Aventures Tropicales
Par Patrick Ratanga
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Aventures Tropicales - Patrick Ratanga
Aventures Tropicales
Patrick Ratanga
Aventures Tropicales
Les Prémices
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-01293-3
À mes enfants :
Laïka, Anthony, Yanick, Sarah et Jade.
Remerciements spéciaux à Monsieur Sylvestre RATANGA.
Avant-propos
Les relations entre les blancs et les noirs ont toujours fait l’objet de controverses, ces deux peuples qui à mon sens constituent les antipodes de l’humanité, ont eu par le passé des rapports qui ne pouvaient être que ceux qui ont prévalu, et il ne serait pas exagéré de dire que cela rentre dans l’ordre des choses. L’observation des épopées de conquérants tels qu’Alexandre le Grand, Attila, Gengis Khan, et bien d’autres faits plus ou moins récents, démontrent en effet que l’homme a toujours été habité par le désir de dominer son prochain. Cette tendance désastreuse pour les uns, et source d’essor pour les autres, n’est pas forcément le fait du racisme, de la xénophobie, ou de toute autre forme de discrimination. Elle est entre autres motivée par des réflexes d’autodéfense, par des besoins d’expansion, par des raisons économiques et dans les pires des cas par des ambitions personnelles. Fort de ce constat, j’ai dû reconsidérer mon opinion des interactions qui ont autrefois émaillé la marche de ces deux peuples. J’ai de fait compris la nécessité de prendre en compte, et en toute objectivité, les facteurs qui prévalaient en ces temps, et de les juxtaposer avec les réalités contemporaines. Cet exercice m’a amené à la conclusion que la nature est faite de façon que les uns aient toujours de l’ascendant sur les autres. Je déduis que les noirs ont subi le diktat des blancs pour que ce qui devait être s’accomplisse. En d’autres termes, les uns ont fait ce qui s’imposait : assujettir les autres – non pas dans le but d’assouvir de simples caprices ou des désirs malsains, mais pour des raisons essentielles. Et de leur côté, bien que dépourvus de moyens techniques et militaires appropriés, les opprimés ont, dans un impératif d’autodétermination, fait montre de courage et de résilience.
À travers cet ouvrage je ne veux ni relancer la problématique de l’esclavage, ni remuer le passé. Mon ambition est au contraire d’œuvrer à l’anéantissement des complexes y relatifs qui subsistent encore de nos jours, d’initier un courant littéraire qui transcende les susceptibilités et qui traite spontanément, et de façon dépassionnée des questions raciales.
Vivant dans une société qui tend inexorablement vers la mixité, un monde où jour après jour s’effacent les clivages, un village planétaire où s’accentuent les métissages, et où des évènements jadis inimaginables se multiplient en faveur du rapprochement des peuples, je me devais de revisiter la littérature africaine qui comporte encore trop de tabous.
Et à propos des dramatiques évènements historiques vécus par ces deux peuples si différents, mais pourtant si ressemblants, si l’on conçoit l’existence d’un être suprême omnipotent, sans pour autant remettre en cause la notion de libre arbitre, je suggère qu’ils sont la résultante d’un dessein divin.
L’auteur.
Chapitre I
Après la tempête qui les avait agressés toute la nuit durant, la mer commençait enfin à se calmer, et debout à l’avant de la grande pirogue en okoumé, Oyembo apercevait l’horizon. Cela faisait près de deux jours qu’ils avaient quitté leur village des coffins de la lagune Orembo-nkomi{1} pour se rendre à Mpeyi{2} où vivait le peuple frère des Ombèkè{3}. Des heures durant, leur embarcation avait été ébranlée au point qu’ils avaient cru y rester. Le mât qui soutenait la grande voile en raphia n’avait pas résisté aux assauts de l’océan en furie, il s’était brisé et avait été emporté par les eaux. Fortement éprouvés, les dix-huit voyageurs s’étaient résolus à pagayer en suivant la côte qui s’offrait à eux. Surmontant la douleur et la fatigue, Oyembo s’arma d’une longue perche qu’il enfonçait dans la mer avec l’espoir d’y toucher quelque rocher. Quant à ses équipiers, ils s’étaient réparti les tâches ; les uns vidant à l’aide d’écuelles, les eaux qui inondaient la pirogue, les autres ramant comme des forcenés, malgré la fatigue et le froid glacial qui les accablaient.
Quelques mois auparavant ce voyage leur aurait pris moins de temps, mais depuis un moment les choses avaient changé ; des êtres étranges à peau blafarde, voguant à bord d’énormes navires, écumaient les eaux qu’empruntaient habituellement les noirs, et capturaient tous ceux qui avaient le malheur de croiser leur chemin. La plupart des peuples vivant dans la contrée avaient déploré la perte d’au moins un des leurs, et Oyembo était encore marqué par la disparition de son frère aîné et de l’épouse de celui-ci qui avaient été enlevés un jour, alors qu’ils allaient comme à l’accoutumée proposer leurs marchandises : ignames, patates douces, gibier et autres produits alimentaires aux Ombèkè, peuple peu porté sur les travaux agricoles et la chasse. En échange, ils espéraient ramener dans leurs bagages de l’ojio{4}, du mpemba{5}, des huiles précieuses à base d’amandes sauvages, et bien d’autres produits d’utilisation courante dont seuls les membres de cette tribu en détenaient les secrets de la fabrication.
Les deux grandes pirogues ayant à bord près d’une quarantaine de personnes n’étaient pas revenues au village, et croyant qu’elles avaient été victimes d’un accident de la navigation, les autorités nkomi de l’Orembo-nkomi avaient d’abord dépêché des équipes de secours à leurs trousses. Les recherches ayant été infructueuses, ils avaient alors pensé à une agression perpétrée contre les leurs par le clan rebelle des Ajiwè{6}. N’eût été l’intervention de Mwempolo le roi des Ombèkè, homme sage et perspicace, une guerre fratricide se fût déclarée entre les Nkomi{7}de l’Orembo-nkomi et les Ajiwè, une coalition de clans issues de cette tribu, et révoltés contre le pouvoir central depuis près d’une décennie.
Les sentiments d’animosité que se vouaient Nkombé le chef des Nkomi de l’Orembo-nkomi et Nkoruna le guide des Ajiwè et alliés, remontaient au décès d’Akérè, l’ancien roi des Nkomi de l’Orembo-nkomi et père des belligérants, qui avait épousé près d’une douzaine de femmes et engendré pas moins d’une cinquantaine de rejetons, dont les deux jeunes hommes étaient les aînés. La pomme de discorde n’était autre que le trône paternel qu’ils revendiquaient réciproquement, car étant tous deux nés trente saisons plus tôt, à la même période et de mères différentes. Le conseil coutumier qui en l’absence du testament oral, généralement transmis de son vivant à l’okambi{8} par le décédé, était habilité à désigner l’héritier du sceptre parmi les aînés masculins de la famille royale, n’avait pas pu arrêter une décision unanime, les uns soutenant que le fait d’avoir vu la lumière quelques jours avant son frère faisait de Nkombé le successeur naturel de son défunt père, argument qui conformément au droit de primogéniture qui prévalait en ces régions était fondé, les autres maintenant que le statut de meilleur chasseur du village qu’arborait Nkoruna lui conférait préséance sur tous les autres héritiers. Il s’ensuivit une querelle houleuse qui se transforma très vite en de violentes échauffourées, et dont l’issue fut la scission du village en deux fractions : l’une acquise à Nkombé et l’autre favorable à son frère.
Nkoruna, les Ajiwè son clan maternel et leurs alliés furent expulsés du village d’Ambowé{9}, la capitale du royaume des Nkomi de l’Orembo-nkomi. Il eût été plus avisé qu’ils s’installassent au sud-est, aux alentours des terres des Nkomi de l’Ogowè{10}, tribu en perpétuelle rivalité avec les Nkomi de l’Orembo-nkomi, et qu’ils sollicitassent la protection de Réombi leur roi. Mais orgueilleux et peu avisé, Nkoruna fit exactement le contraire, il établit son village au nord, à quelques encablures seulement des territoires de son demi-frère, restant ainsi avec les siens exposés aux humeurs de ce dernier qui disposait du gros des troupes, et qui de fait était très puissant. En effet, en plus de son clan maternel et de celui de son père, Nkombé avait également le soutien des autres lignées apparentées. Aussi n’était-il pas gêné par la scission de la tribu, bien au contraire et au regard des malheureux évènements survenus au village, il était habité par un sentiment de sécurité, et il estimait à juste titre qu’il valait mieux avoir son ennemi de l’autre côté du fleuve plutôt que dans son village même.
Les faits de ce genre étaient fréquents dans la contrée, car la plupart des hommes avaient plusieurs épouses avec lesquelles ils fondaient de nombreuses descendances, et à leurs décès, lorsqu’il y avait la moindre confusion quant à la légitimité des héritiers potentiels, des manœuvres douteuses dont le but était d’imposer des favoris étaient ourdies par des personnes intéressées, ce qui avait pour corollaire la fragmentation des tribus et les guerres fratricides interminables. Il n’était pas rare que l’on ne trouvât par la suite dans certaines de ces régions, que de tous petits villages essentiellement constitués de familles nucléaires n’ayant aucuns liens consanguins les unes avec les autres, état de chose qui était contraire aux usages qui voulait qu’en ces contrées les parentés fussent étendues.
L’aire culturel des Myènè{11}s’étendait sur des territoires hostiles envahis par la sylve et les cours d’eau, et était constitué des Mpongwé{12} au nord, des Enénga{13}et des Edongo{14}au centre, des Nkomi, des Ombèkè et des Ajumba à la pointe sud. Ces peuples d’origine bantu ne vivaient pas forcément en autarcie, ils avaient des contacts sporadiques avec d’autres groupes ethniques installés dans des régions perdues aux coffins de l’immense forêt équatoriale.
Etablis depuis des lustres à Ntcongo{15}, les Ajumba entretenaient de très mauvais rapports avec les Ombèkè. La raison principale de leur mésentente étant le désir de ces derniers de s’approprier leurs terres. Du fait de leur dépendance des ressources de la mer, la côte maritime constituait pour ces deux tribus un élément essentiel. Aussi y avait-il eu entre elles plusieurs affrontements qui avaient fait de nombreuses victimes de part et d’autre. Avec l’avènement de Mwempolo à la tête des Ombèkè, les guerres fratricides avaient cessé, la tribu avait beaucoup gagné en influence, et la prospérité était au rendez-vous.
La société myènè reposant sur la filiation matrilinéaire, l’enfant était assimilé à sa famille maternelle, le père n’ayant presque pas de droit sur celui-ci, la personne réellement investie des pouvoirs paternels étant l’oncle maternel. Du fait de ces considérations et de la pratique de la polygamie, la femme myènè en tant qu’individu avait une position déterminante dans la famille, et partant dans la société toute entière. Lorsqu’un homme avait plus d’une conjointe, il construisait plusieurs cases dans lesquelles chacune des femmes s’occupait personnellement de l’éducation de sa progéniture, celui-ci n’étant relégué qu’à vagabonder entre ces différentes demeures. Pour atténuer le phénomène de dépossession dont étaient victimes les paternels, ces peuplades pratiquaient l’endogamie, de ce fait les sociétés myènè étaient érigées en phratries. Mais malgré ces dispositions, la cohésion d’ensemble restait précaire, car par le fait des alliances perdues dans la nuit des temps, il se créait au sein de la tribu des courants claniques, et la moindre rixe entre ces micro entités pouvait en entraîner la dislocation.
Mwempolo avait accédé au trône relativement tard, son oncle Mpendaga le roi précédent, patriarche peu délicat, n’ayant tiré sa révérence qu’à l’âge approximative de cent saisons. Le vieil homme avait laissé derrière lui près d’une vingtaine d’épouses dont de jeunes filles encore vierges, et pas un seul descendant pour la postérité. Des bruits couraient qu’il avait l’inyémba{16}, et qu’au moyen de ce pouvoir occulte, il « mangeait mystiquement » les fœtus de ses nombreuses épouses afin d’asseoir son autorité, et de rallonger autant que possible sa propre existence. Pour tromper la vigilance du peuple, le vieillard soutenait que ses compagnes étaient toutes stériles, et convolait en justes noces chaque année avec des adolescentes à peine pubères.
Fils cadet de la sœur du vieux chef, Mwempolo avait été désigné successeur de son oncle du fait que son frère aîné Akunga était lunatique, et par conséquent peu disposé aux affaires. Dès son avènement au trône, le nouveau chef tribal avait rompu avec l’administration chaotique de son prédécesseur. La plupart des proches collaborateurs de ce dernier avaient été progressivement évincés au profit de personnes plus pondérées, et de nouvelles règles morales avaient été édictées. Désormais toute personne suspectée de pratique de l’inyémba était dénoncée au roi qui saisissait oganga{17}. Ce dernier organisait une cérémonie dans la grande forêt, où tous les habitants du village, adeptes de l’ézoga{18} étaient conviés. La manifestation qui avait pour objet d’« examiner » les faits reprochés à l’accusé, se déroulait à la tombée de la nuit et en entrainait en cas de culpabilité le bannissement du village. En revanche lorsque le suspect en ressortait innocent, ses accusateurs lui présentaient des excuses en public et il réintégrait sa place dans la société. Parallèlement lorsqu’il était établi que la dénonciation était fondée sur les agissements délibérés d’un délateur, celui-ci était sommé de payer un lourd tribut à sa victime, faute de quoi il encourait lui-même la peine capitale.
L’intervention de Mwempolo avait été providentielle en ce qu’il avait déjà lui-même été victime de plusieurs rapts de piroguiers dans la zone côtière. Le vieil homme qui à force d’expériences s’était adapté aux nouvelles contingences, avait conseillé ses frères de ne plus emprunter en période de pleine lune, les voies traditionnelles qui les menaient en pays ombèkè, mais plutôt d’effectuer le détour par la voie océanique, certes plus longue et plus tourmentée, mais pas impraticable pour ces peuples de navigateurs. En effet dans la nuit obscure, les myènè qui avaient l’avantage de connaître l’hydrographie de la contrée et de pouvoir y naviguer sans repaires apparents, couraient moins de risques d’être capturés par leurs ennemis, car bien que ramant généralement au rythme de clameurs et de chants, ces personnes rompus à la traque aux bêtes aquatiques pouvaient aussi se déplacer rapidement dans les eaux obscures sans que l’on entendît le moindre clapotis.
Depuis l’avènement du phénomène des enlèvements, les Ombèkè et les Ajumba{19} demeuraient les plus menacés, car vivant sur la façade maritime. Mais accoutumés aux aléas de l’existence, ils avaient étudié les habitudes de leurs ennemis ; jamais ils n’oseraient s’aventurer dans leurs territoires car ne sachant pas ce qui les y attendait. D’ailleurs tous les jours dès le lever du soleil, les envahisseurs disparaissaient des abords des villages des noirs, leur laissant ainsi la latitude de vaquer sereinement à leurs occupations quotidiennes. Et ceux-ci s’étaient adaptés à la présence hostile de ces êtres venus de nulle part, à telle enseigne que certains soirs lorsque la lune n’était pas apparue, bien d’entre eux, téméraires, allaient pêcher aux abords des grandes embarcations parquées dans les eaux bordant leurs territoires.
Oyembo et ses compagnons n’étaient plus qu’à moins d’une heure de navigation de la terre ferme, et progressivement le jour se dessinait. Ils avançaient délicatement dans un espace jonché d’écueils, cherchant un endroit propice à l’accostage. Pour accéder au village de Mwempolo par la voie terrestre, et éviter ainsi d’affronter l’immense forêt humide et enchevêtrée, Oyembo et les siens se savaient contraints de transiter par les terres des Ajumba, et d’emprunter les plaines généreuses aux nombreux points d’eau hantés par les rongeurs et les volatiles, mets très appréciés des peuples de la contrée.
La tradition exigeant que l’on offrît des présents à ses hôtes, Oyembo sollicita Osinga son intendant afin qu’il l’aidât à choisir les articles appropriés ; les deux hommes convinrent de donner à Nguwa le chef des Ajumba : deux fourrures de civettes, objets liturgiques très usités dans la région, deux mpondé{20}, une cithare, un sceptre sculpté sur du bois d’ébène et quelques autres babioles.
Il était approximativement cinq heures du matin, la mer s’était totalement calmée, le vent marin qui les avait gelés tout le long de la nuit s’était adouci. Entrevoyant le bout du tunnel, les piroguiers noirs reprenaient de l’ardeur, et ayant aperçu un petit quai, ils entreprirent de le rallier. Le chef des voyageurs entonna un chant joyeux que son équipage désormais ragaillardi, reprit en chœur ; ils allaient enfin pouvoir se reposer et se réchauffer sur la terre ferme. La grande pirogue s’apprêtait à s’introduire dans le col qui menait au petit débarcadère, quand soudain les noirs entendirent derrière eux des crépitements. Lorsqu’ils se retournèrent, ils furent paralysés par le spectacle qui s’offrait à eux : sur de courtes et légères embarcations, les hommes à peau pâle, les terribles prédateurs dont on leur avait toujours parlé leur filaient le train en faisant péter des cannes effilées, d’où se dégageaient des nuées de fumées. Le moment de surprise passé, Oyembo reprit son sang-froid, et considérant la distance qui les séparait de leurs assaillants, il ordonna à ses hommes d’armer leurs arcs de flèches. Et courageusement les Nkomi amorcèrent une contre-attaque en règle, ce qui amena leurs agresseurs à ralentir leur progression. Mais malheureusement pour les noirs, leurs flèches n’étaient guère efficaces, car déviés par les vents marins. En revanche ils commençaient à ressentir les effets dévastateurs des armes de leurs ennemis sur leurs bagages. Comprenant qu’ils n’en viendraient jamais à bout, Oyembo ordonna à son équipage de gagner au plus vite le rivage afin qu’ils pussent s’engouffrer dans la forêt. Mais à la faveur de leurs embarcations légères, les assaillants avançaient rapidement sur les eaux lisses de la mer en tirant furieusement de leurs armes enfumées. Un, puis deux indigènes furent touchés, l’un grièvement blessé et l’autre tué sur le coup. À la vue de ce spectacle, ce fut la panique à bord ; l’équipage qui en réalité n’était constitué que de simples navigateurs, et non de guerriers expérimentés comme Oyembo, perdit toute contenance. Réalisant qu’il ne pouvait plus rien espérer de ces hommes paralysés par la peur, et pour éviter un massacre inutile, le guerrier nkomi proposa à ses compagnons de se rendre.
Au bout de quelques minutes leurs ennemis les rejoignirent, et pointant sur eux des bâtons à feu, ils leur firent signe de jeter leurs armes à la mer. Oyembo et ses compagnons s’exécutèrent. Deux blancs montèrent dans la grande pirogue, précipitèrent par-dessus bord le cadavre, sommèrent le blessé de se jeter dans les eaux sombres de la mer, et reléguèrent brutalement tous les captifs à l’avant de l’embarcation où ils leur attachèrent solidement les pieds, ne leur laissant que les mains libres afin qu’ils pussent pagayer. Les assaillants prirent ensuite place à l’arrière de la grande pirogue, et sous la menace de leurs armes, ils enjoignirent les noirs de suivre les trois chaloupes qui les précédaient.
La petite flotte vogua longtemps vers le large, et progressivement une immense chaîne montagneuse centrée au beau milieu de la mer se dressait devant eux. Lorsque leur embarcation fut près du massif, les piroguiers noirs ne voulurent plus pagayer, ils étaient comme pétrifiés. L’un des blancs dut tirer des coups de feu en l’air pour les obliger à ramer. Celui qui paraissait le chef de la bande, et dont la chaloupe était à la tête du convoi fit demi-tour afin de s’enquérir de la situation :
– « Alors Ramos qu’y a-t-il ? Tu ne vas quand même pas estampiller le produit ! Nous avons besoin d’éléments sains et gaillards !
– C’est qu’ils sont têtus les sauvages, ils ne veulent plus avancer », répondit le nommé Ramos, un homme basané, au regard fuyant et portant sur son crâne chauve un bandeau pourpre recoloré par la crasse.
– « Pronto ! Pronto ! Nous n’avons pas le temps avec nous, il faut y aller », reprit le chef en regagnant sa place à la tête de la file.
À côté de Ramos était assis Vittorio, il avait une mine patibulaire, aggravée par une grande bouche édentée. Contrairement à son acolyte, il était moins belliqueux et peu bavard. Mais à l’instar de ses congénères, il appartenait à cette race de personnes qui avaient tout vu, tout fait et pour qui rien n’était sacré, pas même leurs propres vies. Les noirs avaient compris qu’il valait mieux pour eux qu’ils ne contrariassent pas ces gens qui, sans états d’âme, n’hésiteraient pas de les massacrer. Et sur un signe d’Oyembo, ils reprirent la navigation, en route vers ces montagnes mystérieuses qu’ils avaient toujours évitées.
D’après de vieilles légendes en cours chez les Myènè, ces énormes roches émergeant de la mer étaient le séjour des génies et des esprits de leurs ancêtres disparus. Peuples animistes et superstitieux, ils vouaient à ces entités un culte particulier, et se gardaient de s’aventurer dans les espaces qui leur étaient attribués.
À la suite de leurs ravisseurs, les Nkomi atteignirent l’énorme falaise et s’engouffrèrent dans un défilé où ébahis, ils découvrirent un magnifique village. Quand ils accostèrent, le soleil était déjà haut dans le ciel, et des oiseaux marins voletaient au-dessus de leurs têtes en poussant des cris rauques. D’autres blancs vinrent accueillir l’expédition au rivage. Les noirs constatèrent que l’île abritait au total une cinquantaine
