L' ORIGNAL : SON HABITAT, SA BIOLOGIE, SA CHASSE
Par Denis Harvey, Michel Breton et Robert Joyal
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À propos de ce livre électronique
Vous y apprendrez entre autres à :
- identifier l’habitat, l’anatomie, la biologie, les maladies et le régime alimentaire de l’orignal ;
- connaître sa distribution et la densité de sa population selon les différentes zones de chasse ;
- repérer les endroits propices à sa chasse sur les cartes écoforestières, IQHO et Forêt ouverte ;
- pratiquer ou améliorer différentes techniques adoptées par des dizaines de milliers de personnes au Canada.
Un ouvrage qui saura captiver les chasseurs et les chasseuses, certes, mais aussi ceux et celles qui désirent parfaire leurs connaissances sur ce fascinant animal, roi de la forêt québécoise.
Denis Harvey
Durant plus de trente ans, Denis Harvey a pratiqué et enseigné la médecine et la chirurgie vétérinaire des ruminants, principalement à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Depuis son plus jeune âge, il se passionne pour la nature sauvage et la chasse. Après sa retraite de l’Université, il a partagé son temps entre la pratique privée, la coopération internationale et la formation sur les maladies de la faune dans plusieurs communautés autochtones. Il travaille aussi régulièrement comme guide de chasse à l’orignal et à l’ours.
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Aperçu du livre
L' ORIGNAL - Denis Harvey
Tous droits réservés Les Éditions de Mortagne
© Ottawa 2014 (2e édition) © Ottawa 2024
Maquette de la couverture : Karine Chevrier
Photo de la couverture : © Richard Seeley, Shutterstock
Illustrations et dessins : Joel Desmarais
Photo de la page 72 : Galyna_Andrushko, Envato Elements
Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale de France
3e trimestre 2024
Financé par le gouvernement du CanadaGouvernement du Québec - Programme crédit d'impôt pour l'édition de livres - Gestion SODECAssociation nationale des éditeurs de livresMembre de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)
Les auteurs tiennent à remercier sincèrement Sébastien Lefort et Christian Dussault, du MRNF, pour leur disponibilité à répondre à leurs nombreuses demandes de renseignement. Ils remercient aussi madame Louise Siméon du Musée amérindien de Mashteuiatsh pour sa précieuse collaboration.
Table des matières
Préface
Introduction
Chapitre 1 – Notions de base
1.1 La distribution de l’orignal de nos jours
1.2 L’historique de la chasse en Amérique et au Québec
Son utilisation
1.3 La densité des orignaux dans l’est de l’Amérique
Chapitre 2 – Biologie, physiologie, comportement et santé
2.1 Taxonomie
2.2 Anatomie et physiologie
2.2.1 Le pelage
2.2.2 Identification à distance du sexe et de l’âge de l’orignal
2.2.3 La barbiche
2.2.4 Le panache
2.2.5 Les variations de la masse et du poids
2.2.6 Le nez et l’olfaction
2.2.7 Les oreilles et l’ouïe
2.2.8 Les yeux et la vue
2.2.9 Le sang
2.2.10 Le squelette
2.2.11 Le cou
2.2.12 La cage thoracique
2.2.13 La cavité abdominale
2.2.14 De l’engraissement au rut chez les mâles
2.2.15 Frottages et souilles
2.2.16 Luttes et combats
2.2.17 Cycle œstral et fécondation
2.2.18 Fertilité
2.2.19 L’après-rut
2.2.20 La gestation et la mise bas
2.3 Parasites, santé et maladies
2.3.1 Les vers plats (cestodes) des canidés (chien, loup, coyote) et leurs larves
2.3.2 Les douves (trématodes)
2.3.3 Les vers ronds (nématodes)
2.3.4 Les protozoaires
Chapitre 3 – Écologie et dynamique des populations
3.1 Son habitat (où chercher l’orignal)
3.2 Son régime alimentaire
3.3 Son domaine vital
3.4 Les facteurs qui influent sur son taux de reproduction et son taux de mortalité
Le taux de reproduction
Le rôle du mâle
Taux de mortalité
Les accidents routiers et ferroviaires
La noyade
Les incendies
Les hasards malheureux
La neige
Les maladies
La prédation
3.5 L’orignal et ses prédateurs
Le loup
L’ours noir
Chapitre 4 – La gestion rationnelle des populations d’orignaux
4.1 La recherche
4.2 L’aménagement de l’habitat
4.3 La gestion des populations par la chasse
4.4 Le contrôle des populations de prédateurs
Chapitre 5 – La chasse
5.1 Chasser encore en ce 21e siècle ?
5.2 La préparation du chasseur
5.2.1 Liste de vérification
5.2.2 La psychologie du chasseur d’orignal
5.2.3 Les cartes écoforestières
5.2.4 Une carte qui a révolutionné la chasse
5.2.5 Cartes, boussole, GPS, logiciels de cartographie et balises d'urgence
5.2.6 Carabines et munitions
5.2.7 L’arc et l’arbalète
5.3 À la recherche d'un territoire
5.3.1 Des zones négligées à haut taux de succès
5.3.2 Les premiers pas vers un nouveau territoire
5.4 L’habitat automnal de l’orignal, est-ce toujours du pareil au même ?
5.5 Comment trouver le territoire de rut ?
5.6 Le langage de l'orignal
5.7 L’évaluation des techniques d’appel
5.8 Comment interpréter les signes laissés par les orignaux
5.9 L’influence de la lune et de la température
5.10 Les « aides » au chasseur
5.10.1 Les nouveaux produits
5.10.2 Les salines et les vasières
5.11 Les différentes techniques de chasse
5.11.1 L’appel de la femelle en œstrus
5.11.2 Les autres techniques de chasse
Chapitre 6 – Après le tir
6.1.1 Délai d’attente
6.1.2 Choc hydrostatique et blessures
6.1.3 Perte de sang
6.1.4 Types de blessures
6.1.5 Réactions du gibier après le tir
6.1.6 Les indices laissés au sol
6.1.7 Blessures aux organes thoraciques (le « vital »)
6.1.8 Blessure au cou et la tête
6.1.9 Blessure à la colonne vertébrale
6.1.10 Tir dans les apophyses
6.1.11 Blessure au système digestif (la « panse »)
6.1.12 Blessure à la rate ou au foie
6.1.13 Blessure aux membres et fractures osseuses
6.1.14 La rigidité cadavérique (rigor mortis)
6.2 Techniques de recherche
6.2.1 Pister le gibier perdu
6.2.2 Chien de sang
6.2.3 La recherche en battue
6.3 Une fois l’orignal retrouvé
6.3.1 L’éviscération et le transport de l’animal
Conclusion : l’avenir
À propos des auteurs
Références
Préface
Les dernières décennies ont marqué l’histoire de la chasse à l’orignal au Québec. En effet, au cours des années 80, la population d’orignaux était évaluée entre 70 000 et 90 000 bêtes, alors que de nos jours, on évalue l’effectif entre 130 000 et 140 000. Les amateurs ont donc pu constater que les récentes récoltes ont été très satisfaisantes. En 2023, une année où la chasse de la femelle était permise dans la majorité des zones de chasse*, 22 660 orignaux ont été abattus. En 2021, la récolte s’élevait cependant à 25 264 bêtes. Certains concluent trop rapidement à une baisse sensible des populations. Pourtant, plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. D’abord, les 2 500 femelles de moins des zones 2 et 27. Ensuite, les nombreux territoires et camps de chasse brûlés par les incendies de forêt en 2023. Et enfin, les températures anormalement chaudes cette année-là. Quant à l’augmentation sensible des populations lors des dernières décennies, nous pouvons tout d’abord mentionner la mise en place de plans de gestion permettant des modalités réglementaires régionales. Mais un des facteurs importants est sûrement l’effet de l’industrie forestière qui, en récoltant la matière ligneuse, rajeunit les forêts et procure aux populations d’orignaux une nourriture abondante. Par ailleurs, les territoires structurés, en se dotant d’infrastructures de qualité, sont aussi en mesure de bien encadrer les chasseurs et de leur d’offrir des séjours mémorables. Parallèlement, le secteur commercial relatif à la chasse s’est aussi développé et il nous a été donné de voir une croissance exponentielle de magasins offrant une multitude d’articles et de services spécialisés. On a aussi vu croître le nombre d’émissions télévisées et même des cours privés très élaborés au sujet de la chasse de l’orignal. La résultante de tout ça est que la chasse alimente une activité économique majeure, source d’enrichissement pour plusieurs communautés du Québec. Tout cela nous amène à nous poser une grande question : a-t-on connu l’âge d’or de la chasse à l’orignal ?
Plusieurs affirmeront tout simplement que tout va pour le mieux et qu’il n’y a aucune raison pour que la situation se dégrade. Pourtant, de lentes tendances dont les effets se feront sentir dans quelques années sont déjà démarrées. On peut tout d’abord mentionner que la crise qu’a connue l’industrie forestière, et dont elle n’est toujours pas remise, a provoqué des modifications majeures à la façon dont les forêts seront dorénavant exploitées.
Un autre phénomène affectera indéniablement la chasse en général : la baisse de la relève. Peu de chiffres sont connus à ce sujet, mais tous les acteurs fauniques reconnaissent qu’un déclin du nombre de chasseurs sera inévitable dans les années à venir. La cause ? Le vieillissement du groupe de chasseurs le plus important, soit les baby-boomers. Lorsque la moyenne d’âge sera trop élevée, nous pourrons nous attendre à une diminution importante de la communauté de chasseurs. Moins de chasseurs signifie entre autres une activité économique à la baisse, une réduction du poids politique des organismes fauniques, ainsi qu’un manque à gagner des territoires structurés qui devront possiblement revoir leurs façons de faire. Par contre, d’autres indices permettent de croire que nous éviterons une dégringolade drastique : en 2000, 11 000 nouveaux chasseurs à l’arme à feu étaient formés chaque année, alors qu'en 2023, 14 720 nouveaux adeptes ont suivi le cours d'initiation à la chasse en ligne. Parmi eux, 27 % étaient des femmes et 23 % des jeunes de 12 à 18 ans. C'est 21 600 personnes qui ont suivi le cours de maniement des armes à feu menant au certificat du chasseur.
Malgré cette mise en garde, le tableau n’en est pas moins intéressant pour les amateurs, car il reste que le Québec est un royaume pour la chasse à l’orignal. Et si le gouvernement s’assure de préserver le caractère collectif des ressources fauniques du Québec, tous pourront en profiter encore longtemps. C’est pourquoi notre message se veut aussi une invitation à tous les chasseurs de s’impliquer, de toutes les façons possibles, dans la promotion de la chasse. Les études le démontrent : la population accepte ce loisir bien plus que nous pourrions le croire, et plusieurs seraient prêts à s’y adonner. Profitons de cette vague d’acceptabilité sociale de la chasse alors qu’elle est encore bien haute !
Présentement, et avec raison, les chasseurs ont l’atout d’être considérés comme des outils de gestion des populations d’orignaux. Mais il faut nous mettre en garde devant ce rôle un peu simpliste. Un chasseur n’est pas qu’un individu qui part de chez lui un bon matin pour aller récolter un orignal dans un coin de pays où les orignaux sont trop nombreux afin d’aider le ministère des Transports à atteindre ses objectifs en matière de sécurité routière. Un chasseur est un citoyen passionné de la nature et de la vie. Chaque semaine de l’année, il aura une pensée pour sa prochaine chasse. Alors que la chasse est encore parfois considérée comme une activité futile, la réalité est plutôt que peu de moments, tel que ceux qui se vivent en forêt, donnent l’opportunité de se sentir aussi vivant. Tout y tourne autour de l’observation de la nature, de la famille et de la camaraderie. Les chasseurs sont des contemplatifs… tout à la chasse se passe à vitesse réduite, tout se passe avec réflexion, tout doit se dérouler à la vitesse de la nature. Et de toutes les histoires qui peuvent être racontées par l’homme, les histoires de chasse sont parmi les plus passionnantes. Combien d’heures et d’efforts en débroussaillage de sentier, en achat d’équipements, en entretien d’armes, en préparation d’excursions, en stratégie de chasse doivent être déployés afin de peut-être pouvoir tirer sur le gibier que l’on vient de voir et d’entendre de l’autre côté du lac ! En réalité, peu d’activités exigent autant d’implication et d’efforts, mais offrent autant de moments de satisfaction.
Prenez le temps de lire ce livre afin de parfaire vos connaissances au sujet du roi de la forêt québécoise. Apprenez-y de nouvelles techniques ou améliorez celles que vous possédez déjà. Et considérez ce bagage comme un héritage à partager avec ceux qui vous entourent.
La direction de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs
*. À l'exception de la zone 2, avec environ 2 000 femelles de moins, et la zone 27, avec environ 500 femelles de moins.
Introduction
Robert Joyal
Cette nouvelle édition s’adresse d’abord aux quelque 170 000 chasseurs et chasseuses qui, en 2023, ont acheté un permis de chasse à l’orignal, un sommet de tous les temps. Ce grand nombre de chasseurs fait de l’orignal le gros gibier le plus chassé au Québec, suivi, on le devine, du cerf de Virginie avec environ 142 000 chasseurs en 2023.
Il est quand même surprenant qu’un si grand nombre de nemrods s’adonnent à cette activité. En effet, contrairement à ce qui se passe quand on traque le cerf de Virginie, une sortie de chasse à l’orignal est, pour la plupart des chasseurs, même pour ceux des régions périphériques, une véritable expédition. Celle-ci exigera une préparation minutieuse et complexe et durera souvent plus d’une semaine. Malgré cela, l’automne venu, les vrais mordus de chasse à l’orignal préféreraient, à l’instar des autochtones, perdre leur emploi plutôt que de manquer leur saison de chasse.
Il faut reconnaître que l’immense popularité de la chasse à l’orignal au Québec de nos jours prend origine d’un plan de gestion extrêmement efficace mis en place grâce à la compétence de nos biologistes responsables des plans de gestion gouvernementaux. En effet, cette explosion de la popularité de la chasse remonte à 1964, lorsque le ministre du temps a aboli la loi du mâle. Pourquoi cette abolition ? Parce que le gouvernement désirait exploiter l’orignal davantage, en attirant un plus grand nombre de chasseurs par une réglementation plus libérale qui permettait dorénavant de récolter mâles, femelles et veaux.
C’est alors que le nombre de permis vendus, qui était d’environ 25 000 en 1963, passa subitement à 44 000 en 1964, y compris trois chasseurs dans la jeune vingtaine, Pierre Raiche, Claude Delisle et l’auteur de ces lignes, qui formèrent le noyau d’un quatuor pour les quelque 30 années suivantes. Personnellement, je n’ai jamais manqué une saison depuis. Le nombre d’orignaux abattus passa donc subitement de 4 000 en 1963 à près de 8 000 en 1964, une augmentation à laquelle notre quatuor néophyte n’a pas contribué cette année-là.
L’intervention des biologistes se fit encore une fois sentir au cours des années. Par exemple, avec l’instauration en 1980 de l’annulation de deux permis par orignal abattu et la mise en place des plans gouvernementaux en 1994. Des mesures de gestion que nous verrons plus en détail au chapitre 4.
Ce livre s’adresse aussi à tous les amants de la nature désireux d’en connaître davantage sur celui qu’il convient d’appeler le roi de nos forêts. Il y a deux espèces sauvages qui représenteront toujours les grands espaces sauvages canadiens, le huard plongeur et son appel plaintif et… l’orignal mâle superbement empanaché. Ceux qui, sans vouloir chasser, aimeraient en connaître plus sur sa biologie, ses mœurs et son habitat auront plaisir à lire la plupart des chapitres du présent ouvrage.
En terminant cette introduction, il est important de souligner que certaines sections de ce livre pourront paraître un peu trop techniques pour les lecteurs qui ne cherchent qu’à mieux connaître l’orignal afin de devenir de meilleurs chasseurs ou observateurs. Par contre, nous sommes convaincus que d’autres sections pourront être lues « les deux pieds sur la bavette du poêle » et vous aideront à rêver à votre prochaine escapade en forêt.
Les auteurs de cet ouvrage espèrent que le contenu de ce volume aidera le lecteur à devenir un meilleur chasseur ou un observateur efficace de l’animal le plus fascinant de la forêt boréale. À vous de trouver ce que vous cherchez dans les pages qui suivent.
Bonne lecture !
1
Notions de base
Robert Joyal
1.1 La distribution de l’orignal de nos jours
L’orignal est apparu en Amérique du Nord, venant de l’Asie, il y a environ 14 000 ans. La période glaciaire qui sévissait à l’époque avait créé un immense pont de glace de près d’une centaine de kilomètres en gelant complètement le détroit de Béring. Profitant de ce pont de glace, l’orignal a pu traverser de la Sibérie jusqu’en Alaska. Il précédait ainsi de quelques milliers d’années les premiers hommes, eux aussi arrivés en Amérique en traversant le détroit de Béring.
À l’échelle de la planète, l’orignal occupe à peu près toute la partie circumpolaire de la terre, c’est-à-dire qu’il recouvre à peu près toute la partie nord du globe. Ainsi, il occupe en plus ou moins grand nombre le nord des États-Unis et du Canada, le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Suède, la Pologne, la Lituanie, l’Estonie, la Tchécoslovaquie, la Russie, la Mandchourie au nord-est de la Chine.
La répartition des orignaux en Amérique, d'après Franzmann et Schwartz, 2007
En Amérique, l’orignal occupe toute la forêt boréale canadienne, avec quelques percées plus au sud, en Estrie par exemple ou au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Angleterre, dans les forêts des Grands Lacs et du Saint-Laurent et les forêts acadiennes.
Aux États-Unis, outre les États de la Nouvelle-Angleterre, soit le Maine et le Vermont surtout, mais aussi en faible nombre dans le New Hampshire et l’état de New York, l’orignal se rencontre aussi au Minnesota, au Wisconsin, au Michigan et au Dakota du Nord. Plus à l’ouest, sa distribution correspond plus ou moins aux forêts montagneuses des Rocheuses. On le trouve donc au Wyoming, au Colorado, au Montana, en Utah, en Oregon, dans l'État de Washington et en Idaho.
Au point de vue de la taxonomie, l’espèce se divise dans le monde en sept sous-espèces, dont quatre se trouvent en Amérique du Nord :
1) Le plus gros, rencontré en Alaska et au Yukon et qui peut peser jusqu’à 775 kg (chez le mâle et rarement) : Alces alces gigas.
2) L’orignal de l’Est ou de la taïga : Alces alces americana, celui qu’on rencontre chez nous. Peut peser jusqu’à 600 kg, toujours chez le mâle.
3) Le plus petit de tous : l’orignal de Yellowstone ou Shiras : Alces alces shirasi. Les plus gros mâles ne pèsent pas beaucoup plus que 375 kg. On le rencontre dans l’Ouest américain et au sud de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.
4) Enfin, l’orignal du Nord-Ouest : Alces alces andersoni qui serait un hybride entre A.a. shirasi et A.a. gigas car son poids et son apparence est un mélange des deux. Bien sûr, il habite la même région que ces derniers, mais aussi dans l’ouest ontarien.
La figure de la page précédente illustre la distribution de l’orignal en Amérique du Nord. Soulignons que selon la littérature scientifique, l’espèce continue d’étendre son aire de distribution de façon naturelle surtout, mais aussi par introduction. Ainsi, même si l’expansion de l’orignal a atteint le Colorado naturellement, plusieurs orignaux ont été introduits dans des habitats favorables, mais qui étaient encore inoccupés, pour en accélérer l’expansion. Plus près de nous, la province de Terre-Neuve a introduit l’orignal au Labrador au début des années 50. À Terre-Neuve même, l’orignal y avait été introduit à la fin du 19e siècle et au début du 20e. On connaît aujourd’hui le succès phénoménal de cette introduction malgré la présence naturelle du caribou.
1.2 L’historique de la chasse en Amérique et au Québec
On devine facilement l’importance de l’orignal pour la survie des premiers humains qui ont colonisé l’Alaska d’abord puis la taïga par la suite. Sûrement que ces premiers habitants connaissaient déjà la bête puisque l’orignal venait aussi des mêmes régions qu’eux en Asie, les groupes ayant traversé le détroit de Béring comme on a vu.
À l’exception des nations autochtones qui ont appris avec le temps à cultiver le maïs et d'autres plantes comme la pomme de terre, les membres des Premières Nations consacraient leur vie à la quête de nourriture. Ils étaient, pour la plupart, des chasseurs-cueilleurs et la chasse de grand gibier était cruciale pour la survie du clan. Ce mode de vie, qui datait des temps préhistoriques, n’avait pas changé d’un iota lors de l’arrivée des premiers Blancs en Amérique.
On comprend aussi que, pour ces chasseurs, l’orignal devait être une proie de choix, tout comme sûrement le bison pour les peuples des plaines. Toutefois, la littérature laisse entendre qu’il était plus difficile à abattre que le bison.
C’est bien sûr en hiver, dans la neige, que l’orignal était le plus vulnérable, alors que la poursuite était facilitée par l’utilisation des raquettes. L’autre période au cours de laquelle l’orignal était plus facile à chasser était l’automne, alors que le mâle, durant le rut, était sensible aux leurres des Amérindiens qui, comme encore aujourd’hui, l’appelaient à l’aide d’un cornet d’écorce de bouleau.
Les observateurs de l’époque nous apprennent que les appels étaient plus efficaces avant le lever du soleil, alors que les orignaux déploient une grande activité à se nourrir. Après, on avait observé qu’ils se couchent pour ruminer. L’appel du soir était connu pour être moins efficace en fin d’après-midi.
Curieusement, seuls les Amérindiens de l’est utilisaient l’appel. Les voyageurs ont observé que cette technique, efficace durant une courte période seulement (évidemment), était inconnue ou du moins jamais utilisée dans la région des Rocheuses.
Robert Joyal, à droite, en 1965, et son tout premier orignal leurré par ses appels au Témiscamingue et abattu par Claude Delisle
Par ailleurs, l’utilisation d’un andouiller ou d’une palette d’épaule (l’omoplate) pour imiter le cornage d’un mâle en rut était déjà en usage chez les Amérindiens de l’ouest. C’est curieux que dans l’est, la popularité de ce stratagème chez les chasseurs date à peine d’une vingtaine d’années. Probablement parce que les autochtones de chez nous en ont peu fait usage.
Indien appelant avec un cornet de bouleau. Archives nationales du Canada.
Femmes ilnues (Innues) étirant une peau d'orignal.
Photo : Courtoisie du Musée amérindien du Mashteuiatsh
On dit aussi que fin mars début avril était encore là une période où l’abattage était facilité, alors que la neige fondait le jour pour ensuite former une croûte durant la nuit. La croûte empêchait la bête qui s’y enfonçait de fuir rapidement ses poursuivants munis ou non de raquettes.
L’été, l’utilisation de canot était la façon la plus facile d’approcher un orignal qui traversait un lac. On le trucidait alors facilement avec des javelots ou des flèches. Enfin, on note dans les archives des premiers Blancs arrivés sur ce continent, l’utilisation de collets, et ce, en tout temps de l’année lorsque des sentiers étaient bien identifiés. Nul doute que toutes ces techniques observées par les premiers arrivants européens n’avaient pas changé depuis des millénaires, soit depuis l’âge de pierre. L’arrivée des premiers fusils a révolutionné l’art de la chasse autochtone de façon difficile à imaginer.
Son utilisation
L’apport de viande était évidemment la première raison de la quête d’un orignal, ou de tous les autres gibiers comestibles, d’ailleurs. Toutes les parties, sauf les poumons, servaient à faciliter la vie des Amérindiens. Quand un orignal était abattu, sa viande était généralement partagée entre les proches et les plus nécessiteux. On voit d’ailleurs encore aujourd’hui cette coutume, surtout chez les Inuits dont tous les villages sont pourvus d’un congélateur commun.
Grattage d'une peau d'orignal.
Photo : Courtoisie du Musée amérindien de Mashteuiatsh.
On sait que la chasse a toujours été l’affaire des hommes alors que le tannage des peaux et la transformation des autres pièces étaient réservés aux femmes. Lors des expéditions de chasse de quelques jours seulement, la viande était cachée de la vue des animaux et parfois suspendue aux branches. Si l’expédition durait plus longtemps, on la faisait simplement boucaner. Plusieurs tribus avaient aussi l’habitude, comme pour tous les autres animaux chassés d’ailleurs, de suspendre le crâne et même parfois le panache à un arbre, par respect pour l’esprit de l’animal.
Tous les premiers Européens sans exception ont décrit la viande d’orignal comme très nutritive, délicieuse et très digestible. Les auteurs Franzmann et Schwartz(¹) citent les témoignages de plusieurs d’entre eux qui soulignent que la viande d’orignal est si digeste qu’il leur est arrivé d’en manger comme des gloutons, de s’endormir et d'en manger autant au réveil. Exactement comme des loups qui se repaissent de leur proie bien au-delà de la satiété et qui s’endorment le ventre plus que plein.
Quant à la peau, elle était évidemment écorchée en une seule pièce afin de servir à fabriquer les tentes et les vêtements. Cette peau assez épaisse était plus difficile à travailler que celle du caribou ou du cerf.
Avec cette peau, on faisait bien sûr des parkas, mais aussi des jambières, des mocassins, des étuis à couteaux, des gants... Chez certaines tribus, on fumait les peaux pour les rendre plus résistantes à l’humidité. Les mocassins en peau tannée étaient utilisés en été, alors qu’en hiver on chaussait des mocassins faits de peaux avec leurs poils. Les Archives nationales du Canada possèdent une photo d’un esquif fait de dix peaux d’orignal. Il semblerait toutefois que cet usage est limité aux Amérindiens vivant à l’ouest.
Les os, eux, servaient aussi à plusieurs usages, dont les plus répandus étaient des harpons, des pipes chez les Micmacs, des sortes d’hameçons et même des couteaux chez les Ojibways. On a vu que les palettes d’épaule servaient à imiter le frottage sur de jeunes arbres durant le rut. Elles servaient aussi au rattling, selon certaines sources.
Par ailleurs, d'un point de vue commercial, la viande se vendait très bien, quoique moins cher semble-t-il que le bœuf. Les peaux par contre ont fait l’objet d’un intense commerce jusqu’au 19e siècle. La Compagnie de la Baie d'Hudson en a exporté une grande quantité en Angleterre. Même entre tribus, les peaux servaient à faire des échanges. Les tribus de chasseurs les échangeaient contre du maïs ou du tabac aux tribus d’agriculteurs, tels les Hurons ou les Iroquois.
Ce n’est qu’avec l’arrivée du régime anglais que la chasse de l’orignal — de subsistance qu’elle a toujours été — s’est rapidement transformée en chasse de loisirs chez les Anglais qui, eux, avaient le temps de chasser l’orignal pour le plaisir. Chez les Canadiens français, la chasse n’était pas encore une partie de plaisir et cette situation perdurera jusqu’au début du 20e siècle.
De nos jours, et ce, depuis une dizaine d’années, le nombre de permis vendus au Québec se situe autour de 175 000 annuellement (180 000 en 2013) et la récolte dépasse les 24 000 bêtes lors des années dites libérales ou permissives, et oscille aux alentours de 12 500 mâles les années restrictives où seul l’abattage des mâles et des veaux est permis.
Avec l’arrivée des VTT, des Argos et l’avènement des GPS, les chasseurs peuvent maintenant s’aventurer bien plus loin à l’intérieur du domaine des orignaux. Ces derniers n’ont plus beaucoup d’endroits pour se retirer loin des chasseurs. Une bonne gestion de la population est plus que jamais la pierre angulaire de la pérennité d’une chasse de qualité au Québec.
1.3 La densité des orignaux dans l’est de l’Amérique
Depuis quelques années, un déclin de la population d’orignaux est signalé dans la plupart des juridictions de l’est et du centre de l’Amérique du Nord. Dans certains cas, ce déclin semble attribuable aux contacts de plus en plus fréquents entre le cerf de Virginie et l’orignal, entraînant une contamination de ce dernier par le ver des méninges du chevreuil (voir section sur les maladies).
Les changements climatiques avec la nette tendance au réchauffement des écosystèmes depuis quelques décennies ont aussi des effets non négligeables sur la santé des animaux sauvages. Dans le cas de l’orignal, ce réchauffement entraîne, en plus des chocs thermiques, une prolifération importante de la tique d’hiver (Dermacentor albipictus), qui hypothèque souvent la survie des individus les plus faibles (voir section sur les maladies).
Finalement, les plantations de pin gris après les coupes de bois ont fragilisé significativement les écosystèmes favorables aux orignaux, principalement au sud des zones de distribution. Heureusement, au Québec, ce déclin est jusqu’à maintenant limité à l’extrême sud du territoire, et dans plusieurs zones de chasse, dont la zone 14, les populations d’orignaux sont même en croissance.
De nos jours, il n’y a pas un chasseur digne de ce nom qui ne sait pas que la distribution de l’orignal dans une région est tributaire des perturbations qui se produisent dans cette même région, régulièrement ou occasionnellement. Par perturbation, on entend principalement les incendies et les coupes de bois, mais on ne doit pas oublier les épidémies d’insectes et enfin les chablis, c’est-à-dire le renversement de grands pans de forêt par le vent, comme lors de tornades.
On se doute qu’une vieille forêt d’épinettes avec un parterre de mousse n’offre pas beaucoup de nourriture à la faune si on excepte les cônes dont peuvent se nourrir les écureuils (qui, à leur tour, nourrissent en partie les martres et les pékans). Toutefois, si cette vieille forêt qu’on appelle une pessière est accolée à une perturbation où le soleil pénètre et permet aussi la repousse, cette pessière pourrait alors servir d’abri contre les prédateurs et les rigueurs du climat. Nous verrons cet aspect en détail au chapitre 3.
Donc la densité des populations d’orignaux devrait être proportionnelle à la qualité et à la quantité de nourriture offerte dans cette région. La densité va aussi dépendre du nombre et de l’efficacité des prédateurs (ours et loups) dans la région.
Les chercheurs s’entendent pour dire que la nourriture n’est pas un facteur limitant à la densité d’orignaux dans aucune région qui va de l’Ontario à Terre-Neuve en passant par la Nouvelle-Angleterre. Malgré ce constat, la densité des orignaux dans cette aire de dispersion est très faible, si on soustrait des exceptions vraiment…
