L’incroyant

Par Cyrille Colin

Et si un seul geste pouvait rapprocher les religions, mais aussi faire vaciller une vie ? À vingt-trois ans, Erwan, tiraillé entre les traditions de ses parents – mère protestante, père catholique –, cherche un monothéisme alliant spiritualité et éthique. Sa rencontre avec Barberine, adepte d’une foi universelle, l’entraîne dans un projet audacieux : initier un dialogue entre les trois grandes religions par un geste symbolique. Aux côtés de deux amis, ils forment un groupe clandestin et imaginent leurs actions comme un prélude à la réconciliation. Mais bientôt, foi, engagement et passion se brouillent. Entre l’amour qu’il porte à Barberine et l’idéal qu’elle incarne, Erwan s’égare dans une quête d’unité devenue dérive, où croire et aimer se confondent.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Médecin, Cyrille Colin écrit depuis huit ans. Ce besoin s’est imposé à la suite d’évènements familiaux douloureux, devenant un moyen d’interroger le monde et de survivre à l’incompréhensible. À travers la biographie, la fiction ou la poésie, il explore ce qui le traverse et le relie aux autres, ceux qu’il aime et ceux qu’il ne connaît pas encore. Écrire est devenu pour lui une façon d’exister pleinement, entre lucidité et tendresse.

• Langue: Français
• Éditeur: Le Lys Bleu Éditions
• Date de sortie: 10 sept. 2025
• ISBN: 9791042283391

Aperçu du livre

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Erwan Noeyens a réussi une scolarité exemplaire. Très souvent premier de sa classe au lycée de Schaerbeek en Belgique, il a toujours associé un travail régulier à une facilité de compréhension et une mémoire qui ont marqué ses enseignants successifs. Après avoir réussi son certificat d’enseignement secondaire supérieur avec 18 de moyenne, il a décidé de suivre un cycle d’études professionnelles à Bruxelles, pour devenir architecte paysagiste en trois ans. Il veut travailler tout de suite et apporter sa contribution concrète à la revégétalisation des villes et à la reforestation des secteurs ruraux. Il est militant pour la biodiversité et fervent activiste contre les gouvernements qui ne combattent pas le dérèglement climatique.

Il a déjà consacré plusieurs semaines de ses vacances à participer aux actions sur le terrain de l’organisation internationale Green Peach. La dernière action à laquelle il a participé relevait d’un véritable raid de commandos. Avec deux camarades militants comme lui, ils ont été chargés par l’organisation de conduire une action de sabotage sur un supertanker. Tous les trois se sont fait recruter comme manœuvres sur le porte-conteneurs géant immatriculé avec cynisme Evergreen par la société multinationale World Route. Embarqués à Yantian en Chine avec dix-huit autres manœuvres, ils ont fait le voyage prévu pour rallier Rotterdam via le canal de Suez. Les deux autres militants étaient embauchés à l’entretien des machines, quant à Erwan, il était affecté au ménage des parties réservées à la vie et à la restauration de l’équipage. L’action avait été minutieusement préparée par l’organisation Green Peach. Ils avaient répété à plusieurs reprises l’ensemble des opérations à exécuter une fois à bord.

Dès l’entrée dans le canal de Suez, ils devaient procéder à une série de manœuvres destinées à faire échouer le supertanker sur une rive du Canal. L’arrêt programmé des moteurs latéraux tribord a été réalisé avec succès au moment où l’Evergreen voguait en plein milieu du Canal. La panne d’électricité à bord, déclenchée par Erwan, a permis de bloquer les commandes et les appareils de contrôle pendant les deux minutes quarante nécessaires au démarrage des groupes électrogènes à moteur diesel. L’ensemble des opérations s’est déroulé exactement comme prévu. L’arrêt du moteur tribord a fait dériver le bateau de façon imperceptible d’abord, puis de manière beaucoup plus franche. L’absence de contrôle de la trajectoire par les appareils électroniques de commande automatique n’a pas permis de rectifier à temps la trajectoire. Le navire de 400 m de long et de 219 000 tonnes de marchandises n’a pas pu être redressé par les appareils manuels, la panne ayant été déclenchée à 4 h 15, heure du repos de l’équipe de commande. L’Evergreen s’est échoué de façon très avancée dans le sable de la rive. Il a fallu dégager trente mille tonnes de sable pour commencer à faire bouger le navire. Les membres du commando ont pu réaliser ces opérations dans la plus grande discrétion. En restaurant toutes les fonctions moteur et l’électricité juste après l’échouage, rien ni personne n’a permis de les suspecter. Les membres du poste de commande ont prétexté des rafales de vent de sable pour expliquer cette déviation de trajectoire impossible à récupérer, selon eux.

L’Evergreen est resté bloqué en travers du Canal pendant 6 jours. Il a empêché toute circulation de navires dans un sens comme dans l’autre. Plusieurs centaines de bateaux sont restés bloqués aux deux entrées du Canal. Les conséquences ont été majeures pour l’ensemble des compagnies maritimes, provoquant une hausse brutale des cours du pétrole dans le monde entier. Pour Green Peach et son commando, l’opération avait été un succès total. Le coût de l’obstruction avait été estimé à 600 millions de dollars pour les entreprises de fret comptant parmi les plus gros pollueurs de la planète. Pour ne pas être attaquée en justice par les entreprises, Green Peach n’avait évidemment pas revendiqué l’attentat et l’organisation n’a jamais été soupçonnée d’être à l’origine de l’événement.

Pour Erwan, débarqué du cargo peu de temps après le désensablage, cette action commando avait été d’une intensité vertigineuse. Les moments d’exaltation le disputaient à un sentiment de revanche et de victoire sur toute cette partie de la société foulant aux pieds les nécessaires engagements en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il avait vécu toutes les phases de l’action avec le sang-froid et l’excitation d’une véritable mission de guerre. À chaque moment du plan, il avait gardé une lucidité et une détermination qui avaient impressionné ses deux amis embarqués avec lui.

Ce n’est qu’après avoir quitté le bateau avec ses deux acolytes qu’Erwan avait poussé un long cri de victoire. Cela venait du fond de ses entrailles et libérait l’incroyable tension qu’il avait pu maîtriser pendant ces vingt-quatre jours de présence à bord de l’Evergreen. Erwan avait 21 ans au moment des faits. Il avait été recruté pour sa maturité et son calme. Son caractère posé et déterminé avait été très vite remarqué par l’équipe dirigeante de Green Peach Bruxelles, une des sections les plus actives de l’association internationale. Après ce coup d’éclat, Erwan était resté en contact avec l’association, mais l’épidémie de COVID et le confinement qui avaient suivi l’avaient éloigné de la capitale. Après cette période, un changement de président et de l’équipe dirigeante de Green Peach Bruxelles avait achevé de convaincre Erwan de laisser l’organisation poursuivre sa route sans lui. Rien dans les dernières réunions du groupe, ni les énièmes arguments du rapport du GIEC, ou les ultimes déclarations de Greta Thunberg n’avaient déclenché chez Erwan l’envie de continuer à s’engager pour l’organisation. Il gardera cependant un souvenir très fort, très exaltant de cette opération sur l’Evergreen. Et l’envie de reconduire des opérations du même type ne l’abandonnera pas.

Non, la préoccupation actuelle d’Erwan, c’est la religion. Il veut comprendre. Comment le christianisme a pu convaincre 2,6 milliards de personnes ? Comment l’Islam a pu se développer dans le monde entier en à peine quinze siècles ? Pourquoi ces religions, si bien implantées dans le monde contemporain, ont-elles pu affirmer leur puissance au long des âges ? Comment des attentats aussi spectaculaires que ceux des tours jumelles à New York ou du Bataclan à Paris ont-ils pu être revendiqués au nom de la croyance en un dieu de paix et d’amour ? Erwan est en quelque sorte fasciné par le fait que des croyants puissent prendre les armes aujourd’hui et assassiner une bande de vieux soixante-huitards chevelus, parce qu’ils ont manqué de respect à leur prophète.

Il se demande aussi comment la croyance peut conduire à des rites comme le jeûne, parfois assez long, les prières, parfois plusieurs par jour, le pèlerinage ou la charité. Comment la croyance peut mener à la guerre, la guerre sainte, certes, mais la guerre quand même. Comment les guerriers du Christ, les croisés de France, ont-ils pu aller chevaucher dans toute l’Europe et une bonne partie de l’Asie Mineure pour aller libérer le tombeau du Christ en Palestine ? Comment ont-ils pu au nom d’un prophète qui prêchait l’amour et le pardon, conduire des combats féroces et annexer un certain nombre de villes ou de régions du Moyen-Orient ? Comment les catholiques français ont-ils pu être si cruels pendant la période dite « de la Saint-Barthélemy », qui a touché plusieurs grandes villes de France enflammées par ces massacres fratricides ?

Aujourd’hui, Erwan est en colère. Il vient