Un village au Parlement: La mobilisation LGBTQ+ dans l'arène partisane canadienne (1960-2019)
Par Valérie Lapointe et Luc Turgeon
()
À propos de ce livre électronique
Comment expliquer que les communautés LGBTQ+ autrefois criminalisées soient désormais courtisées par les partis politiques en période électorale et possèdent des structures internes de représentation au sein des partis politiques – autant ceux de gauche que de droite ? Comment expliquer la présence de tous les partis politiques aux événements de la Fierté lors de certaines périodes estivales et l’absence de certains partis politiques à d’autres moments ? Quel genre de stratégie le mouvement social a-t-il mis en place pour obtenir autant de gains pendant une période aussi courte dans l’histoire de la démocratie canadienne ?
Alors que plusieurs chercheur·es se sont penché·es sur le nouveau phénomène social que constitue la présence des communautés LGBTQ+ dans la démocratie canadienne, cet ouvrage est le premier à retracer l’histoire de la relation que le mouvement LGBTQ+ a construite et entretenue avec les partis politiques au Canada de 1960 à 2019. Il explore deux dimensions clés de la relation : la mobilisation du mouvement dans l’arène partisane et la réactivité des partis à cette mobilisation.
Appuyé sur des entrevues, des plateformes électorales, des archives et des médias, Un village au Parlement : la mobilisation LGBTQ+ dans l’arène partisane canadienne (1960-2019) met en lumière les dynamiques complexes entre revendications identitaires et calculs électoraux.
L’ouvrage s’adresse aux chercheur·es en science politique, aux militant·es LGBTQ+, aux étudiant·es en études de genre, aux historien·nes du Canada contemporain, et à toute personne intéressée par les dynamiques entre mouvements sociaux et institutions politiques.
Valérie Lapointe
Valérie Lapointe est titulaire d’un doctorat en science politique de l’Université d’Ottawa avec majeure en politique canadienne et a fait ses études postdoctorales de politique comparée à l’Université d’Édimbourg, en Écosse. Elle est présentement directrice associée au Centre d’excellence sur la fédération canadienne à l’Institut de recherche en politiques publiques.
Lié à Un village au Parlement
Idéologies politiques pour vous
Les Etats Africains Unis: L'Etat Fédéral Africain Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMes idées politiques - Charles Maurras -1937 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTraité théologico-politique: Une exploration révolutionnaire de la liberté de penser, de la critique biblique et de la séparation Église-État Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLA GUERRE PAR D'AUTRES MOYENS: Rivalités économiques et négociations commerciales au XXIe siècle Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L'idéologie allemande: une oeuvre posthume de Karl Marx et Friedrich Engels, sur les jeunes hégéliens et sur le matérialisme historique. Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPrenez le pouvoir !: Message aux jeunes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Magna Carta, son importance pour le Canada: La démocratie, le droit et les droits de la personne Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Anarchisme: Les Grands Articles d'Universalis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVladimir Poutine a raison : l’Occident ment ! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa doctrine du fascisme: Manifeste politique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’idéologie néolibérale : ses fondements, ses dégâts: Essai politique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNotre avenir en Danger ? Agenda 2030: La Vérité sur la Grande Réinitialisation, le WEF, l'OMS, Davos, Blackrock et l'Avenir du G20 Mondialiste Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationManifeste des écologistes atterrés: Pour une écologie autonome, loin du politique circus Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Résistance. 1939-1945: Combattre pour sauvegarder la liberté Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMein Kampf: Tome I Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes souterrains de la démocratie: Soral, les complotistes et nous Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes politiciens n'ont pas d'enfants Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDéwox: Bon sens 1, wokisme 0 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa peur, arme politique: Gouverner, c'est faire peur… et rassurer Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5La tentation de l'extrémisme: Djihadistes, suprématistes blancs et activistes de l'extrême gauche Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Un village au Parlement
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Un village au Parlement - Valérie Lapointe
INTRODUCTION
Comment expliquer qu’une communauté autrefois criminalisée soit désormais courtisée par les partis politiques en période électorale et possède des structures internes de représentation au sein des partis politiques – autant ceux de gauche que de droite ? Comment expliquer la présence de tous les partis politiques aux évènements de la Fierté lors de certaines périodes estivales et l’absence de certains partis politiques à d’autres moments ? Quel genre de stratégie le mouvement social¹ a-t-il mis en place pour obtenir autant de gains pendant une période aussi courte dans l’histoire de la démocratie canadienne ? Comment les enjeux LGBTQ+ se sont-ils imposés comme des thématiques incontournables en politique active ? Alors que plusieurs chercheur.es se sont penché.es sur le nouveau phénomène social que constitue la présence des communautés LGBTQ+ (lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans et queers)² dans la démocratie canadienne (Smith, 1999, Tremblay, 2013, 2022 ; Rayside, 1998, 2012 ; Warner, 2002), cet ouvrage est le premier à retracer l’histoire de la relation que le mouvement LGBTQ+ a construite et entretenue avec les partis politiques au Canada. Il explore les mécanismes inhérents à la relation entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques au Canada, par le biais de deux variables, soit 1) la mobilisation LGBTQ+ dans l’arène partisane ; 2) la réponse des partis politiques à cette mobilisation. Initialement réfléchie et rédigée dans le cadre d’une thèse de doctorat, cette recherche couvre près de 70 ans d’histoire, 1 mouvement social et 4 partis politiques dominant l’échiquier fédéral. Fondée sur la conduite de 28 entrevues semi-dirigées ainsi que sur l’analyse de 76 plateformes électorales, des archives et des médias écrits à grand tirage ainsi que spécialisés, la recherche propose de saisir comment les communautés LGBTQ+ ont réussi à se tailler une place dans la démocratie canadienne en établissant des relations pérennes avec les partis politiques. Ce faisant, cette recherche permet de mieux comprendre ce qui fait du Canada l’un des pays les plus « progressistes » au monde à l’égard du traitement qu’il réserve aux personnes qui s’identifient dans le large spectre de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres (Rayside, Hunt et Shortt, 2014, p. 157). Elle offre également des pistes de réflexion pour comprendre les actions politiques futures en ce qui concerne les enjeux LGBTQ+ au Canada. Par le biais de cet ouvrage, j’espère que cette recherche sera accessible et utile pour les scientifiques, les étudiant.es collégiaux et universitaires, les militant.es, les partis politiques et l’électorat qui, par le biais de leur vote, de leur intention et de leur opinion, jouent un rôle notoire dans ce jeu de balancier entre partis politiques et mouvements sociaux dans notre démocratie. Par ailleurs, avant d’aborder de front la thématique principale du livre, je tenais à consacrer quelques pages au contexte qui succède à cette étude, soit les politiques LGBTQ+ au palier fédéral, mais également dans les provinces canadiennes. Cette mise en contexte est nécessaire, car elle illustre l’importance d’intégrer l’étude des politiques LGBTQ+ à la science politique de façon soutenue. Si ces politiques font très peu partie du cursus universitaire classique en science politique, les politicien.nes de différents paliers de gouvernance y accordent actuellement une grande attention, plaçant ces thématiques au cœur de leur campagne électorale, les utilisant même comme baromètre pour saisir les préoccupations de l’électorat. Il n’est plus possible de traiter les politiques LGBTQ+ comme un cas à part, comme une marge de la politique active, comme un objet d’étude de dernier rang. Les prochaines pages en font la démonstration.
1. RÉCENT CONTEXTE : SURVOL DU PALIER FÉDÉRAL ET DE CERTAINES PROVINCES CHOISIES
L’année 2016 a marqué un tournant important dans l’histoire des communautés LGBTQ+ du Canada. En effet, la Loi canadienne sur les droits de la personne a alors été modifiée afin d’inclure l’identité et l’expression de genre comme motifs illicites de discrimination, une initiative du gouvernement libéral de Justin Trudeau. Lors de l’annonce de cette modification législative, le premier ministre s’engageait à participer aux festivités entourant les semaines de la Fierté dans les trois villes les plus peuplées du Canada : Toronto, Montréal et Vancouver. Une première dans l’histoire canadienne puisque les défilés de la Fierté, bien que jouissant de la présence des partis politiques municipaux, provinciaux et fédéraux depuis plusieurs années, n’avaient encore jamais bénéficié de la présence d’un premier ministre canadien. Ce dernier nommait un conseiller spécial dédié aux dossiers LGBTQ+ issu de son aile parlementaire, une autre première au pays. Il s’agissait du député libéral ouvertement gai, Randy Boissonnault. Sa présence offrait aux communautés issues de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres un interlocuteur privilégié au bureau du premier ministre. Par ailleurs, les initiatives du gouvernement Trudeau en faveur des communautés LGBTQ+, par exemple la mise sur pied d’une structure pérenne dans l’appareil gouvernemental sous la forme d’un secrétariat LGBTQ2, se sont multipliées au courant de son premier et second mandat, contrastant avec le climat politique peu favorable envers celles-ci qui avait lieu sous la gouverne conservatrice (Dryden et Lenon, 2016).
Or, les partis qui gouvernent ne sont pas les seuls à se positionner sur l’échiquier politique en matière de sexualité et d’identité de genre non hétérocisnormatives. En effet, tout comme le mouvement féministe à la fin des années 1960, le mouvement LGBTQ+ est devenu un acteur politique important qui, depuis les années 1970, a interpelé directement les partis politiques, les élu.es et les gouvernements, les forçant ainsi à répondre et à prendre position sur une pléthore d’enjeux concernant la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Comme le souligne Fred Litwin, vice-président de l’Ottawa Centre Conservative Association en parlant de son implication au sein du Parti conservateur du Canada : « I can no longer shock people in the conservative movement when I tell them I’m gay – but I can shock gay people when I tell them I’m Conservative » (Hopper, 2012). Cette relation entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques représente, à ce jour, un point d’ombre dans la littérature.
En effet, l’arène partisane, comme lieu de mobilisations investi par le mouvement LGBTQ+, n’a pas encore été l’objet d’une recherche approfondie, tout comme l’impact qu’ont ces mobilisations sur les partis politiques canadiens. Pourtant, les partis politiques (sans égard au palier de gouvernance) ont désormais leur contingent dans chacun des défilés de la Fierté au pays et les partisan.es LGBTQ+ bénéficient d’espaces militants qui leur sont propres à l’intérieur de certains partis politiques. Qui plus est, en période électorale, les communautés LGBTQ+ du pays sont souvent directement sollicitées dans les grands centres urbains avec la mise sur pied d’initiatives citoyennes sous forme de débats politiques sur des thématiques entourant la diversité sexuelle et la pluralité des genres. D’ailleurs, le mouvement LGBTQ+ au Canada compte désormais un organisme nommé ProudPolitics qui se consacre à la représentation politique des membres des communautés LGBTQ+ dans le processus électoral des trois paliers de gouvernance au pays (municipal, provincial et fédéral). La résultante est une relation qui se construit et qui s’enracine dans le paysage politique canadien entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques au Canada. Par ailleurs, malgré cette relation facilement observable sur la scène politique canadienne, les dernières années au Canada ont été le théâtre de prises de position politiques régressives pour les communautés LGBTQ+, notamment avec la montée de l’extrême droite, un phénomène récent qui commence à être mieux documenté au Canada (Gagnon 2023, 2020 ; Tanner et Campana, 2019). Ces politiques régressives ont pris différentes formes, et ce, sur différents paliers de gouvernance. Plusieurs exemples tirés de l’actualité politique l’illustrent.
2. ENJEUX LGBTQ+ DANS LES PROVINCES : DES POLITIQUES RÉGRESSIVES AU CALENDRIER
Avant de présenter trois contextes provinciaux, deux éléments du palier fédéral méritent d’être soulignés en matière de recul. D’une part, l’ex-député Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada (PPC), s’est engagé, par le truchement de sa plateforme électorale mise en ligne le 12 mai 2023, à contrer l’« idéologie radicale du genre » dans laquelle on peut lire « les femmes et les enfants doivent être protégés des conséquences néfastes de cette idéologie » (Parti populaire du Canada, 2023). Ciblant directement les personnes trans, plus particulièrement les femmes et les enfants trans, le PPC fait plusieurs propositions, dont deux principales : 1) rétablir les thérapies de conversion qui consistent à changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre contre la volonté d’une personne³ ; 2) rétablir le droit de discriminer sur la base de l’identité de genre et de l’expression de genre⁴ (Parti populaire du Canada, 2024). Fait étonnant de cette plateforme électorale, ces engagements sont les premiers de la plateforme et s’y retrouvent bien avant les engagements de nature économique ou militaire. D’autre part, à l’été 2024, alors que les sondages lui sont favorables, Pierre Poilièvre, chef du Parti conservateur du Canada (PCC), fait le choix de ne pas participer aux différents évènements de la Fierté au pays, notamment à ceux de Toronto avec lequel culmine le mois de la Fierté au Canada. Une rupture avec son prédécesseur, Erin O’Toole, qui avait participé à ces évènements en plus d’enregistrer une vidéo offrant son appui aux communautés LGBTQ+ du pays (Taylor, 2021). O’Toole avait, à titre d’exemple, affirmé l’appui du PCC à interdire les thérapies de conversion en dépit de plusieurs député.es dans ses rangs ouvertement contre la proposition. Poilièvre, pour sa part, n’a pas opté pour des positions claires sur les enjeux LGBTQ+, quoi qu’il ait déjà affirmé ne reconnaitre que deux genres. Son absence des festivités de la Fierté illustre cependant un recul en matière de relation entre le mouvement LGBTQ+ et le Parti conservateur au Canada, qui, depuis 2015, avait noué des liens plus importants qu’historiquement.
Le palier fédéral n’est, par ailleurs, pas le seul à mettre en scène des partis politiques qui prennent un pas de distance avec le mouvement LGBTQ+. Dans les deux dernières années (2023-2024), trois provinces au Canada (Nouveau-Brunswick, Saskatchewan et Alberta) ont légiféré dans le but de restreindre les droits des communautés LGBTQ+, mais beaucoup plus spécifiquement les droits des personnes trans et des mineurs trans de leur province respective en respect de leurs champs de compétence⁵. Des décisions politiques qui détonnent de celles du palier fédéral sous la gouverne de Justin Trudeau, mais qui illustrent des changements importants dans l’environnement politique du pays en matière d’enjeux LGBTQ+. Les prochains paragraphes résument les intentions et actions politiques des trois provinces désignées, qui ont été particulièrement actives en 2023-2024 sur les enjeux trans.
En juin 2023, le Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick, alors au gouvernement, annonce qu’il est prêt à réviser la politique 713⁶ qui offre une protection aux élèves LGBTQ+ dans les écoles. Au moment d’écrire ces lignes, ces modifications étaient toujours en discussion puisque certaines commissions scolaires refusaient de les faire appliquer. L’affaire a été portée devant les tribunaux. Par ailleurs, rappelons simplement à titre factuel que c’est ce même gouvernement (progressiste-conservateur) qui a fait adopter cette politique en 2020 et qui en a ainsi établi les balises. C’est donc sa propre politique que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a tenté de modifier. Lors du scrutin de l’automne 2024, il a par la suite perdu ses élections aux mains du Parti libéral du Nouveau-Brunswick avec Susan Holt à sa tête. Sa récente défaite aux élections pourrait avoir une incidence sur d’autres provinces, comme l’Alberta et la Saskatchewan, qui ont été tentées de faire un pari similaire. En effet, la politique du Nouveau-Brunswick semble indiquer que les électeur.ices ne souhaitent pas faire des enjeux trans un enjeu majeur dans cette province et désirent plutôt que les politicien.nes se concentrent sur d’autres thématiques. Le cas du Nouveau-Brunswick pourrait contribuer à décourager les autres provinces à faire de même, mais cela reste à voir.
En septembre 2023, le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, à la tête du Saskatchewan Party (parti politique réputé de centre droit), a invoqué la clause dérogatoire⁷ pour faire passer sa législation interdisant aux établissements scolaires (personnel enseignant, psychologues, travailleur.es sociaux, psychoéducateur.es, etc.) de nommer l’élève par le prénom ou pronom choisi par celui-ci sans obtenir préalablement le consentement de ses parents (et ainsi explicitement les en tenir informés) et ce, avant 16 ans. La législation (projet de loi 137) se nomme explicitement la loi sur les droits des parents (traduction libre de Parents’ Bill of Rights) et inclut également une clause permettant aux parents de retirer leurs enfants des cours sur l’éducation à la sexualité. La loi est adoptée le 20 octobre 2023 après 40 heures de débat. Plusieurs député.es du gouvernement sont absent.es de la Chambre lors du vote sur le projet de loi (Hunter, 2023). Fait intéressant : cette décision du Saskatchewan Party ne figurait pas dans le programme électoral du parti et n’avait donc pas été annoncée à l’avance. L’affaire a été portée en appel et était toujours devant les tribunaux à la fin de l’année 2024 (Brezinski, 2024).
Le 1er février 2024, la première ministre de l’Alberta et cheffe du United Conservative Party, Danielle Smith, a annoncé son intention de légiférer sur les soins affirmatifs du genre. Dans une vidéo de sept minutes parue sur les réseaux sociaux, Smith annonce une série de mesures fondées sur des interdictions, notamment 1) l’interdiction de pratiquer des chirurgies sur des personnes mineures (pratique relativement rare dans les faits) ; 2) l’interdiction d’utiliser des bloqueurs d’hormones pour les adolescent.es de moins de 15 ans ; 3) l’obligation d’obtenir le consentement parental pour les adolescent.es de 16 et 17 ans ; 4) l’obligation des parents d’enregistrer leur consentement pour chaque cours d’éducation à la sexualité ; 5) l’obligation d’obtenir le consentement parental lorsque l’élève désire utiliser un autre prénom ou pronom à l’école et, enfin, 6) l’interdiction des femmes trans de faire du sport compétitif féminin (French, 2024). Le projet de loi est passé en troisième lecture et est en très bonne voie d’être adopté avant Noël. Il a été annoncé par Egale Canada⁸ ainsi que Skipping Stone Foundation (organisme qui vient en aide aux personnes trans en Alberta) qu’ils poursuivraient la province pour invalider cette loi dès son adoption⁹ (Johnson, 2024).
Ce bref résumé de l’actualité politique des dernières années permet de mettre en contexte l’objet de recherche de cet ouvrage et les raisons pour lesquelles il est impératif de mieux comprendre ce qui motive les partis politiques à se positionner sur les enjeux LGBTQ+ et, incidemment, ce qui motive les communautés LGBTQ+ à approcher les partis politiques. En effet, les enjeux LGBTQ+ et les politiques qui en découlent ne sont pas une mode en politique, mais plutôt un aspect de la démocratie au Canada qui s’inscrit dans un contexte et une histoire à la fois propres au Canada en raison de son système et de sa culture politique, mais également génériques, dans la mesure où d’autres démocraties en ont fait ou en font présentement l’expérience. Sans équivoque, le Canada est un cas de figure particulièrement intéressant pour quiconque s’intéresse aux enjeux LGBTQ+ et à la politique active.
3. MÉTHODE ET SOURCES DE LA RECHERCHE
J’ai choisi le Canada comme espace de recherche, car les auteur.es qui se sont intéressé.es à la mobilisation du mouvement LGBTQ+ en politique comparée soulignent que le Canada est l’un des pays les plus progressistes au monde à l’égard du traitement qu’il réserve aux personnes qui s’identifient comme non hétérosexuelles et non cisgenres (Rayside, Hunt et Shortt, 2014, p. 157). Si la littérature démontre que les stratégies judiciaires du mouvement LGBTQ+ ont porté fruit dans le contexte canadien, il me semblait également intéressant de tenter de trouver des pans d’explications de ce progressisme dans la pratique politique canadienne. Pour réaliser cette recherche et ainsi bonifier la littérature sur cette thématique particulière, je cible les partis dominants sur l’échiquier politique fédéral, soit le Nouveau Parti démocratique (NPD), le Parti progressiste-conservateur (PPC) qui est aujourd’hui le Parti conservateur du Canada (PCC), le Parti libéral du Canada (PLC) et le Bloc Québécois (BQ). Si ces partis ont tous à l’intérieur de leurs familles politiques des militant.es LGBTQ+¹⁰, la façon dont leurs militant.es s’organisent sur la base de leurs orientations sexuelles et identités de genre diffère d’un parti à l’autre. De plus, je cible les organisations LGBTQ+ pancanadiennes issues de la société civile qui transigent avec les partis politiques fédéraux¹¹. Afin de conserver l’anonymat de certaines de mes entrevues, il m’est impossible d’indiquer les organismes que j’ai ciblés de manière spécifique. Je peux néanmoins souligner que ces organisations interpellent les partis politiques canadiens.
Mon analyse des interactions entre les partis politiques canadiens et le mouvement LGBTQ+¹² prend ancrage sur une période couvrant les années 1960 à 2019. Une étude longitudinale permet de rendre visibles les tournants dans la récente histoire des partis politiques canadiens au regard des enjeux LGBTQ+, en plus de me permettre de lier ces changements aux différentes stratégies de mobilisation dans l’arène partisane. Cette période me permet aussi de couvrir le premier mandat de gouvernance de Justin Trudeau, particulièrement favorable au mouvement LGBTQ+, et d’analyser les changements que son arrivée au pouvoir a induits après neuf ans de gouvernement conservateur. Enfin, tracer les variations stratégiques sur une période aussi longue me permet de cibler les moments où les partis politiques ont été les plus sensibles aux mobilisations du mouvement LGBTQ+ et les moments où cette alliance a été mise à mal. Par ailleurs, afin de faire un examen approfondi de la relation entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques canadiens, l’ensemble des enjeux et des politiques touchant les communautés LGBTQ+ sont pris en compte. Les partis politiques sont généralement peu bavards en matière de sexualités et de genres ; par conséquent, il ne m’était pas nécessaire de restreindre la recherche en ciblant des politiques publiques précises pour la période choisie. Dans ce livre, les réponses des partis politiques sont opérationnalisées, comme les effets de la mobilisation du mouvement LGBTQ+, sur deux dimensions de la vie des partis : 1) les prises de position politiques ; 2) les structures partisanes de réflexions et de représentations internes.
3.1 Sources
L’analyse effectuée aux fins de la présente recherche est qualitative. Afin de répondre à la question principale et aux questions secondaires au cœur de cette recherche qui porte sur la relation entre le mouvement LGBTQ+¹³ et les partis politiques canadiens, j’ai procédé à une analyse documentaire ainsi qu’à la conduite d’entrevues semi-dirigées. L’analyse documentaire se fonde sur différents types de données, nommément l’ensemble des programmes politiques des partis fédéraux de 1960 à 2019 ; des résolutions et autres formes de documents produits par les partis politiques entre les élections touchant spécifiquement à des enjeux LGBTQ+ ; des archives LGBTQ+ canadiennes¹⁴ ; des articles de journaux, des chroniques et lettres d’opinion issues de la presse écrite canadienne à grand tirage ainsi que des articles de journaux spécialisés LGBTQ+. D’une part, j’ai collecté puis analysé l’ensemble des programmes des partis politiques fédéraux depuis 1960 jusqu’à l’élection en 2019. Cette période se compose de 19 législatures (couvrant ainsi 19 élections et 76 plateformes électorales)¹⁵. Elle est fertile en contenu électoral, puisque les partis politiques proposent un programme distinct à chacune des élections. Elle est également marquée par des changements sur l’échiquier politique, puisque cette période sous-tend à la fois la naissance du Nouveau Parti démocratique (1961) et du Bloc Québécois (1991), mais également la présence de partis politiques qui n’existent plus aujourd’hui, nommément le Parti progressiste-conservateur (disparu en 2003), l’Alliance réformiste conservatrice canadienne (fondée en 2000 et disparue en 2003) et le Parti Crédit Social du Canada (dissous en 1993)¹⁶. D’autre part, afin de situer dans le temps les réponses des partis politiques, j’ai effectué des recherches dans le Toronto Star, le Globe and Mail et La Presse. J’ai, de plus, effectué des recherches dans les magazines LGBTQ+ spécialisés nommément Xtra !, Fugues et The Body Politic¹⁷.
L’analyse de ces journaux en importance au Canada (dans les communautés anglophones et francophones) s’est avérée plutôt efficace, en dépit du fait que la présente recherche n’en soit pas une d’analyse discursive de la presse, pour : 1) me permettre de saisir les contours du contexte politique des quatre dernières décennies ; 2) m’aider à cibler les sondages d’opinion publique ayant eu une large visibilité lors de périodes clés ; 3) me permettre de cerner les réponses des partis politiques à travers de nombreuses entrevues accordées à ces médias sur les thématiques que j’étudie et 4) rendre possible la bonification de la collecte d’informations tirées de mes entrevues.
L’accès aux acteur.rices clés du mouvement LGBTQ+ pour mener les entrevues a été facilité par mon implication active au sein du mouvement LGBTQ+ au Québec entre 2015 et 2018, où j’ai occupé les fonctions d’administratrice, puis de vice-présidente du Conseil québécois LGBT, l’organisme principal de défense des droits LGBTQ+ au Québec. La prise de contact avec des partis politiques fédéraux a également été facilitée par mon parcours professionnel comme attachée politique, puis conseillère politique au sein de deux gouvernements distincts du palier provincial. Il est fréquent en politique active de voir le personnel politique changer de palier, parfois lors d’un changement de gouvernement dans l’un ou l’autre des paliers, parfois lorsqu’il y a des affinités idéologiques dans la famille politique de gouvernance. J’ai ainsi développé un réseau élargi de contacts au sein des quatre partis politiques fédéraux par l’entremise d’ancien.nes collègues et employeur.es. Par conséquent, cette recherche est le fruit de cette jonction entre mon parcours académique, professionnel et militant. Cette recherche est bonifiée par ce parcours unique et son idéation en est le fruit.
Les entrevues semi-dirigées, d’une durée approximative d’une heure, ont permis à la fois de donner vie aux données secondaires susmentionnées et de dépasser les limites d’une analyse documentaire qui se consacre uniquement à des données secondaires. Ces entrevues se sont tenues principalement sur une période de quatre mois, entre novembre 2020 et février 2021. Toutefois, certaines entrevues ont été faites lors du printemps 2022 afin de me permettre de raffiner certains éléments soulevés initialement lors de ma première vague d’entrevues. Cette période précise m’a permis de contacter et de m’entretenir avec certain.es élu.es et membres du personnel politique encore en fonction en regard du calendrier parlementaire. Les entretiens ont été faits par l’intermédiaire de la plateforme Zoom. La situation sanitaire au Canada à ce moment, encore aux prises avec la pandémie de la COVID-19, a rendu impossibles les rencontres en personne. Par ailleurs, Zoom s’est avéré un outil efficace pour mener les entrevues, puisqu’il m’a été possible d’enregistrer l’ensemble de mes entretiens et de les transcrire fidèlement par la suite. Tout comme les programmes des partis politiques et les articles de journaux, les entrevues ont été codées avec le logiciel mixte NVivo 12. Au total, ce sont 28 entrevues¹⁸ qui ont été effectuées pour mener à bien cette recherche. Onze participant.es ont préféré garder l’anonymat pour des raisons professionnelles, alors que dix-sept m’ont autorisée à rendre publique leur contribution dans le cadre de cette recherche¹⁹. Un exemplaire du questionnaire d’entrevue est disponible à l’annexe A.
Enfin, il m’importe de souligner que c’est avec générosité que ces participant.es ont collaboré aux entretiens, partageant leur expérience et leur expertise. Bien que dirigées par la structure des entretiens, leurs histoires permettent de saisir le sens et l’ampleur de cette relation à la fois générique et particulière qui s’est construite et continue de s’entretenir entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques canadiens.
4. ARGUMENTS PRINCIPAUX DE LA RECHERCHE ET CADRE D’ANALYSE
Afin de comprendre ce qui motive les partis politiques contemporains à adopter des politiques LGBTQ+, qu’elles soient positives ou régressives, et de mieux saisir pourquoi ces thématiques se retrouvent au cœur de la vie politique et judiciaire du pays, il importe de comprendre la manière dont la relation du mouvement LGBTQ+ s’est construite avec les partis politiques au Canada. Le présent livre documente et effectue l’analyse critique de la relation particulière qui existe entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques fédéraux depuis 1960 jusqu’à 2019. À partir de la littérature, mais également de l’actualité politique de la dernière décennie, ce livre émet un postulat de départ : le mouvement LGBTQ+ canadien interagit avec les partis politiques et les partis politiques répondent et s’engagent avec le mouvement LGBTQ+.
Ce faisant, ce livre cible deux objectifs : 1) identifier les formes que prend la mobilisation du mouvement LGBTQ+ dans l’arène partisane (en portant une attention particulière à ses variations dans le temps) et identifier, décrire et analyser ses stratégies ; 2) analyser la réponse des partis politiques canadiens à cette mobilisation. En ce sens, ces deux dimensions constituent, pour prendre un vocabulaire plus positiviste, les deux variables dépendantes de mon étude, comme illustré à la figure I.1 ci-dessous.
FIGURE I.1
Objet d’étude du livre
Source : Lapointe, 2023.
Ces objectifs de recherche me permettent de soutenir trois arguments principaux. Premièrement, je démontre comment, pour le mouvement social, les structures de représentations LGBTQ+ internes des partis politiques ne constituent pas un espace de mobilisation. C’est davantage le personnel politique qui s’identifie comme out²⁰ ainsi que les député.es qui s’affichent ouvertement comme étant membres des communautés qui constituent l’espace privilégié pour influencer le programme politique. Deuxièmement, les partis politiques répondent à la mobilisation du mouvement LGBTQ+ en fonction de quatre facteurs distincts, soit la vulnérabilité électorale des partis politiques, l’idéologie portée par le parti, la structure des partis (de masse ou de cadre) ainsi que la présence du personnel out à l’intérieur des partis. Troisièmement, sur cet aspect particulier, cette recherche contribue à redéfinir le concept d’allié.es dans la littérature sur les mouvements sociaux, qui traduit mal le rôle clé joué par les partisan.es out au sein des partis politiques.
De surcroit, ce travail de recherche permet de soutenir que le mouvement LGBTQ+ canadien a adopté une approche multipartisane pour l’ensemble de son histoire. Si le mouvement LGBTQ+ a agi de manière autonome pour approcher les partis politiques canadiens, il a adopté une posture multipartisane transigeant avec le Bloc Québécois, le Nouveau Parti démocratique et le Parti libéral du Canada. Comme vous le constaterez à la lecture de ce livre, cette recherche, qui couvre 70 ans de démocratie, a permis de générer
