Diapason

Brahms Un chemin d’art et de vie

Kreisler junior

Sonate pour piano no 3 op. 5

Ses vingt ans à peine advenus, Johannes – blond comme les blés, à la voix encore enfantine, au regard bleu intense de penseur – quitte sa nordique Hambourg pour rencontrer les maîtres : Liszt à Weimar, Schumann à Düsseldorf. Il noue au passage une amitié indéfectible avec le violoniste Joseph Joachim, l’illustre disciple de feu Mendelssohn. Tous sont fascinés par l’éphèbe taciturne qui signe « Joh. Kreisler jun. » Au carrefour des chemins, c’est en Schumann que le rêveur et imaginatif hoffmannien se découvre un père spirituel. Reconnaissance partagée. Soudain galvanisé, l’auteur des Kreisleriana, au bord de l’abîme, a le temps d’annoncer par voie de presse la venue d’un « élu » et de lui faire éditer sa moisson juvénile (deux premières sonates, une brassée de lieder). Composée sous le regard de Schumann à l’automne 1853 et hommage à la Sonate en fa mineur op. 14 de l’aîné, la Sonate no 3 en fa mineur de Brahms est cependant si splendidement personnelle qu’en ce mitan du siècle elle peut contrebalancer la Sonate en si mineur de Liszt, dédiée à Schumann.

Magistrale symphonie pianistique en cinq mouvements, d’une beauté saisissante, l’œuvre fait appel aux procédés de variation organique alla Beethoven où tout fait sens : la spatialisation sonore, la mise en chaîne des cellules motiviques, les polarisations tonales (fa-la bémol- bémol) et épisodes en style de choral. D’entrée de jeu, l’entame héroïque de l’Allegro maestoso se mesure à l’incipit de la Sonate « Hammerklavier ». Précédé du tercet poétique : « La nuit tombe, la lune brille, deux cœurs unis par l’amour s’enlacent avec béatitude », l’Andante espressivo oscille entre tendresse nostalgique et passion incandescente. Le Scherzo s’élance sur un thème somptueux emprunté au Trio en ut mineur de Mendelssohn. Intitulé Rückblick, l’Intermezzo porte son regard en arrière à la fois sur les premiers mouvements de la sonate et sur tout un passé germanique, de même que le finale rhapsodique incluant choral et f ugato : la parole de Novalis faite musique.

A écouter : Alexandre Kantorow. Bis.

A la Bien-Aimée inaccessible

Trio pour piano, violon et violoncelle no 1 op. 8

Le 27 février 1854, cinq mois après avoir noté « Brahms, ein Genius », Schumann s’immerge dans le Rhin. Rescapé, il est conduit à l’asile d’Endenich à Bonn où il végétera vingt-neuf mois devant ce Rhin fatal avant de rendre l’âme. Sans hésiter, Johannes sacrifie sa carrière naissante à la famille du maître foudroyé : sa célèbre femme Clara, enceinte de six mois, et leurs nombreux enfants. L’inspiration reste vivace ainsi qu’en témoignent les Variations « sur un thème de Schumann » op. 9, les Ballades op. 10. Mais, seul autorisé à visiter le maître enfermé, le fils spirituel est si traumatisé qu’il va bientôt cesser de publier : six années (1854-1860) séparent la parution des opus 10 et 11 (Sérénade pour orchestre). Durant ces mois éprouvants, Johannes/Werther continue de dédier plusieurs compositions à la femme interdite, qu’il « aime à en mourir », et de lui réserver certaines de ses créations.

Signé « Hanovre, janvier 54, Kreisler jun. », l’ample est achevé auprès de Joachim avant le drame schumannien. Johannes Kreisler, le héros du « fantastiqueur » Hoffmann, continue ainsi de stimuler l’imagination- dièse- dièse) unifie, ici, les quatre mouvements. Au splendide et profus succède un mystique. Le elfique cite le choral (), celui plusieurs fois sélectionné par Schumann, qui enclôt, transposé, l’un de ses « thèmes de Clara » (- dièse-- dièse-). En mineur, le frémissant finale chante, à la manière de Schumann, de Beethoven en guise de second thème. Est-ce trop ? Trente-cinq ans plus tard Brahms fera subir à son trio un considérable amaigrissement, éliminant les citations schumanniennes… pour les remplacer par de subtils hiéroglyphes non moins tendres.

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