Diapason

LES 120 CRITIQUES DU MOIS

en studio

• Christian Macelaru et l’Orchestre national de France ont enregistré les deux rhapsodies d’Enesco, mais aussi ses trois symphonies achevées : le triple album arrive chez DG.

• Chez DG, Yunchan Lim a mis en boîte les Etudes de Chopin et Daniil Trifonov étoffé son cycle Rachmaninov : rejoint par Sergei Babayan, il a gravé l’œuvre pour deux pianos.

• Chez Erato, Alexandre Tharaud nous promet un florilège de piano à quatre mains où il aura pour partenaires Beatrice Rana, Bertrand Chamayou, David Fray, Bruce Liu, Vikingur Olafsson… mais aussi le regretté Nicholas Angelich.

• Le Quatuor Hanson fait son entrée chez Harmonia Mundi avec un double album Schumann, en compagnie d’Adam Laloum dans le quintette.

Benjamin Alard consacre le Volume IX de son intégrale des œuvres pour clavier de Bach aux « Happy Years » 1717-1723 qui voient naître à Köthen le Cinquième Brandebourgeois, la Fantaisie chromatique… (HM).

• Château de Versailles Spectacles annonce une Armide de Lully dirigée par Vincent Dumestre (avec Stéphanie d’Oustrac, Cyril Auvity, Marie Perbost…) et L’Olimpiade de Cimarosa par Christophe Rousset.

• Tandis que Barbara Hannigan et Bertrand Chamayou se penchaient sur trois partitions vocales de Messiaen, l’Ensemble Intercontemporain et Pierre Bleuse bouclaient une anthologie Ligeti, mi-concertante, mi-chambriste. Deux nouveautés à guetter chez Alpha.

• Décliner Le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn dans ses versions anglaise et allemande, c’est le défi que se sont lancés Pablo Heras-Casado et le Freiburger Barockorchester (HM).

NOS COTATIONS

EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés.

NOTRE COUP DE FOUDRE inédite ou d’un talent à suivre.

PASCAL ARNAULT

NÉ EN 1966

L’Humanité ébranlée. Sonates pour piano nos 1 à 3. Quatuors à cordes nos 1 à 3. Quatre chants sérieux. Danses allégoriques pour piano à quatre mains. Sonate pour une Ballade Nocturne pour violon et piano.

Amélie Raison (soprano), Elsa Tsuya Mionet (mezzo), Thibault Darbon (baryton), Benjamin Hertzl (violon), Pascal Arnault, Ingmar Lazar, Ziad Kreidi, Daniel Popper (piano), Quatuor Onslow, Quatuor Henzel.

Triton (2 CD). Ø 2023. TT : 1 h 20’

TECHNIQUE : 3/5

Autodidacte, Pascal Arnault s’est fructueusement nourri d’une admiration éclectique pour les grandes figures contemporaines, de Xenakis à Pärt, pour composer sous le choc immédiat de l’émotion. Dans un langage néotonal, élargi par l’abondance des notes ajoutées mais puissamment pulsé et polarisé, L’Humanité ébranlée conjugue en 2022 drames terroristes (World Trade Center), sanitaires (Covid) et accidentels (Notre-Dame).

Si l’on perçoit, dans ces cinq lieder pour soprano et piano, des affinités de climat ou de langage avec Les Illuminations de Britten ou Les Chants de l’âme d’Olivier Greif, ce n’est pas faute d’invention ou de personnalité. La concision profite à l’auditeur autant qu’aux œuvres. Il en va ainsi du Nocturne de son Quatuor no 1 (2015) : trois minutes quarante-sept d’une beauté absolue, suspendues entre ciel et terre, dont seul Chostakovitch aurait pu décupler l’envergure.

Source d’inspiration récurrente, la nuit décline ses ombres dans la svelte Sonate pour une Ballade Nocturne associant violon et piano dans un hommage aux époux Dutilleux, comme dans l’âpre Sonate Janvier 2015 destinée au piano (diptyque dicté par les attentats terroristes) où un Nocturne tire du glas de la Marche funèbre la matière d’une Marche de l’espoir ?

Les trois quatuors à cordes, magistralement menés, n’arpentent pas non plus les sombres avenues de l’éloquence pessimiste : ils laissent toujours filtrer les rayons du soleil. Le deuxième, Retrouver la verdure printanière, porte bien son titre. Bref, une riche moisson d’émotions promise aux oreilles curieuses.

Gérard Condé

GRAZYNA BACEWICZ

1909-1969

Symphonie no 2. Ouverture. Variations pour orchestre. Musica sinfonica in tre movimenti.

Orchestre symphonique de la WDR, Lukasz Borowicz.

CPO. Ø 2023. TT : 53’.

TECHNIQUE : 4/5

Sa plume féconde, en l’empêchant de se fixer dans une seule formule, permit à Bacewicz d’évoluer d’un néoclassicisme peu enclin à l’expression de sentiments personnels, vers un style plus audacieux, allant jusqu’à explorer les ressources de la technique sérielle. Malgré leurs qualités et leur dynamisme rythmique, la brève et brillante Ouverture (1943), tout comme les quatre mouvements plutôt concis de la Symphonie no 2 (1951) restent engoncés dans les modes de l’époque (motorique alla Hindemith, tonalité obstinée mais défaillante, harmonies agressives).

En revanche, en moins de dix minutes, les étonnantes et fort singulières Variations pour orchestre (1957) frappent par la saveur de leurs alliages de timbres, et une étourdissante invention dynamique et rythmique. On songe immanquablement aux splendides Variations op. 31 de Schönberg et Variations op. 30 de Webern, même si l’esthétique de Bacewicz demeure très éloignée de celle des Viennois.

L’abrupte et intense Musica sinfonica (1965) en trois mouvements vaut largement le détour, sa pugnacité et ses idées offrant la possibilité d’échappées vers l’inconnu. Les interprétations dirigées par Lukasz Borowicz sont un modèle d’engagement et de ferveur.

Patrick Szersnovicz

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Cantates BWV 5, 33, 94*, 111, 113, 135 et 178.

Marie-Sophie Pollak (soprano), Marie Seidler (alto)*, Benno Schachtner (contre-ténor), Georg Poplutz, Tobias Hunger (ténors), Tobias Berndt, Daniel Ochoa (basses), Chorus Musicus Köln, Das neue Orchester, Christoph Spering.

DHM (2 CD). Ø 2022. TT : 2 h 22’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Christoph Spering se lançait il y a dix ans, pour DHM, dans les cantates de Bach. Comme le précédent (cf. no 721), le nouveau double album rassemble des pages écrites pour le cycle 1724-1725. Avec un chœur de vingt et un chanteurs, les fidèles Tobias Berndt, Daniel Ochoa et Georg Poplutz, les effectifs demeurent assez stables. Le contre-ténor Benno Schachtner se distingue par sa sûreté vocale comme par sa capacité à servir le texte avec justesse : son « Wie furchtsam » dans la BWV 33 est, par exemple, bien plus incarné que celui de Robin Blaze (chez Suzuki, Bis, 2004).

Le chef ajuste les tempos avec minutie : tournant le dos, dans la BWV 111, à la hâte qui brusquait l’approche d’un Gardiner (Archiv, 2000), il laisse respirer aussi bien le chœur d’entrée que l’aria partagée entre alto et contre-ténor, faisant jeu égal avec Suzuki (Bis, 2006). La BWV 135 s’appuie sur un tempo retenu, et on admire la manière dont la prière se forme puis émerge du « Ach Herr, mich armen Sünder » initial. Jonathan Brown (avec Gardiner, SDG, 2010) insufflait certes une virulence supérieure à « Weicht, all ihr Übeltäter », mais le reste de la cantate apparaît survolée en comparaison de ce qu’on entend ici.

La BWV 5 offre à Das neue Orchester l’occasion d’illustrer sa vigueur comme sa finesse. L’excellent ténor (« Ergiesse dich ») de Rudolf Lutz (Bach-Stiftung, 2019) n’y faisait pas oublier un « Verstumme » précautionneux, où Tobias Berndt et la trompette obligée ne redoutent ici ni l’allant ni l’éclat.

Jean-Christophe Pucek

« Fragments ». Œuvres transcrites ou achevées par Lorenzo Ghielmi : Fantaisies et fugues BWV 537 et 562. Fantaisie BWV 573. Sonate pour violon BWV 1001. L’Art de la fugue (Fuga a tre soggetti). Air BWV 991. Chorals BWV 622, 753, 764, 1105, Anh. 200.

Lorenzo Ghielmi (orgue Reil de l’église St. Nikolaus de Rosenheim).

Passacaille. Ø 2023. TT : 1 h 06’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Un rêve préside à ce disque : achever les pièces laissées en suspens par Bach. La plus célèbre d’entre elles est sans conteste la fameuse Fuga a tre soggetti dont nul ne saura jamais avec certitude si elle constitue ou non le Contrapunctus XIV de L’Art de la fugue. Lorenzo Ghielmi tranche pour le oui, et réintroduit dans sa terminaison le thème principal du cycle dont – histoire d’appuyer son argument – il donne en pendant le Contrapunctus initial.

Il complète également les fantaisies et fugues en ut mineur, la fantaisie en ut majeur et quelques chorals, tel cet O Traurigkeit esquissé dans l’Orgelbüchlein. La Sonate pour violon seul no 1 pose un autre défi : Bach en a lui-même transcrit la fugue, en la transposant en mineur et en la faisant passer à cinq voix. L’organiste milanais l’imite dans les trois autres mouvements. Il n’est pas tout à fait le premier, en tout cas pour l’Adagio initial, qui a connu des versions signées Xavier Darasse et André Isoir.

Transcriptions ou achèvements, l’organiste propose des solutions plausibles parce que sans recherche alambiquée ni effort de prouesse : le contrepoint, toujours élégant, ne fait pas les pieds au mur; rien ne sent la sueur ni la contorsion. On aurait pu attendre un peu plus de sophistication (et les deux claviers) dans la sonate, mais le jeu est à l’avenant de ce naturel. La polyphonie chante, soutenue par une rythmique sans faille, avec beaucoup de subtilité dans le détail de l’articulation et de l’agogique, en plus de la qualité de toucher – signature de l’artiste.

On regrettera seulement que Ghielmi n’ait pas enregistré ces « Fragments » sur son magnifique Ahrend de San Simpliciano ! L’harmonie grossière, criarde et inégale de l’instrument tout neuf de Rosenheim dépare le jeu de cet immense organiste.

Paul de Louit

Suite pour orchestre no 2. Concerto brandebourgeois no 5. Concerto pour flûte, violon, clavecin, cordes et basse continue BWV 1044. Concerto pour trois clavecins BWV 1063 (Alla siciliana, transcription).

Frank Theuns (flûte), Sophie Gent (violon), Bertrand Cuiller (clavecin), Les Muffatti.

Ramée. Ø 2023. TT : 1 h 03’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Frank Theuns et Bertrand Cuiller nous avaient régalés dans les sonates pour flûte et clavecin du Cantor (Diapason d’or, cf. no 698). Les voici rejoints par Sophie Gent et Les Muffati. Tout cela augurait du meilleur. Il faut pourtant passer sur une Suite en si mineur décevante – lecture assez scolaire, en mal d’imagination : écoutez le Rondeau, systématique, la Badinerie plus vainement agitée que badine. La flûte, curieusement, paraît plus d’une fois à la peine.

L’essentiel se trouve dans les deux « triples » concertos. Rapprocher ainsi le et le cinquième des met en relief leur profonde différence, les interprètes restituant leurs spécificités avec finesse : à l’un l’aimable marivaudage, à l’autre un impérieux sens du tragique. On admire la manière dont le jeu de Cuiller se métamorphose, ici plus brillant, là plus rigoureux, presque hautain, toujours superbe. Bien capté, le clavecin (Bruce Kennedy d’après Christian Zell) articule sans sécheresse. Dans le premier mouvement du , il fait crépiter les vagues de doubles croches qui précèdent l’immense cadence

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