UN COLLÈGUE bien trop timide

Francine travaillait depuis trente-huit ans dans cette entreprise de confection. Autant dire qu’elle pensait en connaître tous les secrets. Mais elle n’avait pas encore tout vu.

M. Gerbier, comptable de son état, venait, après quarante-deux ans de bons et loyaux services, de prendre une retraite bien méritée. Le nouveau patron, qui avait racheté cette maison de confection un an plus tôt, avait tenu à organiser une fête en l’honneur de son départ.

Un traiteur de renom s’était occupé du buffet, et un orchestre avait été engagé pour la circonstance. Le personnel n’avait pas été en reste. Il s’était cotisé pour offrir à l’heureux retraité le vélo d’appartement dont il avait maintes fois parlé. Tout le monde l’essaya durant la fête, y compris son remplaçant, Patrick, qui avait travaillé à ses côtés durant trois semaines avant la passation de pouvoir. Francine avait tout de suite sympathisé avec ce dernier. Elle aussi n’était pas loin de la retraite et voyait d’un bon œil la relève s’opérer.

Elle était contrôleuse au service de réception des marchandises. L’entreprise vendait des vêtements en gros qu’elle faisait fabriquer en Extrême-Orient. Sa responsabilité était importante car la crédibilité de son employeur auprès des clients dépendait d’elle. Elle dirigeait trois personnes chargées de déballer les caisses.

Francine en vérifiait le contenu, bon de commande en main, et s’assurait que la marchandise était conforme avant de la faire parvenir au service de distribution. Après avoir donné son aval, elle rapportait le bon de réception au comptable afin que celui-ci puisse l’enregistrer. Elle était donc amenée à travailler en étroite collaboration avec ce dernier, et leurs rencontres étaient quotidiennes.

Mais, bien qu’elle ait pensé que Patrick, le nouveau venu, n’avait aucune raison de se méfier d’elle, celui-ci demeurait réservé à son égard. Elle en avait conclu qu’il était tout simplement timide