Keith dit tout
Extrait de Rolling Stone n° 536, 6 octobre 1988
VERRE DANS UNE MAIN, CIGARETTE DANS l’autre, Keith Richards danse dans le bureau new-yorkais de sa manageuse, Jane Rose, alors que Talk Is Cheap – son premier album solo au bout d’un quart de siècle avec les Rolling Stones – passe à fond sur la stéréo. Keith n’est pas seulement là pour savourer son groove : il jette un coup d’oeil à des diapositives, tentant de choisir une pochette pour le disque. “Mettez-le dans un sac en kraft, dit-il en riant à Steve Jordan, avec qui il a écrit et produit l’album. Je me fous de cette putain de pochette.”
Enregistré avec le guitariste Waddy Wachtel, le claviériste Ivan Neville, le bassiste Charley Drayton et Jordan, ex-batteur maison du “Late Night With David Letterman”, Talk Is Cheap est un bel échantillon des racines musicales de Richards – accents cajuns sur “Locked Away”, funk sur “Big Enough”, soul de Memphis sur “Make No Mistake” et rockabilly sur “I Could Have Stood You Up”. Un autre titre, “You Don’t Move Me”, évoque les Stones, pas seulement dans le son de guitare tranchant, mais aussi dans son sujet : Mick Jagger. La chanson exprime la colère et l’amertume ressenties par Richards quand Jagger a décidé de poursuivre une carrière solo en 1986, plutôt que de tourner avec les Stones après la sortie de Dirty Work. La chanson fustige aussi le chanteur pour l’échec commercial de ses deux disques en solo : “Maintenant tu veux lancer le dé/Tu as paumé deux fois.”
Plus tard dans la semaine, Richards vient pour son interview dans le bureau de Rose, arborant des lunettes aux verres rouges, un pantalon de velours gris, une veste blanche et le même T-shirt que quatre jours auparavant : il porte l’inscription “Obergrup penführer” (grade de général dans la SS et la Waffen-SS). Il se verse un Rebel Yell-ginger ale, allume une Marlboro, pose sa veste sur le dossier d’une chaise et se met au travail. À 44 ans, Richards se décrit comme un bon père de famille. Outre deux enfants adolescents nés de sa relation tumultueuse avec Anita Pallenberg, il a eu deux petites filles avec sa femme, le mannequin new-yorkais Patti Hansen.
Quand il parle de Jagger, l’affection se mêle au ressentiment et un besoin de réconciliation lutte contre un désir tout aussi fort d’avoir raison sur l’intégrité des Stones. “C’est une lutte entre amour et haine”, chante Richards sur Talk Is Cheap. Au milieu d’une telle ambivalence de sentiments, les Stones parlent d’une réunion l’an prochain pour un album et une tournée. “Mes batailles avec Mick sont fascinantes, dit Richards. Quand tu connais quelqu’un depuis si longtemps, tant d’eau est passée sous les ponts qu’il est presque”
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