Réfractaire

Par Pirlouit Jambon

Depuis son enfance, Pirlouit Jambon rêvait de liberté et de normalité, des aspirations impossibles pour quelqu’un grandissant dans une secte, où toute forme d’autonomie est sacrifiée. Sa rébellion ne fit qu’amplifier le rejet et l’isolement, le laissant désemparé face à un monde inconnu. À quarante ans, après avoir tout perdu et hanté par des pensées suicidaires, il se lance dans la rédaction de "Réfractaire", refusant de disparaître sans léguer une trace de sa souffrance et de son histoire. Pendant neuf mois, cloîtré chez lui, il écrit sans relâche, laissant couler ses larmes sur les pages de son récit. Au terme de cette épreuve, deux voies s’ouvrent à lui : abandonner son manuscrit aux pieds de son corps sans vie ou le partager avec quelques amis sur les réseaux sociaux. Le choix de la deuxième option changera son destin. Aujourd’hui, Pirlouit Jambon incarne la résilience. Plongez dans ce récit bouleversant et découvrez comment, face au désespoir, un homme a su trouver le chemin de la rédemption.

• Langue: Français
• Éditeur: Le Lys Bleu Éditions
• Date de sortie: 1 déc. 2024
• ISBN: 9791042251574

Aperçu du livre

Bonjour

Je m’appelle Pirlouit Jambon et je crois que je suis un mort-vivant. Je ne parle pas d’un zombie sanguinolent qui titube dans un décor postapocalyptique à la Walking Dead. Non, je suis un VRAI mort-vivant, vivant à l’extérieur, mais complètement mort à l’intérieur. Non, ceci n’est pas un récit de science-fiction, mais si vous aimez les histoires hallucinantes, vous allez adorer ce qui suit…

Je suis né le 11 juillet à Uccle à la fin des années 70, d’un père italien et d’une mère belge. Un de mes premiers souvenirs d’enfant date de l’école maternelle. Je devais avoir 4 ou 5 ans. Je ne comprenais pas trop ce qui se passait, mais la tension était palpable entre ma mère et la directrice de l’école. La directrice a finalement demandé à ma mère de bien vouloir me retirer momentanément de l’école. La raison ? Je n’arrêtais pas d’expliquer aux autres enfants que le père Noël n’existe pas et j’ai bien sûr déclenché une crise de pleurs inconsolables dans toute ma classe.

Cela peut faire sourire de prime abord, mais pour que la directrice intervienne, vous vous doutez bien que ce n’était pas drôle du tout. Moi, je ne comprenais pas ce qui se passait. Je répétais simplement ce qu’on me disait à la maison. Rien de plus…

Ah oui, j’vous ai pas dit ? Je suis né dans une putain de secte. Pas une secte qui sacrifie des enfants, mais une de celles qui sacrifient des enfances comme on brise les ailes d’une colombe pour réaliser un tour de magie. Vous verrez que c’est en effet assez magique…

Ouep… je suis né dans une de famille de témoins de Jéhovah.

Il y a des choses qu’on ne choisit pas… mais celle-là, je vous promets que même sous la menace, je ne l’aurais jamais choisie.

Je crois que c’est la première fois que j’étais triste de ne pas être comme tout le monde, mais je ne savais pas qu’il valait mieux que je m’habitue à ce sentiment…

Pour ceux qui ne connaissent pas bien les témoins de Jéhovah, voici un petit résumé de tout ce qui est imposé et interdit par cette soi-disant religion chrétienne. À mon humble avis, les témoins de Jéhovah sont une secte qui se fait passer pour une religion. Mais je vous laisse juge…

Obligations

Interdictions

On se focalise souvent sur les transfusions sanguines, mais je pense que c’est une erreur.

Bien sûr, le refus des transfusions sanguines peut entraîner la mort. Mais les autres interdictions et obligations peuvent être tout aussi léthales. C’est juste une mort plus lente et donc plus douloureuse que l’absence de sang dans les veines. Surtout pour les enfants nés « dans la vérité », mais qui, comme moi, finissent par se rebeller.

Je ne pensais jamais dire cela un jour, mais non, avoir du sang dans les veines ne veut pas forcément dire qu’on est en vie…

Double peine

Comme je n’ai pas la possibilité de fréquenter beaucoup de gens, je me passionne pour les machines. Un peu par dépit sans doute. Mes quelques jouets, que je démonte et remonte sans cesse, les composants électroniques de mon père, stockés dans la cave où je passe le plus clair de mon temps, et un ordinateur que mon père avait placé dans ma chambre. J’avais comme une faim insatiable de comprendre comment toutes ces machines fonctionnaient à défaut de pouvoir découvrir le monde qui m’entoure.

Les ordinateurs ne servaient pas à grand-chose à l’époque, mais ils me passionnaient quand même. Il faut dire que l’ambiance austère de la maison aurait rendu passionnant à peu près n’importe quoi. J’en ai marre de toutes ces réunions des témoins de Jéhovah et de tous ces discours qui, même s’ils abordent parfois des sujets intéressants, se terminent toujours de la même façon. Servir Jéhovah, louer Jéhovah et prier Jéhovah. Tout est toujours ramené à Jéhovah. C’est d’une lourdeur…

Peu importe ce qui vous arrive, tout est toujours aplati, simplifié et polarisé. Il vous arrive un truc cool ? C’est grâce à Jéhovah. Il vous arrive un truc pas cool ? C’est Jéhovah qui vous met à l’épreuve ou pire, Satan qui cherche à vous détourner de la « vérité ». Tous les problèmes ont toujours les mêmes solutions : étudier plus, prêcher plus et prier plus. Autant vous dire que j’ai très vite compris qu’il valait mieux ne pas exprimer ce que je ressens et ne pas poser de questions. Les réponses sont toujours les mêmes de toute façon.

Et ne vous imaginez pas pouvoir faire des choses en cachette… Les témoins de Jéhovah ont un devoir de délation s’ils vous voient ne pas respecter les principes bibliques. Les témoins de Jéhovah se surveillent et se dénoncent mutuellement, comme aux temps les plus sombres de notre histoire. Big Brother avant l’heure, puisque je vis dans une cité infestée de témoins de Jéhovah. IM-PO-SSIBLE de se planquer. On pourrait appeler cela du harcèlement, mais ce serait un euphémisme…

Une jupe trop courte ? Un maquillage trop prononcé ? Une cigarette ? De mauvaises fréquentations ? Et vous êtes bon pour un passage devant le « collège des anciens ». Les anciens sont les responsables de la congrégation locale et ils vous rappelleront que si vous n’obéissez pas aux commandements divins, vous serez exclu des témoins de Jéhovah et condamné à mort au Jugement Dernier. L’Armageddon tant attendu par les témoins de Jéhovah.

Oui, ce sont bien des menaces de mort qui sont proférées en toute impunité.

À l’époque, je ne comprenais pas bien ce qui se passait. Mais aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi je me sentais toujours aussi mal dans ma peau. J’étais menacé de mort à chaque instant. Comment se construire dans de telles conditions ? Comment ne pas être profondément marqué par un tel harcèlement quotidien ? Comment ne pas être terrorisé par de telles menaces de mort ? De surcroît quand vous n’êtes qu’un enfant, et donc par définition, très impressionnable.

Les puristes diront : « Oui, mais bon, ils n’ont pas personnellement menacé de te tuer ».

Et les autres sauront que pour l’enfant que j’étais, cela ne change rien du tout. C’est juste terrifiant.

J’ai beau entendre que nous sommes le peuple élu, qu’Armageddon ne va pas tarder et que nous « vivrons éternellement sur une Terre devenue un paradis », j’ai quand même le sentiment d’avoir pris « double peine » pour un crime que je n’ai pas commis. Quand je rentre de l’école, non seulement je dois faire mes devoirs d’école, mais en plus je dois me préparer pour les réunions du mardi, du jeudi et du dimanche. Et je ne parle pas de la prédication en porte-à-porte qui est imposée. À propos de la prédication, ne croyez pas décourager les témoins de Jéhovah qui sonnent à votre porte en étant agressifs avec eux.