Féministe ta mère
« De toutes mes amies, c’est les cabossées sans mot dire que ma mère préfère. Les blessées silencieuses, celles qui foncent en boitant. Celles-là, elle les cajole et les fait marrer. Alors, quand Camille a quitté la table, elleJe pense que quand elle est émue, ma mère a des neurones qui se touchent. Alors, j’explique. Que les victimes de viol peuvent être très très intelligentes, mais aussi très très moches. Ou vieilles. Ou connes. Qu’elles ont, si jamais, en commun, une vulnérabilité qui fait d’elles des proies plus évidentes, et qu’on viole préférablement les plus jeunes, les moins valides, les moins riches et les plus malades. Parce que le viol n’a rien à voir avec une sexualité, mais tout à voir avec une domination. Tout à voir avec le violeur, rien à voir avec la victime. Les violeurs, eux, n’ont, à première vue, rien à voir entre eux. Rien qui permette de les reconnaître de loin – comme des yeux exorbités ou de la bave aux lèvres. Pas de pancarte sur le front pour nous prévenir du danger. Le violeur, c’est, potentiellement, ton collègue de bureau, ton patron, ton libraire – j’ai dit “potentiellement”, maman. Le violeur, c’est Monsieur Tout-le-monde, et on peut avoir envie, sur l’instant, de boire un verre avec lui. Comme on peut, à un moment donné, ne pas avoir envie d’aller plus loin. Mais c’est pas grave, tu sais. Il va survivre, même si on refuse d’écarter les cuisses. Cet afflux sanguin qui lui fait brûler les siennes, il va le supporter. Et s’il n’y arrive pas, c’est lui, le problème. C’est à lui qu’il faut demander des comptes. Pas à elles. c’était la seule question valable, maman. »
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