Sept

L’hydre de l’or

A travers les interstices, je ne distingue qu’une vague lueur tremblotante au fond d’un trou étroit. «Regarde bien, quelqu’un remonte», me souffle-t-on à l’oreille depuis l’extérieur d’une cabane en bois dissimulée au milieu d’une colline de bananiers. A l’intérieur, trois matelas, une trentaine de sacs à dos et ce trou noir: une mine d’or artisanale en plein cœur de la petite ville de Tarkwa, 300 kilomètres à l’ouest d’Accra. L’homme qui tente péniblement de s’en extraire, en cet après-midi pluvieux d’octobre 2018, revient des galeries qui serpentent à plus cent mètres de profondeur. Il est à bout de force. Ses haltes se multiplient. Une main saisit bientôt le dernier barreau de l’échelle de bois, et le voilà qui se hisse enfin à la surface. Depuis quand ce corps sec aux épaules surdimensionnées et à la peau blanchie par l’argile n’a-t-il pas vu la lumière du jour? Ses collègues ne savent plus trop. Deux jours, peut-être trois. Le mineur d’une vingtaine d’années dépose sur le sol de terre battue ses cailloux grisâtres, puis ôte ses vêtements qu’il essore machinalement. «Cette eau, elle ne vient pas d’en bas, elle vient du stress, commente Salif *, le superviseur planté à l’entrée de la cabane, aussi placide que méfiant. C’est un métier très dur. Tu descends avec un marteau, un burin, une lampe. Le reste n’est que force humaine. Tu dois creuser, creuser. Tu ne peux pas revenir les mains vides.»

Pour quelques grammes d’or, ils sont des milliers comme Kobi* à s’enfoncer sous terre, la peur au ventre. Peur d’être enseveli. Peur aussi de se faire épingler par les forces de l’ordre. Depuis que le gouvernement ghanéen a instauré, en avril 2017, un moratoire sur l’exploitation aurifère artisanale, il traque les mineurs illégaux avec une force spéciale de 400 soldats et policiers (Opération Vanguard). Deux mille personnes ont déjà été arrêtées, mais plus nombreuses encore sont celles qui continuent à braver l’interdiction. A moins d’un kilomètre de la cabane, dans une mini-ville de bric et de broc, nous croisons des travailleurs affairés autour d’une autre mine d’or souterraine. Leurs regards sont glaçants. «Allez-vous-en!» scande un groupe d’hommes en nous barrant la route. «Les militaires sont intervenus juste en face, nous explique sur un ton plus amène, Joe*, 66 ans, leur patron. Ils pourraient débarquer.» Autour de lui, un ballet continu d’hommes suintants et voûtés évacue à la hâte des sacs de riz de 50 kg chargés de gravats, sous l’œil attentif d’une dizaine de gardes informés par téléphone des mouvements de Vanguard. Ce site emploie 3’000 personnes et fonctionne non-stop, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Sur le plateau surplombant l’entrée du tunnel ont été construits un restaurant et de spartiates salles de repos. Malgré son appréhension, Joe, chapeau détrempé, regard fatigué, nous invite à nous asseoir avec lui sur un banc. «Depuis le moratoire, il n’y a plus d’argent, soutient-il. Ici, l’Etat ne t’aide pas, tu dois trouver toi-même les solutions. Cette mine, c’est tout ce qu’on a pour s’en sortir. Elle a été ouverte par les Britanniques pendant la colonisation. C’est avec cet or qu’ils ont construit la ville de Londres. Et de l’or, il y en a encore plein à l’intérieur!» Quant à la sauvegarde de l’environnement, au nom de laquelle les autorités ghanéennes

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