Diapason

Diapason d’or 2020

THOMAS ADÈS

NÉ EN 1971

Concerto pour piano. Totentanz.

Christianne Stotijn (mezzo), Mark Stone (baryton), Kirill Gerstein (piano), Boston Symphony Orchestra, Thomas Adès.

DG. Ø 2016 et 2019. TT: 56’.

TECHNIQUE: 4,5/5

Enregistré en public en mars 2019 et en novembre 2016 au Symphony Hall de Boston par Nick Squire.

Plus que jamais, Thomas Adès joue dans son Concerto pour piano (2018) au chat et à la souris avec les références au passé. Après une surprenante entrée en matière, qui jongle avec Rachmanivov et Tchaïkovski autant qu’avec Gershwin et Ligeti, on retrouve la crudité fauviste plus typique du compositeur britannique. La virtuosité échevelée du premier mouvement trouve Kirill Gerstein aussi à l’aise que la touche pop du deuxième. Là, Adès lorgne l’écriture pour vents de Stravinsky, mais lâche la bride aux cuivres ronflants du Boston Symphony avec une manifeste délectation. Signatures de l’auteur, les chaînes de motifs s’invitent jusque dans le début du finale, ménageant une marche harmonique au faux air brahmsien. C’est dans ce discours hyperactif et ce swing polyrythmique qu’Adès offre le meilleur, et son énergie galvanise les instrumentistes du BSO.

Tout en évoquant l’univers du lied orchestral mahlérien, la Totentanz (2013) bénéficie d’un indéniable savoir-faire opératique. Un début violent propulse une musique rude. La rugosité de la partie de baryton, à laquelle Mark Stone donne beaucoup de mordant, rappelle Le Grand Macabre de Ligeti. Se succéderont les personnages happés par la Faucheuse, tous incarnés par une Christianne Stotijn qui gratifie chacun (pape, empereur, cardinal, roi, moine…) d’une personnalité propre, allant jusqu’au burlesque grinçant. On songe plus d’une fois à The Tempest, non seulement dans les passages orchestraux tumultueux mais aussi lorsqu’entre dans la danse un cardinal aux airs d’Ariel version mezzo. Parodie de chasse médiévale, valse pesante, tout fonctionne à merveille.

Pierre Rigaudière

CHARLES-VALENTIN ALKAN

1813-1888

Symphonie pour piano seul. Concerto pour piano seul.

Paul Wee (piano).

Bis. Ø 2017-2018. TT: 1 h 18’.

TECHNIQUE: 4/5

Enregistré dans le Hall One de Kings Place, à Londres, par David Hinitt en août 2017 et mai 2018. Le piano est curieusement positionné sur la moitié gauche de l’image, les aigus au centre. L’instrument est clair, précis, les plans sonores assez différenciés. Relief des registres cohérent et homogène.

Le « Berlioz du piano ». Rarement la formule de Hans von Bülow ne s’était imposée avec autant d’évidence. Avec la Symphonie pour piano seul, Charles-Valentin Morhange, alias Alkan, semble vouloir nous convaincre que l’instrument est parfaitement apte à remplacer un orchestre à lui seul. Et il y réussit: aux frémissements inquiets de son thème introductif, succèdent une Marche funèbre d’une étrangeté saillante, un Menuet en forme de scherzo sardonique, le mouvement perpétuel halluciné du finale rappelant les pages les plus fiévreuses de la Symphonie fantastique. Je ne connais pas de version plus éblouissante que celle de Paul Wee. Né en Australie de parents singapouriens et malaisiens, le jeune homme a poursuivi ses études à la Manhattan School of Music de New York auprès de Nina Svetlanova, une disciple du grand Heinrich Neuhaus. Malgré des débuts concertants au Royal Albert Hall de Londres, ce n’est pas la profession de pianiste qu’il a décidé d’embrasser mais celle d’avocat. Alkan – revenons à nos moutons – ne pouvait en tout cas rêver plus brillant défenseur! Pugnace, puissamment énergique, d’une précision et d’une régularité stupéfiantes, l’interprète déclenche des déluges de notes avec une aisance déconcertante et montre un abattage digne des plus grands virtuoses d’hier et d’aujourd’hui. Plus précis que l’éruptif Raymond Lewenthal (RCA), il parvient même – dans le finale – à dépasser en vélocité un Marc-André Hamelin (Hyperion, Cinq Diapason), pourtant maître-étalon de la virtuosité supersonique, auquel il fait plus d’une fois penser. L’oeuvre est couplée à son colossal pendant, lui aussi publié en 1857 au sein de l’Opus 39: le Concerto pour piano seul, dont le premier volet dure à lui seul une demi-heure. Le vent de folie qui souffle sur la partition renverse toutes les conventions existantes, notamment dans le féroce Allegretto alla barbaresca. Le jeu idéalement clair de Paul Wee donne un impact explosif à ce ballet d’une difficulté démoniaque. En fin musicien, l’interprète sait aussi rendre justice (ça le connaît) au ca-ractère élégiaque du bel Adagio. Après ces débuts étourdissants au disque, Paul Wee ne peut pas nous priver d’autres témoignages de sa maîtrise hors norme du clavier.

Bertrand Boissard

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Sonates pour clavecin et violon BWV 1014-1019.

Stéphanie-Marie Degand (violon), Violaine Cochard (clavecin).

NoMadMusic (2 CD). Ø 2019.

TT: 1 h 32’.

TECHNIQUE: 2,5/5

Enregistrement réalisé en avril 2019 par Alban Sautour au studio Sextant à Malakoff (France). Etre proche n’est pas synonyme d’intimité. L’extrême proximité tend à aplanir le relief. La subtilité et la délicatesse des harmoniques ne sont pas non plus au rendez-vous mais l’équilibre entre les deux instruments est impeccable.

Complices. Ainsi apparaissent-elles sur la pochette et à l’écoute de cette intégrale des sonates pour clavecin et violon de Bach. Non pas une affinité fabriquée pour les besoins de l’affiche, mais le fruit de trente ans d’amitié semés de rires et de doutes, d’heurs et de déboires, qui s’incarnent dans les climats agencés par le compositeur en suivant le patron corellien da chiesa, hormis pour l’atypique BWV 1019.

Musiciennes au tempérament affirmé, Stéphanie-Marie Degand et Violaine Cochard proposent de ces oeuvres une vision aussi dynamique – par la vivacité, certes, mais aussi le sentiment d’une progression de page en page – que touchante. L’archet de la première, affranchi par l’expérience d’autres répertoires de toute obnubilation de « faire historique », est plein d’une autorité sans raideur, sensuel en diable; claveciniste hors pair, la seconde excelle dans l’art de la nuance sans jamais rogner sur le caractère (l’Allegro central de la BWV 1019 étincelle sous ses doigts). Ecoutez comme elles chantent, espiègles dans le Presto de la BWV 1015, éperdues dans l’Adagio ma non tanto de la BWV 1016. La recherche permanente d’un point d’équilibre entre les voix est une des grandes réussites de cette interprétation haute en couleur; la lancinante BWV 1018, où Largo et Adagio voient les rapports de force s’inverser, l’exprime de façon idéale.

Leila Schayegh et Jörg Halubek nous avaient offert, en 2016, un enregistrement d’une hauteur de vue aussi imprenable qu’un nid d’aigle (Glossa, Diapason d’or de l’année). En abordant ces sonates comme le cheminement de vies placées sous le signe du partage, Stéphanie-Marie Degand et Violaine Cochard y dispensent une immédiateté chaleureuse qu’on ne trouvait à ce point dans aucune autre version; elle l’installe pour longtemps dans nos coeurs, et parmi les sommets de la discographie.

Jean-Christophe Pucek

BELA BARTOK

1881-1945

Concerto pour violon no 2. Les deux rhapsodies pour violon et orchestre.

Baiba Skride (violon), Orchestre symphonique de la WDR de Cologne, Eivin Aadland.

Orfeo. Ø 2017. TT: 58’.

TECHNIQUE: 3,5/5

Enregistré en mars 2017 par Mark Hohn et Günther Wollersheim à la Philharmonie de Cologne. Le violon se détache nettement, au premier plan, sans perdre le lien acoustique qui l’unit à l’orchestre. Scène sonore ample, couleurs agréables. Cordes un peu confuses et moins bien définies dans les fortissimos.

Métamorphoses perpétuelles d’un même matériau, les trois mouvements du Concerto pour violon no 2 de Bartok exigent une extrême virtuosité, un lyrisme intense, supérieurement maîtrisé. Ils semblent n’avoir plus de secrets pour Baiba Skride, qui offre de ce chefd’oeuvre achevé en 1938 une interprétation au romantisme sensuel et élégiaque. Le jeu sur les couleurs et la précision stylistique de la lauréate du Concours Reine Elisabeth 2001 font merveille. Son violon chantant, rhapsodique, riche de timbres fruités et hypnotiques est parfaitement soutenu par Eivin Aadland et l’Orchestre de la Radio de Cologne, dont la rigueur, la concentration n’ont d’égales que la vitalité rythmique. L’approche narrative qu’adoptent, dès l’Allegro initial, la soliste lettone et le chef norvégien rappelle la vision légère, quasi arachnéenne, d’Anne-Sophie Mutter avec Ozawa (DG). Elle tourne le dos à la noire âpreté des grands témoignages historiques (Menuhin avec Furtwängler, Gitlis avec Horenstein, Gertler avec Ancerl) autant qu’à la radicalité, flamboyante ou analytique, des meilleures versions modernes (Shaham avec Boulez, Tetzlaff avec Lintu). Ici, la puissance dramatique est intériorisée, intégrée dans un mouvement d’ensemble à la profonde unité architecturale. On peut concevoir un accompagnement davantage chatoyant dans l’Andante tranquillo, plus héroïque encore dans les déflagrations du finale, mais le relief des timbres et des alliages sonores est très finement dessiné. Eivin Aadland tisse les diaprures de l’orchestre bartokien avec une hauteur de vue peu commune, laissant transparaître la subtilité des structures comme l’irradiant éclat de la soliste.

L’osmose entre la violoniste et les forces de la WDR frôle également l’idéal dans les deux rhapsodies pour violon et piano de 1926-1928, données ici dans leur somptueuse transcription orchestrale. L’infaillible sens musical des interprètes confère à ces oeuvres a priori « de détente » une émotion pénétrante et une densité insoupçonnée.

Patrick Szersnovicz

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

17 Lieder. An die ferne Geliebte.

Matthias Goerne (baryton). Jan Lisiecki (piano).

DG. Ø 2019. TT: 1 h 09’.

TECHNIQUE: 4,5/5

Enregistré en juillet 2019 au Teldex Studio de Berlin par René Möller et Jupp Wegner. Une image en relief où la voix se pose sur un piano parfaitement défini et chaleureux. Une acoustique réverbérée accorde tout l’espace nécessaireà la respiration et à l’épanouissement de la voix.

Avec force intentions et accentuations, Ian Bostridge faisait il y a peu une entrée très artiste dans les lieder de Beethoven (Warner, cf. no 689). Matthias Goerne offre un parti pris quasi inverse. Où le ténor anglais détaille le mot pour faire naître le sens, Goerne travaille en pleine pâte, avec un timbre plus souvent qu’à son tour grisonnant: ce qu’il sculpte, c’est le souffle, c’est la ligne, c’est ce legato qui de chaque phrase semble extraire la plus juste vibration. Le baryton allemand place cet art au service d’un programme d’une grande élévation. Ont été retenus les lieder les plus spirituels et contemplatifs de Beethoven. Empreints d’une gravité de cantique, ils conviennent à l’introversion de Goerne, qui leur confère leur juste poids – et soudain on croit entendre la source même de Brahms. Cela vaut particulièrement pour les Sechs Lieder op. 48 de Gellert, qu’on a connus un peu ennuyeux, mais qui prennent ici l’intensité de confessions spirituelles. Ainsi, justice est rendue à tout un pan de la sensibilité beethovénienne – sa part pieuse, orante. Même le simple Klage sur le modeste texte de Ludwig Hölty se charge d’un poids tragique insoupçonné.

C’est peu dire que Jan Lisiecki apporte à cette vision un important concours: ce que son jeu a de pur et de sérieux, de probe sans fadeur, de pénétrant sans afféterie engage le chanteur à aller au bout de ses choix, d’une ardente ascèse.

Sylvain Fort

Quatuors à cordes nos 7 et 8.

Quatuor Ebène.

Erato. Ø 2019. TT: 1 h 18’.

TECHNIQUE: 4/5

Enregistrement public réalisé en juin 2019 à la Mozartsaal du Konzerthaus de Vienne par Fabrice Planchat. La captation en assez grande proximité du quatuor permet de s’affranchir des bruits de salle, produisant un son défini et analytique. La scène sonore, du premier violon au violoncelle, est large. Les cordes sont particulièrement toniques.

Le Quatuor Ebène entame son cycle Beethoven avec les deux premiers « Razoumovsky », enregistrés live les 10 et 11 juin derniers au Konzerthaus de Vienne. L’intégrale se bâtira au fil des sept étapes d’un tour du monde. Dès l’Allegro initial de l’Opus 59 no 1 en fa majeur, l’auditeur est emporté par un élan conciliant l’approche sensible et la pénétration intellectuelle la plus aiguë. Combien de fois avons-nous entendu, depuis les Alban Berg I (Warner) et les Artemis (Virgin), un geste aussi puissant dans cette page – l’« Eroica » des quatuors de Beethoven? Le travail des dynamiques saisit l’oreille (sans la violenter!), les gestes d’éloquence, les transitions harmoniques, les innovations rythmiques propulsent sans cesse le discours. La registration « visuelle » de l’Allegretto scherzando et son étrange rhétorique spatiale ne laissent aucun répit, pas davantage que les structures rythmiques, timbres et attaques qui enchevêtrent leurs réseaux dans l’Adagio moltoe mesto, et ouvrent à son admirable thème comme à la floraison de motifs s’en dégageant.

L’articulation tendue des Ebène, leur sens rythmique impeccable, leur intelligence du détail feront merveille tout au long de l’Opus 59 no 2 en mi mineur, avec un contrôle exemplaire de la respiration. D’une façon raffinée mais moins extravertie ou sophistiquée que chez d’autres (Belcea, Hagen, Casals), ils jouent sur l’incise, la rupture, les éruptions d’angoisse. Les fondus-enchaînés sont superbement mis en scène. L’immense Molto adagio, au tempo aussi ample qu’avec les Belcea (13’ 14’’), devient une descente aux abîmes. Plus concis mais d’une complexité égale à celle des deux premiers mouvements, scherzo et finale bénéficient d’une fougue bondissante et de dynamiques ciselées.

L’extrême discipline du jeu collectif se laissant porter par un sentiment d’improvisation, cette premiere étape de l’intégrale met la barre très haut.

Patrick Szersnovicz

Trios avec piano op. 1 no 3 et 70 no 2. Allegretto WoO 39.

Trio Sitkovetsky.

Bis (SACD). Ø 2018. TT: 1 h 06’.

TECHNIQUE: 4/5

TECHNIQUE SACD: 4/5

Enregistrement réalisé au Potton Hall de Westleton (Grande-Bretagne) par Marion Schwebel (Take 5) en mai 2018. Belle image, équilibrée et homogène malgré un espace global trop serré qui aurait mérité plus d’ampleur. Timbres vraiment chaleureux.

Les trios seraient-ils les grands gagnants de l’année Beethoven? Après les Capuçon (cf. no 689), les Sitkovetsky y récoltent à leur tour un Diapason d’or. Bon sang ne saurait mentir! Fondateur de l’ensemble, le violoniste Alexander Sitkovetsky – neveu de Dmitry, petit-neveu de Julian et Bella Davidovich – est issu d’une prestigieuse lignée de musiciens. Le juvénile Opus 1 no 3, en ut mineur, annonce d’emblée la couleur: timbres raffinés, légèreté du toucher, subtile palette de nuances et élégance du style. Les phrasés élancés respirent avec naturel, dans une joyeuse complicité que rien ne semble pouvoir troubler, pas même les sautes d’humeur de l’écriture. L’Andante nous touche par ses lignes finement dessinées et son ton de confidence. Un Menuetto plein de charme, aux contrastes nets mais mesurés précède un finale Prestissimo échevelé. Cette esthétique fraîche et lumineuse, exempte de tout débordement concertant, n’a rien à envier à la première version du Beaux Arts Trio, référence en la matière (Philips, 1962).

L’insouciant Allegretto en si bémol, écrit à l’intention de la très jeune Maximiliane Brentano « pour l’encourager au piano », apporte ici un gracieux intermède. Quel contraste avec les tourments de l’Opus 70 no 2, dépourvu de mouvement lent! A l’humeur passionnelle voire héroïque du volet initial succèdent deux allegrettos, l’un à variations de caractère obsédant, l’autre justement qualifié de « pur cantique de ferveur » par le regretté Roger Tellart. Le finale, respirant la bonne humeur voire l’exubérance, pose la conclusion d’une oeuvre à qui les trios environnants – « Les Esprits » et « L’Archiduc » – ont toujours fait de l’ombre. Autant de climats habités avec la plus grande délicatesse, dans une répartition exemplaire des rôles entre cordes et clavier (le piano de Wu Qian, jamais trop dominant, et le violoncelle de Isang Enders, que l’on suit parfaitement), des tempos bien choisis et l’absence de tout maniérisme. Ce splendide album marque le coup d’envoi d’une intégrale: guettons la suite!

Jean-Michel Molkhou

Trios avec piano nos 5 « Des Esprits » et 7 « L’Archiduc ».

Renaud Capuçon (violon), Gautier Capuçon (violoncelle), Frank Braley (piano).

Erato. Ø 2019. TT: 1 h 09’.

TECHNIQUE: 3,5/5

Enregistré en mars 2019 au Studio RIFFX 1 de la Seine Musicale, à Boulogne-Billancourt. Une image très large, une prise de son en grande proximité avec un piano central au second plan. L’ensemble manque d’air mais reste cohérent.

Un Beethoven on ne peut plus fraternel. Après avoir signé chacun, aux côtés de Frank Braley, une intégrale des sonates que Beethoven composa pour leur instrument, Renaud et Gautier Capuçon se retrouvent autour de ses deux plus célèbres trios avec piano. L’Opus 70 no 1 en majeur atteste d’emblée un équilibre souverain. Usant, sans excès, d’assauts virils et de vibratos expressifs, les archets révèlent une cohérence exemplaire tandis que le clavier ne cède à aucune tentation dominatrice. La cantilène mélancolique du Largo, à la pulsation et au tissu harmonique si particuliers, nous plonge dès l’entame dans le climat fantomatique qui valut à l’oeuvre son surnom de « Geister-Trio ». Creusant le texte, les interprètes en livrent les palpitations intimes. Dans ce troublant enchaînement de questions-réponses entre cordes et clavier, où Beethoven erre à travers de mystérieux paysages sonores, chacun cisèle ses phrasés sans perdre de vue une complicité fusionnelle qui est la marque des plus grands – on songe aux Busch avec Serkin, à Stern et ses partenaires… Le Presto final, au ton ni forcé ni précipité, aux nuances bien senties, aux appuis jamais alourdis, laisse la mélodie respirer sans contrainte, naturellement conquérante.

La même esthétique prévaut dans l’« Archiduc », au propos sobre, élégamment nuancé. Son scherzo est poétique sans être mièvre, d’un aplomb exempt de dureté, d’une éloquence jamais péremptoire. Et il inclut, une fois n’est pas coutume, toutes les reprises. Son insouciante gaieté contraste avec le ténébreux chromatisme de son trio central.

Dans le vaste Andante, que Beethoven considérait « comme l’idéal le plus élevé de la sainteté et de la divinité », les trois artistes captivent une fois encore par l’intériorité de leur vision. Le pieux climat initial voit son message spirituel enrichi d’une variation à l’autre, sans effusion inutile. Nuances raffinées, pudeur des sentiments habitent le discours jusque dans le finale qui opte – là encore – pour la concentration chambriste plutôt que l’envolée concertante. Fraternel, disions-nous.

Jean-Michel Molkhou

Trente-deux variations en ut mineur WoO 80. Variations sur le ballet Das Waldmächen WoO 71. Variations Eroica op. 35. Variations en fa majeur op. 34.

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Felix Mendelssohn 1809-1847
Sonates pour violoncelle et piano op. 45 et 58. Variations concertantes op. 17. Romance sans paroles op. 109. Allegro assai en si mineur. WIDMANN : Lied ohne Worte. HOLLIGER : Songs without words (extraits). COLL : Dialog ohne Worte. RIHM : Lied ohne

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