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TUEUR de DRAMES

Au tout début de son livre Wear and Tear (éd. Scribner, 2016), avec le calme terrifiant et la sagesse de l’enfant de 6 ans qu’elle était en 1958, Tracy Tynan évoque la vie sous le toit familial. Endormie sur le manteau de fourrure de sa mère, qu’elle adore parce qu’il est imprégné de ses odeurs (Pall Mall sans filtres, Ma Griffe de Carven...), elle est réveillée en sursaut par Elaine qui, totalement nue, répète en hurlant : « Ton père veut me tuer ! » L’enfant, qui a déjà entendu ce genre de choses, se demande surtout comment les cheveux blonds coupés court de sa mère peuvent raccorder avec le triangle pubien noir qu’elle voit pour la première fois (mais pas la dernière, puisqu’Elaine avait la singulière manie de se désaper à tout propos, même en société). Un autre soir, Tracy est réveillée par des bruits d’assiettes cassées. Empruntant le long couloir qui relie sa chambre au monde de ses parents, par une fenêtre donnant sur la cour, elle voit son père en caleçon et chemise bleue, perché sur un large rebord, criant : « Je vais sauter... Je saute ! – Bonne idée. Why the fuck don’t you ? » fait Elaine, encore nue, mais cette fois fumant une cigarette. À lire non seulement Tracy, mais aussi les Mémoires de sa mère, Kenneth Tynan aurait passé beaucoup de son temps sur ce rebord de fenêtre.

Sa fille ne raconte pas ces épisodes pour se plaindre d’une enfance impossible, mais pour indiquer qu’elle n’était pas normale non plus. « Les parents normaux partagent des repas avec leurs enfants », fait-elle raisonnablement remarquer. Chez les Tynan, la cuisine était au bout du long couloir où vivaient Tracy et sa nounou. La pièce était l’endroit le moins utilisé de l’appartement. Spectatrice captive, elle avoue avoir été fascinée par ces drames domestiques hauts en couleur, qu’elle évoque dans son livre avec un laconisme parfait.

Tracy était une enfant très populaire dans les innombrables soirées que donnaient ses parents, si sage dans son peignoir molletonné bleu ciel, la seule à ne pas boireChubby Checker passait sur la stéréo, James Baldwin apprenait le twist à tout le monde, y compris à une Tracy ravie, du haut de ses 8 ans. Le lendemain matin à 9 heures, comme promis, « Dick » Avedon avait sonné à la porte. Laissant les parents cuver dans leur chambre, il avait emmené Tracy en limousine à une heure de là sur le M1 pour lui acheter un chaton, un bleu persan (avait-il insisté). Pour autant, l’enfant en avait vu d’autres et les célébrités ne l’impressionnaient pas. Après tout, Cecil Beaton était son parrain ; Katharine Hepburn, sa marraine.

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