L’HOMME QUI NE VOULAIT PAS TRAHIR
Sirous et Fatemeh venaient de passer le portique à l’aéroport JFK, à New York, ce 21 juin 2017. Aucun problème, finalement. Il leur avait fallu deux ans pour obtenir ce visa pour les États-Unis qui leur permettait de rendre visite à leurs enfants. Bizarrement, c’était au moment même où le président Donald Trump claironnait qu’il venait d’interdire les séjours des ressortissants iraniens que le consulat américain de Dubaï les avait appelés pour leur annoncer la bonne nouvelle.
Sirous Asgari, 56 ans, professeur à l’université de technologie Sharif à Téhéran, considérait les États-Unis comme sa seconde patrie. Dans les années 1990, il avait passé son doctorat à Philadelphie. Sa fille Sara était née là-bas, ce qui faisait d’elle une citoyenne américaine. Ses deux aînés, Mohammad et Zahra, y avaient fait des études universitaires et ils étaient finalement restés. Certains de ses propres étudiants y travaillaient désormais dans des laboratoires de pointe et ses recherches le menaient de temps en temps à Cleveland.
« Avec un stylo, on peut aussi bien écrire une lettre d’amour que le mode d’emploi d’une bombe. Le problème, ce n’est pas le stylo. »
SIROUS ASGARI
Pourtant, avant que le couple ne s’égaye dans l’aéroport, deux fonctionnaires s’approchèrent de lui. Ils conduisirent rapidement Sirous et Fatemeh dans une pièce discrète où une cohorte d’hommes du FBI les attendaient : Sirous était en état d’arrestation ! Les agents lui tendirent un acte d’accusation de douze pages. Il y était accusé de vol de secrets commerciaux, de fraude au visa et de onze autres charges. Son séjour à l’université Case Western Reserve (là où a eu lieu le premier débat Biden-Trump en septembre), quatre ans plus tôt, était présenté comme le cœur d’un plan qu’il aurait ourdi pour dérober des secrets à un fabricant de soupapes local pour en faire profiter son pays. Leurs preuves, pouvait-on encore y lire, avaient été accumulées au cours de cinq ans d’interceptions électroniques : ses e-mails avaient été enregistrés avant, pendant et après le séjour en question. Il encourait une longue peine de prison. Dans la confusion, Sirous ne s’aperçut même pas que personne n’avait tamponné son visa ni ne lui avait rendu son passeport.
Pour le scientifique iranien, tout cela ressemblait à un absurde roman d’espionnage : les processus étudiés à Case Western étaient bien connus des spécialistes des matériaux comme lui ; il ne s’agissait pas du tout de secrets commerciaux.
« Si vous tenez à me poursuivre, leur dit-il, vous allez perdre.
– Nous n’avons jamais perdu.
– Eh bien, ce sera une première. »
À aucun moment, il n’avait envisagé ses voyages aux États-Unis au prisme des tensions avec l’Iran. Que des frontières et des intrigues diplomatiques puissent interférer dans les échanges intellectuels de la communauté scientifique lui semblait contre-nature. Il n’en avait pas conscience, mais un piège venait de se refermer sur lui.
La nuit suivante, Fatemeh rentra chez son fils Mohammad tandis que Sirous resta sous la garde de deux agents dans un hôtel. Puis, au matin, les policiers le conduisirent à Cleveland où le tribunal fédéral le mit en examen et décida de son incarcération immédiate dans une prison de haute sécurité.
Le FBI avait quelques raisons de s’intéresser à Sirous Asgari. L’université Sharif était à la pointe de la technologie.
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