La musique en personne
Debout, de longs plis noirs vêtue ; le visage pâle et comme enchanté, illuminé des scintillements d’un lorgnon ; une main frappant le clavier, l’autre menant d’un doigt le petit orchestre en éventail autour d’elle. » Ainsi apparaît Nadia Boulanger à Paul Valéry, que comblent « l’enthousiasme et l’ordre, qui sont les deux puissances symétriques du grand art ». Ordre et enthousiasme, la pythie de la rue Ballu aura-t-elle, une heure de sa vie, manqué à ces vertus ? Visionnaire, Mademoiselle enregistrait Monteverdi dès 1937 – son legs le plus fameux avec le Requiem de Fauré, fixé en 1948. Entre les deux, elle allait confier au disque un concerto de son élève Jean Françaix, et surtout de légendaires Brahms et Schubert partagés avec Dinu Lipatti. Après la guerre et le refuge aux Etats-Unis suivrait un délicieux « Petit Concert » pas si petit puisqu’il rassemble Lully, Debussy et… Lili Boulanger.
Le coffret nouveau se concentre sur cinq autres disques, tous gravés à Paris pour Decca de l’été 1952 au printemps 1954. Officiellement ses cinq derniers, alors qu’elle formera encore deux générations de musiciens et ne mourra qu’en 1979, tremblante, aveugle mais toujours vive de ses quatre-vingt-douze printemps. C’est que, chef estimé, Maître Nadia fut d’abord un professeur. Professeur si puissant (Copland, Carter, Markevitch, Piazzolla, Nørgard, Cosma, Barenboim, Pierre Henry, Michel Legrand, John Eliot Gardiner, Emile Naoumoff…) qu’il recouvre entièrement l’artiste.
Et il faut avouer que ces (suite de paru en 1938) écorchent parfois l’oreille faute de solistes. Ce Rameau (1953) de peu d’Aix-en-Provence témoigne d’un instinct très sûr – réécoutons le « » des , exactement contemporain des pachydermiques alors tant applaudies au palais Garnier : tout y parle, tout y sonne. Hélas ! ici encore, l’Isménor de Doda Conrad et le Castor maladif de Paul Derenne plient sous le poids des ans. Et l’orchestre ne connaît pas d’autre couleur que ce coquet Trianon immortalisé après-guerre par les films « d’époque ». Ne parlons pas de la de Charpentier (elle aussi exhumée sous forme de fragments en 1953, avec Irma Kolassi et Paul Derenne en couple fatal), si justement sentie, si durement vieillie.
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