à profit une technique moins souveraine que jadis pour leur apporter une note de fragilité émouvante. S’il affronte crânement les exigences virtuoses des pages plus rapides, force est cependant de constater qu’elles le laissent parfois court de souffle, comme dans le tumultueux Allegro de la Sol mineur (A2:56A). Il peut toutefois s’appuyer sur un continuo solide, inventif, où brille, aux claviers, un Andrea Buccarella plein de verve et de finesse (Adagio de la La majeur (A2:53) qui établit avec le soliste un véritable dialogue : la façon dont leurs voix se mêlent pour chanter l’Adagio de la Ré majeur (A2:75) est un moment intense.

Jean-Christophe Pucek

MARK ANDRE

NÉ EN 1964

iv 13 (Miniaturen) et 15 (Himmelfahrt). Woher… wohin.

Quatuor Arditti, Stephan Heuberger (orgue), Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, Matthias Pintscher.

BR Klassik. Ø 2017 et 2018.

TT : 1 h 07’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Ce n’est pas sans une touche d’humour que Mark Andre, naguère qualifié par son professeur Helmut Lachenmann de « protestant magiquement introverti », file depuis 2007 la série au titre générique « iv » (pour « introverti »). Dans iv 13 (Miniaturen), douze aphorismes qui rappellent Webern par la clarté de leur énoncé, règnent le souffle et le frottement, les pizzicatos ténus souvent réalisés hors de la zone de jeu conventionnelle, le jeu avec plectre, le tapping, les microglissandos et la scordatura du violoncelle en cours de jeu. Parfaitement à leur aise dans cet environnement, les Arditti sont attentifs à la respiration de la musique, qui prend littéralement corps sous leurs archets et leurs doigts.

Avec iv 15 (Himmelfahrt), Andre mène avec Stephan Heuberger l’orgue de la Ludwigskirche de Munich sur le terrain de la fusion harmonique, des registres extrêmes et des hauteurs détempérées, de sorte que l’on voisine par endroits les sonorités électroniques. L’arrêt de la soufflerie, et donc la chute du son, nous vaut les moments les plus émouvants de cette magnifique pièce, associé au thème de l’Ascension.

L’influence de Grisey transparaît dans Woher… wohin (2015-2017) où se manifestent des harmonies statiques aux reflets spectraux. Les sept parties évoquent autant de nuances du vent, en référence à l’Evangile de Jean, depuis un roulement sourd que coiffe un effet d’acouphène jusqu’au déchaînement de tout l’orchestre, gonflé par les percussions. Dans cette musique qui n’est pas sans points communs avec la sienne, Matthias Pintscher révèle avec les forces de la Radio bavaroise tous les détails d’une micro-activité physiologique.

Pierre Rigaudière

ATTILIO ARIOSTI

1666-1729

La profezia d’Eliseo.

Marie-Sophie Pollak, Marta Redaelli (sopranos), Alessio Tosi (ténor), Mauro Borgioni (basse), Matteo Pigato (contre-ténor), Ensemble Lorenzo da Ponte, Roberto Zapellon.

Fra Bernardo (2 CD). Ø 2017. TT : 1 h 44’.

TECHNIQUE : ⅗

Créé à la cour impériale de Vienne pendant l’office du vendredi saint 1705, cet oratorio inédit narre un épisode macabre de l’Ancien Testament : le second siège de Samarie, quand le peuple d’Israël dut s’abandonner à l’anthropophagie, puis sa libération miraculeuse prophétisée par Elisée. L’obscur Ariosti, prêtre bolonais qui fit carrière de musicien à Venise, Vienne puis Londres, signe une partition nourrie des conventions de son temps. Récitatifs secs et airs contrastés se succèdent, avec parfois quelques pépites, tel le pathétique « Prole tenera » : une mère pleure son fils donné à dévorer aux Hébreux, sur le contrepoint dissonant et savoureux de deux violes de gambe concertantes avec la basse continue.

D’autres pages accusent une indigence navrante, comme le « Chi col sento » d’Elisée, guère aidé par un ténor à la justesse et à la vocalisation hasardeuses. Les roulades et les aigus de Marta Redaelli dans « Salva il figlio » sont tout aussi éprouvants, à l’instar de ceux de Marie-Sophie Pollak dans « Ha si gran corpo ». Le rôle de l’impie capitaine est confié à un contre-ténor sans souffle ni étoffe, offrant un étique « Il desio dà l’alli ». On retiendra plutôt l’ampleur et la profondeur de la basse Mauro Borgioni, qui parvient à exprimer toute la complexité de son royal personnage, mêlant autorité et compassion. Les cordes approximatives de l’orchestre et la direction minimaliste de Roberto Zapellon ajoutent encore au marasme, redevable tant à l’oeuvre qu’à ses interprètes.

Denis Morrier

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Le Clavier bien tempéré.

Jérôme Granjon (piano).

Anima (2 coffrets de 2 CD). Ø 2017 et 2017. TT : 4 h 20’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Jérôme Granjon a enregistré son Clavier bien tempéré en juillet, à deux années d’intervalle, en commençant par le Livre II. Le lieu d’enregistrement a changé, l’instrument aussi ; l’optique non.

« Ecoutez la chanson bien douce / Qui ne pleure que pour vous plaire… » C’est un Bach verlainien que celui de Jérôme Granjon, et surtout dans le Livre I, où la longueur de son et le moelleux du merveilleux « Opus 102 » à cordes parallèles de Stephen Paulello encouragent une atmosphère tendrement élégiaque. Le Livre II, sur un Steinway D, a quelques moments plus incisifs (fugues en ut majeur, mi et fa mineur) ; dans le Livre I, la nostalgie est un comme un filtre par où passe même la triomphante fugue en majeur.

Ce romantisme « baigné de pédale », comme eût dit Poulenc, trouve son apogée dans un Prélude en ut dièse majeur du Livre II tout en brumes. Servie par un toucher d’une admirable égalité, malgré des ornements trop accentués ou même négligés (terminaisons des trilles), son expressivité recueillie manie trop l’estompe : toutes ces fugues « à écouter la tête dans les mains » (Cocteau), tous ces préludes automnaux pour chambres de malade passent à côté des références joueuses de Bach, celles à la danse ou à la manière française comme celles au style galant. Si sa déclamation sait se faire lyrique (Prélude en ut dièse mineur du Livre I) elle se cantonne encore à la confidence, fuyant toute véhémence comme toute rhétorique (fin du Prélude en mi bémol mineur du Livre I, distendu à l’extrême).

Après Piotr Anderszewski, voici donc un nouveau Clavier bien tempéré sous le beau signe de l’apollinisme. Sa douceur peut confiner au douceâtre : nous y manquent l’inventivité et l’intelligence stylistique que déploie, pour l’instant dans le seul premier Livre, un Aaron Pilsan.

Paul de Louit

Les six concerts brandebourgeois BWV 1046-1051.

Isabelle Faust (violon), Antoine Tamestit (alto), Akademie für Alte Musik Berlin.

HM (2 CD). Ø 2021. TT : 1 h 27’.

TECHNIQUE : ⅗

La première intégrale des Brandebourgeois par l’Akademie für Alte Musik remonte à 1998. Elle s’était imposée par l’audace du jeune ensemble, désireux d’en découdre face à quelques aînés prestigieux, Musica Antiqua Köln en tête. Etait-il nécessaire d’y revenir ? Oui, déclarent ses deux premiers violons, arguant, entre autres, d’un fini instrumental supérieur. La prise de son, réverbérée à l’excès, gâtée par de curieux effets de focus, ne permet pas d’en juger Sans doute est-elle aussi en partie responsable de Concerts nos 1 et 2 un rien cotonneux, où les cuivres apparaissent privés du coruscant, du grain distinctifs d’une approche « à l’ancienne » : la trompette manque même de se faire avaler par l’orchestre dans l’Allegro assai du no 2. Les meilleurs moments de cette réalisation menée avec une énergie communicative sont ceux où s’invitent Isabelle Faust et Antoine Tamestit : un Concert no 3 effervescent, solaire, avec des dialogues qui circulent entre les pupitres comme des bourrasques, un no 4 pimpant et délicat (les teintes pastorales de l’Andante sont idoines), un no 6 bien campé (les broderies du premier mouvement, au tissage impeccable), baigné de séduisantes couleurs chaudes, un rien nostalgiques dans l’Adagio ma non tanto.

Cette interprétation très équilibrée, aux idées limpides, non dépourvue de charme, séduira sans doute un large auditoire, y compris celui que rebutent de coutume les instruments d’époque, par sa rondeur sonore en trompe-l’oeil. Elle ne renouvelle cependant pas la surprise du premier enregistrement de l’Akademie für Alte Musik, pas plus qu’elle ne rejoint au sommet Zefiro (Arcana, 2018, Diapason d’or, cf. no 674) ou Café Zimmermann (Alpha, 2001-2011), pour nous cantonner à des références récentes.

Jean-Christophe Pucek

Les six partitas pour clavecin BWV 825-830.

Lorenzo Ghielmi (clavecin).

Passacaille (2 CD). Ø 2019.

TT : 2 h 37’.

TECHNIQUE : ⅘

Mahan Esfahani (clavecin).

Hyperion (2 CD). Ø 2020.

TT : 2 h 28’.

TECHNIQUE : ⅗

En 1731, Bach réunit en un volume les six Partitas pour clavecin publiées au fil des cinq années précédentes. Première oeuvre imprimée de son auteur, cette Clavier Übung vise à montrer l’étendue de ses capacités : la parfaite maîtrise des grands styles européens, y compris les « Galanterien » au goût du jour, le foisonnement de l’invention qu’illustre, par exemple, la diversité des préludes, chacun individualisé, introduisant les Suites de danses.

Jamais Lorenzo Ghielmi ne cherche à démontrer, à impressionner ; il y parvient toutefois par la concentration qu’il imprime au discours. Laissant peu de place à l’anecdote, ses Partitas exigent de l’auditeur une attention constante afin de ne pas passer à côté de dynamiques installées avec un art consommé de la progression, de détails minutieusement ciselés, telle l’ornementation sans cesse mouvante des Allemandes. Le choix délibéré de privilégier la portée spéculative, encyclopédique du recueil assèche parfois le geste (Sarabande de la Partita no 3), contraint la danse (on a entendu Corrente plus fusante dans la no 1), mais la capacité à traiter chaque Partita comme un univers à part entière, dans lequel chaque élément fait sens à la place qu’il occupe, retient, fascine : l’interprète transmet sans s’interposer.

Quelle personnalité, pourtant, dans ce mélange de noblesse sans raideur (Ouverture de la no 4), d’élégance racée dépourvue de sophisme (Sarabande de la no 5) comme de toute émotion surjouée (d’autant plus intense dans l’Allemande de la no 2). De ce sens aigu de la diversité et de l’architecture témoigne une lecture de la no 6 de bout en bout brillante, maîtrisée. Il aurait suffi d’un soupçon de sensualité et d’un supplément d’audace pour que cet enregistrement rejoigne le sommet de la discographie, où trônent la lecture stimulante de Martin Gester (Ligia, 2014), l’élévation souveraine et chaleureuse de Pascal Dubreuil (Ramée, 2008), les versions déjà historiques de Scott Ross (Erato, 1989) et de Gustav Leonhardt (Emi, 1987).

Avec Mahan Esfahani, c’est hélas tout l’inverse. A la plume – une note d’intention assénant, tel un manifeste, des faits que plus personne ne conteste depuis longtemps – comme au sautereau, le propos se résume trop souvent à un mot : prouver. Que Bach est provocant, liquidateur d’un passé représenté par ces danses aux relents suspects de naphtaline, bref : moderne. Reconnaissons au claveciniste les moyens digitaux et cérébraux de sa démonstration : sa vélocité répudie des grâces supposées fanées, la précision de ses traits sonde le texte musical avec acuité. Si le résultat dégage parfois une énergie galvanisante (la conduite de la de la est magistrale), tout en préservant quelques frissons ( de la ), il laisse trop souvent perplexe, voire agacé, devant une mécanique qui semble tourner à vide ( dévalée de la ). De l’aplomb, des fulgurances ( de la ), certes, mais guère de sourire, quelques faux pas regrettables, dont cette de la transformée en fredon d’un mauvais cartoon. Un instrument capté de trop près, pauvre en harmoniques, dénué de chaleur, n’arrange rien.

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