Le dernier des maquignons
Comme tous les mercredis, Jean-Pierre Dutreuilh se lève au beau milieu de la nuit. Son béret landais vissé sur la tête, il fait monter un par un ses animaux dans sa bétaillère tous feux allumés. Enveloppés d’un épais brouillard, le corps de ferme, les étables et le séchoir à tabac qui entourent la cour de l’exploitation familiale forment un décor confus et indistinct. Les nuits sont fraîches en ce mois de novembre 2018 à Birac, village de deux cents âmes du Sud-Ouest cerné au nord par les vignes bordelaises et par la forêt landaise au sud. Blouse noire, bottes impeccables, bâton posé sur le siège passager, le maquignon s’élance, à trois heures tapantes, sur les petites routes de campagne girondines. Direction Agen et son marché aux bestiaux hebdomadaire.
Les yeux fixés sur l’asphalte dont il connaît chaque lézard, le septuagénaire roule prudemment. «Je passe rarement plus de huit jours sans aller au marché, lance-t-il avec son accent chantant de Gascon, parce que c’est un peu ma vie.» Aujourd’hui, il espère vendre six vaches de réforme, achetées la veille à un client, et un jeune broutard issu de son troupeau d’une centaine de têtes, principalement des bazadaises, une race locale de petite taille, rustique et à la robe grise qui lui vaut aussi le nom de «grise de Bazas».
A l’entrée du foirail, malgré l’heure matinale, de nombreux camions remplis de bétail patientent déjà devant la loge où s’effectuent les enregistrements pour accéder au marché. A l’intérieur, imperturbable, une femme d’une quarantaine d’années, cheveux blonds et petites lunettes posées sur le bout du nez, remplit un à un les formulaires. «C’est la comptable de la mairie d’Agen», me souffle Jean-Pierre. Quand elle l’aperçoit, elle passe la tête par la guérite et lui fait signe d’avancer directement jusqu’au parking. Il
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