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Tout cet amour perdu: et autres épisodes de la vie quotidienne
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Tout cet amour perdu: et autres épisodes de la vie quotidienne
Livre électronique140 pages1 heure

Tout cet amour perdu: et autres épisodes de la vie quotidienne

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À propos de ce livre électronique

Qu’est-ce qu’une vie, sinon une succession d’instants, de rencontres, d’épreuves et d’élans que l’on cherche à retenir ?
Dans ces récits sensibles et lumineux, Véronique Auzépy-Chavagnac donne voix aux bouleversements de l’intime : la découverte de l’aventure enfantine, les espoirs et les désillusions de Mai 68, les combats d’une femme dans sa vie professionnelle et familiale, les fragilités d’une société en mutation.
Avec une écriture alerte et pleine d’humanité, l’auteure esquisse des portraits où chacun pourra reconnaître une part de sa propre histoire. On y croise des héroïnes discrètes, des figures familiales, des personnages pris dans la tourmente des idéaux ou dans la banalité des jours, mais toujours habités par une même quête : donner sens et profondeur à l’existence.
Ces nouvelles composent une fresque vivante, où l’émotion et la réflexion s’entrelacent, offrant au lecteur une méditation sur le temps, la mémoire et la force des liens qui nous unissent.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Passionnée de littérature et d’histoire, Véronique Auzépy-Chavagnac a enseigné à l’Institut catholique et à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture et a publié un roman, Les Enfants des hommes, aux éditions Feuillage, en 2024.
LangueFrançais
ÉditeurSaint-Léger Editions
Date de sortie22 oct. 2025
ISBN9782385225322
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    Aperçu du livre

    Tout cet amour perdu - Véronique Auzépy-Chavagnac

    Page de titre

    Véronique Auzépy-Chavagnac

    Tout cet amour

    perdu

    et autres épisodes

    de la vie quotidienne

    Dédicace

    À ma mère,

    à son talent de nouvelliste.

    L’Aventure

    L’Aventure est venue me chercher quand je ne l’attendais plus. Elle avait les couleurs du printemps, sa gaieté, sa pétulance. Elle a surgi devant moi, toute neuve, toute fiérote alors qu’on était en hiver. Pourtant, je le sais, elle ne m’avait jamais vraiment quittée. Enfant, au creux de mon lit à barreaux, elle me tenait éveillée à l’heure de dormir, projetant sur le mur d’étranges silhouettes d’animaux que je dessinais au matin sur des morceaux de carton étalés bout à bout sur le plancher. Ils formaient un défilé de chimères, chats-oiseaux, chiens-hérissons, lapins-escargots prêts à m’escorter dans le pays de mes rêves. Plus tard, lorsque j’eus appris à écrire, j’entrepris de raconter nos voyages, nos luttes, nos conquêtes. Je tendais l’oreille à leurs récits que je traduisais en une formidable épopée confiée aux pages d’un cahier de brouillon.

    Et puis l’Aventure s’est perdue, elle a déserté mes songes. L’École imposait son autorité, ses règles, son savoir. Même en s’efforçant de lui échapper – tant de maladies d’enfant sont des havres – elle encadrait, tranchait, asséchait. L’imagination rentra dans sa caverne, elle n’en sortirait plus qu’en se cachant, le soir tard ou tôt le matin, lorsque le ciel est encore noir. Pour le pire ou le meilleur ? Pour la vie ont répondu plus tard le métier, les enfants, le soin des autres, tout cela qui tient tant occupé qu’il y vaut mieux une tête bien faite qu’une tête dans les étoiles. L’Aventure se terrait au fond de sa cachette, elle murmurait comme un ruisseau sourd des pierres. Je l’écoutais, mais le temps manquait pour traduire son message. Elle disait les luttes, les réussites et les échecs, les joies et les chagrins, une brassée de vécus qui s’imprimaient, bruts, dans les battements de mon cœur.

    Les pierres, à la tombée du jour, je les ai soulevées, elles ont révélé une source joyeuse, aussi vive que celle d’une naissance. J’y ai bu à longs traits. Elle n’avait plus la fraîcheur de l’enfance, elle avait perdu son innocence. J’y goûtais les doutes, les déceptions, les renoncements, aussi la beauté de l’instant, l’émerveillement, la confiance. Elle n’a plus cessé de jaillir sans étancher ma soif. Une eau de jouvence, l’eau de la création.

    L’Aventure, c’est aujourd’hui qu’elle commence.

    Mai 68

    Mardi 30 avril,

    Ce matin, c’est mon anniversaire, j’ai 20 ans aujourd’hui. À la maison, personne n’a l’air de s’en apercevoir. Tout le temps du petit déjeuner, Papa a gardé la tête cachée dans les mains au-dessus de son bol de thé. Au bout d’un moment il a murmuré d’une voix étouffée :

    « Je me fais du souci pour ton frère. »

    Je ne savais pas quoi répondre, alors j’ai grommelé un vague acquiescement. J’aurais aimé l’aider, mais je pensais : Tu aurais dû t’en occuper au moment de sa fugue, maintenant c’est un peu tard. Il a bu son thé et s’est levé sans rien ajouter.

    Il est 8 heures. Je viens de naître. On m’a raconté qu’à mon arrivée, Papa avait lancé le mot de Cambronne et avait pris la porte, laissant maman sangloter dans les bras de la sage-femme. Comme d’habitude, nul ne me prêtait la moindre attention. Pensez ! Une cinquième fille après la naissance du seul garçon. Là où l’on avait cru initier la série des mâles, voir surgir une nouvelle femelle, quelle déception ! Par la suite, Papa n’a pas eu à se plaindre de mes quatre grandes sœurs. Aucune n’a coiffé Sainte Catherine, les deux aînées ont déjà chacune un enfant, des filles il est vrai. Toutes sont femmes au foyer… Moi je suis le vilain petit canard de la couvée. J’aurais voulu être écrivain. Petite, j’écrivais sur du papier pelure que je chipais dans les cabinets. Mais Papa a décidé que je ferai des études de Droit. Il avance des arguments péremptoires que je m’efforce de réfuter, à ma façon.

    « Tous les écrivains crèvent de faim.

    – Même Françoise Sagan ? Alors que tu as trouvé géniale la première page de Bonjour tristesse ? »

    Cette parade-là, je l’ai imaginée parce que Sagan et moi sommes à peu près du même âge.

    « Seulement toi, tu n’es pas géniale. »

    Imparable. Changerait-il d’avis s’il lisait les romans que j’ai dans la tête ? Ils y sont confinés depuis l’année de seconde où j’ai arrêté d’écrire. J’en avais assez de rapporter inutilement mes dissertations à la maison. La meilleure note de la classe, prix d’excellence en français. « Pose ça là », indiquait distraitement Papa en tapotant le bord de son bureau. « Votre père ne l’a pas signé ! » accusait le professeur de littérature en examinant la copie que je lui rendais le lendemain matin. Au lycée, on se désolait parce que « je manquais d’assurance, j’avais besoin d’encouragements », on avait décidé de me présenter au Concours général. « Du temps perdu », avait décrété mon père.

    J’ai toujours continué de tenir mon journal, je le garde avec moi dans la journée, la nuit sous mon oreiller. Papa ne mérite pas de le lire. Il prétend que leur fonction biologique de reproduction prive les femmes de toute autre forme de créativité.

    « Cite-moi une femme peintre, écrivain ou compositrice de musique ayant laissé une œuvre d’importance à la postérité.

    – Madame Vigée-Lebrun, Madame de La Fayette… »

    Je cale en ce qui concerne la musique.

    « La première n’a peint que des portraits, la deuxième écrit un seul roman, encore était-ce une œuvre collective, et tu n’as pas trouvé de musicienne. Tu vois ? Cite-moi un Léonard de Vinci femme, un Pascal femme… »

    Je sèche à nouveau, les larmes aux yeux. Il a peut-être raison. J’avance d’une voix blanche :

    « Tu sais bien qu’autrefois, les filles ne recevaient pas la même instruction que les garçons. »

    La sentence tombe, en couperet :

    « La créativité ne s’apprend pas à l’école. »

    Je persiste :

    « Tu oublies combien l’organisation sociale a bloqué les femmes dans une condition inférieure depuis des millénaires et quelles pressions elles subissaient lorsqu’elles faisaient mine de s’en affranchir !

    – Si elles estimaient leur condition injuste, pourquoi les femmes ne se sont-elles pas entendues pour se révolter ? On ne compte pas les révolutions dans l’histoire, mais ce sont toujours des hommes qui les font. La vérité est qu’elles y trouvaient leur compte. »

    C’est trop bête, je me suis laissé entraîner et il a déplacé le problème de la créativité vers celui de la condition féminine. Je devine qu’il va m’accabler sous les exemples de femmes fragiles, superficielles, gâtées, femmes-enfants, qui pullulaient parmi les amies de Maman et travestissaient leur oisiveté sous des prétentions artistiques. Comme s’il n’y avait pas les autres, les héroïnes, les valeureuses, et ceci dès le Moyen Âge, les Claire d’Assise, Thérèse d’Avila, fondatrices d’ordres religieux, Marie de France initiatrice de l’amour courtois, Hildegarde de Bingen de la science médicale, Geneviève de Paris et Jeanne d’Arc, stratèges militaires, plus près de nous Camille Claudel, folle d’amour au point de laisser son Auguste amant lui voler son œuvre, Simone Weil menant jusqu’à en mourir sa recherche philosophique et religieuse. Je pressens qu’il existe une impulsion proprement féminine au cœur de l’acte créatif. Au-delà de la quête de reconnaissance, de la recherche de pouvoir, dans l’ordre de l’intime, de l’amour, du sacrifice, une démarche restée l’apanage des femmes, de toute éternité. La société l’a ignorée, ne validant que la version masculine de la créativité. Pourtant je me tais, j’entends d’ici l’ironie avec laquelle il ne manquerait pas de répliquer « Des suiveuses, un talent de cour, une guérisseuse, des héroïnes légendaires, une folle et une mystique, où vois-tu du génie là-dedans ? »

    Je demande seulement :

    « Qui te dit que Sagan ne deviendra pas l’un de nos plus grands écrivains ?

    – À savoir si c’est elle qui a écrit cette première page…… »

    Tant de mauvaise foi me laisse confondue.

    Papa sourit, narquois.

    Il n’y a rien à ajouter, je tourne les talons.

    Lundi 13 mai,

    « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyris酠», ce matin je repense à la tirade du général de Gaulle à la Libération. Je reviens du champ de bataille. Depuis la rue du Val-de-Grâce où nous habitons, je n’ai pas eu un long trajet à parcourir. Sur le boulevard, des entrées d’immeubles ont été incendiées. On sentait encore l’odeur du feu. Les pavés de la rue Gay-Lussac ont été arrachés, mis en tas, des carcasses de voiture calcinées. J’ai eu envie de prier, mais l’église du Val-de-Grâce était fermée, je n’ai pas eu le courage de pousser jusqu’à Saint Jacques.

    Depuis des semaines on ne parle à la fac que de révolution. Au début j’ai été séduite par Daniel Cohn-Bendit, son insolence, sa passion pour la liberté. En plus, j’ai toujours aimé les roux. Mais depuis ce week-end il m’effraie. Lui et tous ces militants de syndicats étudiants qui ont pris la tête des manifestations ne savent que vitupérer contre l’Université, le régime, le capitalisme, la société, la guerre au Viêt-Nam… Ils s’inscrivent dans des doctrines, des systèmes de pensée, socialiste, communiste, trotskiste, maoïste, anarchiste, s’envoient dans les réunions des noms d’oiseaux, sans compter les projectiles de toutes sortes – gommes, boulettes de papier, craies, règles – et ne s’entendent jamais pour trouver, comme ils disent, « où se situe le débat ». Moi je n’ai aucune envie de voir sévir soviets ou gardes rouges à Paris. Si nous devons nous révolter, faisons-le à notre façon, pas à celle des autres !

    Dans la nuit de vendredi, les explosions se succédaient sur fond de sirènes stridulantes, une rumeur profonde s’exhalait du quartier, mélange de cris, vociférations, pas claquant sur le bitume, en fuite. Je suis montée sur le balcon. L’air était lourd, il piquait les yeux. « Tu es folle, rentre immédiatement » s’est écrié Papa en me tirant en arrière. Je suis retournée

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