Diapason

LES 160 DU MOIS CRITIQUES

en studio

• Krystian Zimerman revient aux cinq concertos pour piano de Beethoven, cette fois avec le London Symphony et Simon Rattle (DG). Le chef et ses musiciens britanniques n’ont pas chômé : ils accompagnent également, sous pavillon Erato, Renaud Capuçon dans le concerto pour violon d’Elgar. En complément, la sonate avec Stephen Hough.

Sonya Yoncheva et la Cappella Mediterranea dans Cavalli, Dowland, Gibbons, Monteverdi, Stradella, Ferrabosco, Strozzi… Promesses d’un récital intitulé « Rebirth » à paraître chez Sony.

• Harmonia Mundi poursuit son cycle Beethoven avec la Symphonie no 7 et le ballet Les Créatures de Prométhée, confiés au Freiburger Barockorchester et son Konzertmeister Gottfried von der Goltz.

Théotime Langlois de Swarte et Tanguy de Williencourt mettront l’un le Stradivarius « Davidoff » et l’autre un Erard 1891 au service d’un très proustien « Concert retrouvé » autour de la Sonate no 1 de Fauré et de pages de Beethoven, Hahn, Couperin ou Wagner goûtées par le romancier (HM).

• Bach était sur les pupitres du Collegium Vocale de Philippe Herreweghe (Cantates BWV 45 et 198, Motet BWV 118, annoncées chez Phi) et de Phantasm qui a mis en boîte un deuxième volume de son « Well Tempered Consort » pour Linn.

Sandrine Piau ciselant un bouquet de lieder de Strauss, Zemlinsky et Berg avec l’Orchestre Victor Hugo, Justin Taylor célébrant la famille Rameau (frère, fils et neveu) au clavecin, un nouvel enregistrement de l’Orfeo montéverdien par Leonardo Garcia Alarcon et ses complices : trois nouveautés à guetter chez Alpha.

KALEVI AHO

NÉ EN 1949

YYYYYSieidi. Symphonie no 5.

Colin Currie (percussions), Orchestre symphonique de Lahti, Dima Slobodeniouk.

Bis (SACD). Ø 2017 et 2020.TT : 1 h 01’.

TECHNIQUE : 4,5/5

TECHNIQUE SACD : 4,5/5

Avec dix-sept symphonies et trente-deux concertos à ce jour, le Finlandais Kalevi Aho est l’un des compositeurs de partitions orchestrales de grande envergure les plus prolifiques d’aujourd’hui. Le titre de son concerto pour percussions et orchestre Sieidi (2010), emprunté à la langue des Samis, fait référence aux rituels et au chamanisme de différents peuples autochtones. La partition, virtuose et spectaculaire, met sous les baguettes du soliste neuf instruments de familles diverses (peaux, bois, métaux, xylophones et métallophones). Le premier et le dernier de ses huit mouvements font intervenir le djembé et la darabouka, tambours africain et arabe. L’orchestre, qui a un rôle majeur, utilise un idiome encore influencé par Chostakovitch. Le Symphonique de Lahti et son chef principal y accompagnent à la perfection le percussionniste écossais Colin Currie, dédicataire et créateur de l’œuvre.

Mise en regard, la Symphonie no 5 (1975-1976) apparaît davantage prospective. Anguleuse, dense, parfois agressive, elle veut refléter « une vision de l’incohérence de notre existence ». D’un seul tenant avec de soudaines ruptures d’atmosphère, l’œuvre donne le sentiment d’un chaos organisé (et même très contrôlé) où se succèdent d’importants climax et de rares phases de détente. Les figures nerveuses du début usent simultanément de tonalités différentes sur des rythmes variés et autonomes, qui nécessitent un deuxième chef (ici Jaan Ots). Un tempérament tumultueux et expansif s’affirme au fil de la symphonie, tout en ne cédant jamais arbitrairement à la sollicitation univoque de la violence et de la motricité. Sa composition lui a procuré « un profond sentiment libérateur », avoue Aho dans la notice. La présente interprétation, précise, colorée, énergique, exprime plutôt une force abstraite et abrupte, toujours tendue vers l’avant mais restant comme suspendue, sans conclusion ni espoir. Patrick Szersnovicz

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

YYYYY L’Œuvre pour orgue, Vol. VII : 5 Toccatas et fugues. Passacaille. Canzone. Pastorale. Préludes et fugues.

Eric Lebrun, Marie-Ange Leurent (orgue Grenzing de Saint-Cyprienen-Périgord).

Chanteloup (2 CD). Ø 2020.TT : 2 h 14’.

TECHNIQUE : 4/5

On ne peut pas voir mentionner ni, a fortiori, entendre l’orgue de Saint-Cyprien sans penser à André Isoir qui l’aima tant et y enregistra non seulement les Chorals de Leipzig et L’Art de la fugue, mais aussi une seconde version tardive des cinq toccatas et fugues, qu’abordent ici Marie-Ange Leurent et Eric Lebrun dans un esprit bien différent.

Leur optique très traditionnelle se confirme : peu d’effet rhétorique jusque dans la célébrissime BWV 565 qui s’y prête pourtant si bien (comme avec Kei Koito, Diapason d’or, cf. no 591), les métriques de danse aussi discrètes que l’ornementation ; quant à la registration, elle est efficace mais ne décoiffera personne, en dépit d’une malicieuse trompette dans la fugue de la Toccata BWV 566a – vraie réussite de ce volume – et de quelques saveurs fruitées dans la Canzone, la Pastorale ou les délicieux Petits Préludes et fugues (nous adorons le Fa majeur BWV 556).

Cette approche, qui suit le sillon creusé dès les années 1960 par Marie-Claire Alain et Michel Chapuis, est ici défendue avec un métier d’une immense solidité. C’est déjà beaucoup. Comme précédemment, séduisent l’équilibre et la stabilité de ce Bach du juste milieu, dynamique, sereinement affirmatif dans la vélocité, et toujours d’une lisibilité parfaite – voyez la splendide articulation du trait de pédale d’une Toccata, adagio et fugue par ailleurs bien sage, ou l’impressionnante énergie de la Toccata « dorienne ». Est-ce suffisant ? Il nous manque, décidément, un peu de la poésie chambriste ou de la démesure d’Isoir, ou encore des trouvailles d’une génération postérieure, celle par exemple d’un Benjamin Alard ou d’un Benjamin-Joseph Steens, dont la Passacaille avait ensoleillé notre discographie comparée (cf. no 623).

Paul de Louit

Y Y Oratorio de Noël BWV 248.

Katja Stuber (soprano),

Raffaele Pè (contre-ténor),

Martin Platz (ténor), Thomas

Stimmel (basse), La Capella Reial de Catalunya, Le Concert des

Nations, Jordi Savall.

Alia Vox (2 SACD).

Ø 2019. TT : 2 h 24’.

TECHNIQUE CD et SACD : 2/5

Après le Magnificat, laMesse en si puis la Passion selon saint Marc, Jordi Savall poursuit son exploration de l’œuvre sacré de Bach. Avec ses fanfares rutilantes, son énergie puisée aux sources de la danse, ses tendres émerveillements devant le miracle, plutôt en phase avec le tempérament du chef catalan, l’Oratorio de Noël laissait espérer une belle surprise. Hélas, la déception l’emporte vite au fil d’une approche fondée davantage sur l’esthétisme que sur la narration. Dès le chœur « Jauchzet, frohlocket », la musique s’engonce dans des habits trop empesés et mal taillés, la scansion est pachydermique, la mise en place perfectible. La captation très réverbérée ajoute à cette impression d’épaisseur chaotique. Si « Fallt mit Danken » boit la tasse, « Ehre sei dir Gott » fait, en revanche, mieux que surnager.

Du quatuor soliste, retenons surtout la basse sans lourdeur de Thomas Stimmel. Evangéliste efficace, Martin Platz est honnête dans ses airs, même si « Ich will nur dir zur Ehren », empâté par trop de rondeur instrumentale, ne dégage guère la ferveur attendue. Et la soprano, plus charmante qu’éloquente, aborde l’air avec écho « Flösst, mein Heiland » d’une manière trop doucereuse. Parfois vaillant dans la deuxième partie de l’œuvre, Raffaele Pè se signale surtout par des fragilités (« Schlafe, mein Liebster ») et une certaine atonie face au texte (« Schliesse, mein Herze », au violon sans grâce).

En dépit de quelques jolis moments (le début de II, la moitié de V), le compte n’y est pas : des tempos fluctuants, une polyphonie brouillée, les limites techniques et expressives des interprètes condamnent ce concert à l’oubli.

Jean-Christophe Pucek

RÉFÉRENCES : Jacobs (HM), Otto (nos Indispensables).

YYYYY Variations Goldberg BWV 988.

Pavel Kolesnikov (piano).

Hyperion. Ø 2019. TT : 1 h 20’.

TECHNIQUE : 2,5/5

D’où nous vient cette impression de fenêtre ouverte ? De tempos vifs, tant l’Aria initiale est jouée inhabituellement allante ? D’un toucher dont la délicatesse rappelle çà et là le « jeu perlé à la française », et qui fait sonner le Yamaha (aidé de quelques artifices) quasi comme un Erard à cordes parallèles ? De cette pédale subtile et audacieuse jusqu’à se faire envahissante, alla Prokofiev, pour tuiler une variation sur une autre ou jouer les orgues de cathédrale ? Ou de l’ornementation, dernier dada des pianistes si l’on pense au récent coffret de Lang Lang (cf. no 694) ?

Tenez, revenons à Lang Lang. Oui, celui-ci joue toutes les reprises, et Pavel Kolesnikov aussi ; oui, il orne-mente à foison, Kolesnikov aussi. Mais il sent l’étude, la pose, son feu n’est autre que celui de la rampe. Kolesnikov, jamais : la fraîcheur de ses Goldberg vient du naturel avec lequel la musique va, swingue, virevolte, se repose et surtout s’amuse. Une série de variations, c’est un jeu de l’esprit ; nul autre n’avait osé avec pareil talent, dans la Klavierübung IV, mettre ainsi en balance l’intellectuel et le ludique jusqu’à pencher, par endroits, franchement vers le ludique (Var. XXIII).

Et quelle vie prend la polyphonie ! On y entend, vraiment, des voix dont les logiques se répondent, ayant chacune ses répits, ses rehauts, ses relances. Selon le mot d’Avison en 1760, la musique « discourt et nous tient en haleine comme une méthodique et intelligente conversation. » Conversation ici merveilleusement conduite et imaginative qui, d’abord courtoise, presque guindée dans le menuet (Var. IV) ou les variations à la française (VII, XVI), se libère progressivement jusqu’à l’ad libitum (XXIX), avant que, dans l’Aria finale, on n’échange les bonsoirs et n’éteigne les chandeliers. Cette fin sur la pointe des pieds murmure comme un adieu. Un adieu après la fête, une fête en forme de promenade, une promenade picaresque à travers un paysage d’émotions où danse, rêve et folâtre « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui ». Paul de Louit

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

YYYYY Concerto pour piano no 4. Symphonie no 7.

Lahav Shani (piano et direction), Orchestre philharmonique de Rotterdam.

Warner (SACD). Ø 2019. TT : 1 h 13’.

TECHNIQUE : 3,5/5 TECHNIQUE SACD : 4/5

Pour son premier disque chez Warner, Lahav Shani joue et dirige Beethoven. Il est intéressant de voir non pas un pianiste tenter de mener l’orchestre mais un chef (celui du Philharmonique de Rotterdam et du Philharmonique d’Israël) assurer en sus le rôle de soliste.

Sans atermoiements, sans points de suspension entérinés par la tradition, Shani conduit la prise de pouvoir progressive du piano exactement comme elle est écrite. L’idéal d’une musique de chambre élargie à tout l’orchestre se réalise dans l’Andante con moto du Concerto no 4 où tout le monde respire d’un même souffle et regarde dans la même direction. Aux deux autres mouvements, Shani n’offre pas moins un cadre orchestral méticuleusement articulé, où il déploie au clavier un art assez subtil (cadence du troisième mouvement). Nous tenons ici une des versions les plus pertinentes de ce concerto depuis Bronfman/Zinman.

Est-ce un excès de respect, la perte d’un esprit ludique qui animait le concerto . Les premières mesures semblent subir le temps au lieu de l’investir, mais dès le , Shani prend le discours en main, avec, lorsque c’est pertinent, une mise en valeur des seconds violons et des altos dans la texture des cordes.

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