Diapason

Diapason d’or 2021

HEINRICH ALBERT

1604-1651

Musicalische Kürbs-Hütte (extr.). Poetisch-musicalisches Lust-Wäldlein (extr.). Et œuvres de Schütz, Schein, Hildebrandt, Scheidt, Hammerschmidt, Jacobi, J. Bach, Nauwach.

Dorothee Mields (soprano), Romina Lischka (viole et direction), Hathor Consort.

Ramée. Ø 2019. TT : 1 h 16’.

TECHNIQUE : 4/5

Enregistré en novembre 2019 à la Begijnhokerk de Sint-Truiden (Belgique) par Rainer Arndt. Un ensemble instrumental (violes, harpe, cornet à bouquin, orgue) aux couleurs chaleureuses et aux harmoniques entrelacés, enveloppe une voix de soprano, centrée et traitée en égale. A noter le dialogue magnifiquement équilibré entre celle-ci et le cornet.

Années 1618-1648, décennies d’épouvante. Impossible d’entendre vraiment la musique germanique du XVIIe siècle sans avoir à l’esprit les ravages de la guerre de Trente ans, dont l’écho résonne toujours bien après le retour de la paix. Heinrich Albert, musicien de Königsberg, avait, en 1639, construit une tonnelle dans son jardin, sur laquelle couraient des cucurbitacées : la « cabane aux citrouilles » devint, pour lui et ses amis poètes, une enclave à l’abri des horreurs du temps. Le Hathor Consort ressuscite leur société, joyeuse malgré les combats, la famine et la mort. Dès le tableau d’ouverture, tout est là : le cliquetis des rapières de la soldatesque (Galliard Battaglia de Scheidt) comme l’exaltation mystique (Es steh Gott auf de Schütz, restitué avec l’élan idoine), tandis que plane la désolation (Paduan-Courant dolorosa de Scheidt encerclant la déploration de Hildebrand, entre abattement et révolte).

A cet intelligent programme ne manquent ni l’effroi, ni l’espoir, ni l’amour de la vie (les savoureuses chansons d’Albert), ni la conscience de sa fragilité (Unser Leben ist ein Schatten de Johann Bach, traduit avec une piété simple et raffinée). La partie intitulée « Une trêve fragile » en apporte une autre splendide illustration, alternant airs et danses enlevés, jusqu’à ce qu’une suspension vienne briser la jubilation, mêlant à l’ivresse des sens les herbes amères de la mélancolie. Voilà qui est magnifiquement pensé et joué, d’une justesse émotionnelle saisissante.

Les violes tantôt enjouées, tantôt ombreuses du Hathor Consort, le cornet brillant ou rêveur de Lambert Colson, le talent de diseuse de Dorothee Mields, présence claire et corsée aussi à l’aise dans le registre profane que sacré, tout concourt à faire de ce récital une expérience bouleversante, et un des disques les plus accomplis dévolus à la période. On songe à la truculence tragique d’Une rencontre en Westphalie de Grass : « Quand tout gisait en ruine, seuls brillaient les mots. » Ici, brillent également les notes.

Jean-Christophe Pucek

CHARLES AVISON

1709-1770

Concertos in Seven Parts nos 5, 6, 9 et 12. SCARLATTI : Sonates K 11, 27, 87, 213.

Emmanuel Resche-Caserta (violon), Ignacio Prego (clavecin et direction), Tiento Nuovo.

Glossa. Ø 2020. TT : 1 h 08’.

TECHNIQUE : 3/5

Enregistré en octobre 2020 salle Fray Luis de Leon, à Guadarrama (Espagne), par Federico Prieto. Si, pour les sonates, l’image du clavecin solo est parfaitement centrée, celle de l’ensemble instrumental est déséquilibrée, notamment par la présence marquée d’un violon sur la gauche. Les aigus sont parfois légèrement acides.

Publiés en 1744, les douze Concertos in Seven Parts de Charles Avison conjuguent deux obsessions de l’Angleterre de la première moitié du XVIIIe siècle : le goût pour le modèle corellien du concerto grosso, popularisé par Geminiani et Handel, et la fascination pour l’imagination débridée de Scarlatti. Les sonates de ce dernier fournirent à l’organiste de Newcastle un matériau de choix pour élaborer des œuvres aux climats changeants, tantôt d’une noble gravité, tantôt d’une fougue échevelée, toujours empreintes d’une recherche d’équilibre déjà classique.

Depuis les intégrales pionnières de Marriner (Philips, 1979) puis, sur instruments anciens, de Goodman (Hyperion, 1994), la faveur de ces pages ne se dément pas; le disque que Tiento Nuovo consacre à quatre d’entre elles magnifie leur inventivité. Dès le Largo puis le Con spirito du Concerto no 9, les fondations de l’approche sont posées : équilibre radieux, absence de précipitation permettant aux phrases de respirer, capacité à faire saillir angles et contrastes. La douce nostalgie de la Siciliana,la pulsation vigoureuse de l’Allegro sont restituées avec un égal bonheur, tout comme les couleurs du Temporeggiato en apesanteur du Concerto no 12; son Tempo giusto millimétré, son Allegro spiritoso malicieux, la sensibilité de son Lentemente font mouche. Le Largo du Concerto no 5 exempt de brutalité, son Moderato rendu à son mystère, les déhanchés subtils de son Allegro final nous ravissent. Quant au Con furia du Concerto no 6, il est ébouriffant d’énergie et de maîtrise.

Cette réussite est à verser au crédit de la complicité entre l’archet racé, aux ornementations généreuses mais jamais envahissantes, d’Emmanuel Resche-Caserta, et le toucher raffiné, la conduite éclairée d’Ignacio Prego qui offre, contrepoint bienvenu, une lecture pleine de subtilité de quatre sonates de Scarlatti. Surclassant celle de Café Zimmermann (Alpha, 2002) par son intelligence du répertoire, cette anthologie s’impose comme la meilleure invite pour découvrir Avison.

Jean-Christophe Pucek

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

« Little Books ». Wer nun den lieben Gott lässt walten BWV 691. Suite française BWV 815. Capriccio sopra la lontananza del fratello dilettissimo BWV 992. Prélude, fugue et allegro BWV 998. Prélude BWV 815a (attr.). Et œuvres de Kuhnau, Hasse, Böhm, Couperin, Telemann.

Francesco Corti (clavecin).

Arcana. Ø 2019. TT : 1 h 19’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Enregistrements réalisés par Ken Yoshida en mai 2019 à la Sala Musicale Giardino à Crema (Italie). L’image sonore, un peu serrée, offre néanmoins une belle profondeur de plans. Les graves lui donnent assise et relief, sur lesquels se superposent des aigus riches en harmoniques. Cette captation en assez grande proximité, s’écoutera de préférence aux enceintes plutôt qu’au casque.

La rareté de la documentation directe sur Bach incite chercheurs et musiciens à interroger les sources « privées », entendez familiales, afin de tenter d’y discerner l’homme au-delà de ses habits officiels. Les différents « petits livres » (Büchlein) compilés par lui à des fins domestiques ou pédagogiques (souvent jumelles) offrent ainsi un reflet de la méthode mais aussi des goûts du Cantor. Ceux tenus par le frère aîné Johann Christoph consignent, aux côtés des témoignages des maîtres qu’il étudia, les premières réussites du jeune Johann Sebastian, dont le brillant Capriccio sopra la lontananza del fratello dilettisimo, une des rares œuvres à programme sorties de sa plume.

Lauréat du Concours de Bruges 2007, Francesco Corti, salué il y a peu pour d’excellents concertos (Cinq Diapason, cf. no 692) puise dans sept de ces cahiers riches d’enseignements, matière à brosser un panorama haut en couleur. Tendres sans langueur, Les Bergeries de Couperin y côtoient un sombre et percutant Prélude et fugue de Böhm, magistralement tendu, une sucrerie de Hasse, la transcription pétillante d’une Suite de Telemann. On trouvera même une des Sonates bibliques de Kuhnau interprétée avec une si fine caractérisation qu’elle s’impose comme un des meilleurs moments d’un disque qui n’en est pas avare. Maître des contrastes et de la varietas, Corti livre une Suite française no 4 ensoleillée, espiègle, qui n’oublie ni de respirer, ni de chanter. On admire sa conduite de la polyphonie, la clarté de ses idées dans le Prélude, fugue et allegro BWV 998; le Capriccio BWV 992 est, sous ses doigts, une succession de tableautins colorés avec autant de raffinement et d’humour que d’indicible nostalgie (très bel Adagiosissimo).

Construite avec un sens affûté de la dramaturgie jusqu’à son envoi rêveur, cette promenade enthousiaste, éclairée, dans les petits papiers de Bach, loin d’être anecdotique, nous le rend plus proche, presque familier. Chaque écoute est comme la visite enchantée à un ami qui a tant de choses à nous conter, à nous apprendre.

Jean-Christophe Pucek

Concertos pour 3 et 4 clavecins BWV 1063-1065. MÜTHEL : Duetto en mi bémol majeur.

Cristiano Holtz, Anna-Maaria Oramo (clavecin), Miklos Spanyi, Aapo Häkkinen (clavecin et clavicorde), Helsinki Baroque Orchestra.

Aeolus (SACD). Ø 2017. TT : 1 h 17’.

TECHNIQUE : 3/5

TECHNIQUE SACD : 3/5

Enregistré en juillet 2017 par Ulrich Lorscheider à l’église St Lawrence de Janakkala (Finlande) et à Enskede (Stockholm). Timbres bien définis. L’image aurait cependant gagné à être plus aérée car, insuffisamment espacés les uns des autres, les instruments manquent de relief.

Ils ont fait les beaux soirs du café de Gottfried Zimmermann dans les années 1730. Imaginez : Johann Sebastian, Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel sont aux claviers de concertos dont l’effectif soliste est inhabituel pour l’époque. Les instruments ici choisis offrent un large échantillon de la facture européenne de l’époque; allemand, italien, français et flamand, ils unissent leurs spécificités dans une pâte sonore à la fois dense et lisible.

Qu’il s’agisse d’exprimer la gravité du BWV 1063, allégée toutefois par un Alla siciliana ici plus italien que nature, la jubilation du BWV 1064, ombrée par son Adagio mélancolique, ou l’effervescence polyphonique du BWV 1065 (transmutation du RV 580 pour quatre violons de Vivaldi), Aapo Häkkinen et ses complices savent à merveille conjuguer vitalité, sens des proportions, raffinement du coloris, concentration et sensibilité. Comme hier dans les concertos à deux clavecins, où le musicien finlandais avait pour complice Pierre Hantaï (Diapason d’or de l’année 2018), on ne trouvera ici nul effet de manche superflu, mais une pulsation dansante assumée, une écoute mutuelle affûtée – et le vaillant petit ensemble de cordes (à un par pupitre) y a sa part. Sous leurs doigts, ces œuvres aux textures complexes trouvent un équilibre idéal, où la discipline n’étouffe jamais la liberté.

Interprété cette fois aux clavicordes par Häkkinen et Miklos Spanyi, l’ample Duetto en mi bémol majeur de Johann Gottfried Müthel (1728-1788), ultime et fantasque élève du Cantor, fait la part belle aux frissons et aux silences chers à l’Empfindsamkeit. Il met un point final tout en délicatesse à une aventure qui aura marqué la discographie récente des concertos.

Jean-Christophe Pucek

Sonate pour flûte et basse continue BWV 1034. Sonates pour flûte et clavecin obligé BWV 1027/1039, 1030b. Partita pour flûte seule BWV 1013.

Frank Theuns (flûte traversière baroque), Bertrand Cuiller (clavecin).

Ramée. Ø 2020. TT : 1 h 03’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Enregistré en février 2020 à l’église Saint-Apollinaire de Bolland (Belgique) par Rainer Arndt. Difficile de trouver un juste équilibre et un lien entre deux instruments aussi distincts : un clavecin détouré (par définition) en opposition à une flûte aérienne qui lutte, quand elle joue dans les graves, pour passer devant le clavier. Timbres très plaisants.

Un nouveau Diapason d’or dans les sonates pour flûte de Bach, deux ans à peine après la référence magistrale signée par les frères Hantaï (cf. no 666) ? C’est que Frank Theuns et Bertrand Cuiller ne racontent pas tout à fait la même histoire. Le programme, d’abord : si la Partita pour flûte seule est là, comme la Mi mineur avec basse continue, le reste prend d’autres chemins, avec une BWV 1030 dans sa version en sol mineur. Un manuscrit de la partie de clavier nous l’a transmise dans cette tonalité (quand la seule version complète de l’époque est une tierce plus haut) et son titre – « al cembalo obligato e flauto traverso » – ne laisse guère de doute quant à l’instrumentation. Et puisque la Sol majeur existe déjà sous deux habits (pour viole et clavecin, à deux flûtes et basse, BWV 1027 ou 1039), pourquoi ne pas lui en tailler un troisième ? Pratique largement attestée, dont relève peut-être, d’ailleurs, la Partita, et que prolonge ici une Allemande de la Suite française no 6 transcrite avec talent pour flûte seule.

Le discours de Marc et Pierre Hantaï touchait le ciel, dans des sonorités immaculées. La nouvelle gravure nous ramène dans la (belle) matière. Theuns assume de jouer de la flûte : il ne cherche à masquer ni le souffle, ni l’inégalité des différentes notes de la tessiture, inhérente au traverso… Les articulations caractéristiques de l’instrument semblent allier le geste à la parole. D’où une sensualité, un ancrage dans l’impérieux présent qui éveille l’intérêt. Grâce aussi au dialogue exemplaire avec Bertrand Cuiller. La BWV 1034 y prépare l’oreille : écoutez comme la basse est nette, comme la main droite la met en valeur, comme le rythme avance, comme l’esprit est guidé et capte tout – sans didactique toutefois. Jamais dans les trios cet équilibre idéal ne sera rompu; les voix s’épanouissent dans un discours d’une lisibilité optimale. Et ce clavecin qui sait rebondir excelle aussi à chanter, ensorcelle dans la BWV 1030 – l’Andante ! « La tessiture inférieure et l’usage abondant de doigtés de fourche [à la flûte] de cette version moins connue lui confèrent plus d’intimité et une plus grande mélancolie qu’à son incarnation plus tardive en si mineur », écrit le flûtiste. Détachée de toute démonstration, la lecture sombre qu’en livrent les deux comparses relègue la virtuosité au second plan. Le Presto final, dans un tempo modéré, déploie des charmes vénéneux (les trilles du clavecin !). A l’opposé, la plus badine BWV 1027/1039 trouve des angles un rien plus aiguisés qui la tiennent à distance de toute mièvrerie superflue. Alliage précieux de finesse et de fermeté.

Loïc Chahine

Sonates et Partitas pour violon seul BWV 1001-1006.

Leila Schayegh (violon baroque). Glossa (2 CD).

Ø 2019-2020. TT : 1 h 10’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Enregistré en septembre 2019 et janvier 2020 à la salle de musique de La Chaux-de-Fonds (Suisse) par Markus Heiland (Tritonus). La captation en proximité offre au violon une belle définition. Si la grande présence de l’instrument apporte beaucoup de détails sur la qualité du jeu, l’ensemble manque légèrement de relief et d’espace.

Après son enregistrement des Sonates pour clavecin et violon (Glossa, 2016, Diapason d’or de l’année) révélant des affinités incontestables avec la musique de Bach, il semblait naturel que Leila Schayegh relève le défi des Sonates et Parti tas. Sa maîtrise technique éblouissante en transcende les périls, son sens aigu de l’architecture prévient la virtuosité de s’y dévoyer en étalage narcissique.

Dès l’Adagio de la Sonate no 1, le geste est précis mais ample, le propos d’une densité qui s’épanouit dans la Fugue, altière, répudiant la joliesse au profit de l’éloquence; les effleurements de la Sicilienne se font confidences, le Presto tourbillon; on brûle déjà d’entendre la suite. La Partita BWV 1002 nous laisse ébahis devant la calligraphie vibrante de l’Allemande, nous emporte par l’énergie du Double de la Courante comme par la mélancolie insondable de la Sarabande.

L’élan de la danse, partout tangible, est magnifié par l’esprit. Mais voici le Grave de la BWV 1003 dont le souffle éperdu se prolonge dans la Fugue aux escarpements gravis avec tant d’aplomb qu’on en oublie l’effort; sur les cimes, l’Andante déploie une plainte d’une pudeur bouleversante, l’Allegro un rêve d’inaccessible envol. La cohérence de l’approche de Schayegh offre à cette Sonate no 2 une concentration saisissante. Il en va de même pour la Partita BWV 1004, tendue vers une Chaconne dont les polyphonies de la Sarabande semblent être la prémonition – d’autant que la violoniste soigne la beauté de chaque intervalle. Rien ne manque aux volutes qu’elle convoque dans ce finale glorieux, ni la grandeur, ni l’emportement, ni l’agilité, ni le frisson. Sa vision de la Chaconne est, au sens propre, lucide : la lumière la traverse, en émane de toutes parts. Tout aussi impressionnants, le déploiement de l’immense Fugue de la Sonate BWV 1005 qu’on a peu entendu sonner avec autant de plénitude, le jaillissement de son Allegro assai conclusif. Du Prélude virevoltant aux Menuets pleins de verve, le congé accordé par la Partita BWV 1006 trouve, lui, les accents d’une bénédiction joyeuse.

Aux côtés du classicisme paisible d’Amandine Beyer (2011, Zig-Zag Territoires) et du mysticisme brûlant d’Hélène Schmitt (2005-2006, Alpha), la rigueur, la liberté, la pleine conscience de ses moyens et des enjeux des Sonates et Partitas installent, et pour longtemps sans doute, la proposition de Leila Schayegh parmi les sommets de la discographie.

Jean-Christophe Pucek

Suite BWV 955. Partita BWV 997. Prélude BWV 999. Fugue BWV 1000.

Jadran Duncumb (luth baroque à treize chœurs).

Audax. Ø 2020. TT : 52’

TECHNIQUE : 3,5/5

Enregistré par Jørn Pedersen en janvier 2020 à Låven, Lislevann, Evje (Norvège). Prise de son en très grande proximité qui permet d’apprécier la qualité de restitution du timbre et des détails du jeu. Un espace plus aéré et plus ample aurait favorisé l’épanouissement d’harmoniques et n’aurait pas nui non plus à une écoute intime.

Alors qu’il n’en jouait pas luimême et en ignorait les aspects techniques, Johann Sebastian Bach a dédié au luth (ou clavecin-luth, la question fait encore débat) un important corpus de pièces, dont une partie consiste en adaptations autographes d’autres œuvres.

Elève de Jakob Lindberg et Rolf Lislevand, déjà remarqué aux côtés de Johannes Pramsohler (Bach et Weiss, cf. no 666) et au sein du duo Repicco (« Assassini, Assassinati », cf. no 665), Jadran Duncumb en enregistre ici la moitié : la Suite en sol mineur BWV 995 (transcription par le compositeur de sa Suite pour violoncelle no 5), la Partita en ut mineur BWV 997, ainsi que le prélude BWV 999 et la fugue BWV 1000.

Ces pièces ont en commun de figurer, notées en tablature, dans des manuscrits conservés à la bibliothèque de Leipzig. Si le copiste-arrangeur de la BWV 995 reste anonyme, celui des BWV 997 et 1000 est identifiable : il s’agit de l’organiste et luthiste Johann Christian Weyrauch (1694-1771), qui connaissait le Cantor. « Ces tablatures historiques, écrit Duncumb, nous informent sur les choix interprétatifs et techniques adoptés par ces luthistes contemporains de Bach. » Riches d’indications techniques (doigtés, liaisons, ornements…), elles permettent à notre interprète d’exploiter toutes les possibilités de son instrument pour donner aux œuvres une véritable identité et une couleur luthistiques.

Le résultat est époustouflant : ces pages ont rarement aussi bien sonné, alors qu’elles avaient déjà atteint des sommets sous les doigts de Claire Antonini (AS Musique, 2012) ou de Rolf Lislevand (Naïve, 1999). Quel sens des dynamiques, quelle variété d’articulations !

Jamais scolaire comme peut parfois l’être celle de Xavier Diaz Latorre (Passacaille, 2017), la lecture de Duncumb semble guidée par un art consommé de la rhétorique qui donne toute son ampleur au contrepoint. Pour autant, le discours se déploie sans se regarder dans le miroir ou s’enfermer dans l’abstraction. Au contraire : le luthiste excelle à incarner ces pièces, à les faire vivre avec une apparente spontanéité.

La majesté dramatique dans la première partie (lente) du Prélude de la BWV 995, nous captive, tout comme nous emportent l’animation, le relief dans la deuxième partie, « Très viste », où l’articulation et les nuances tiennent de la dentelle.

Dans la première gavotte de la même Suite BWV 995, Duncumb donne à entendre un remarquable phrasé cantando, moelleux et rond. L’interprète ne se contente pas de nous tirer partout l’oreille, il nous invite à redécouvrir les possibilités du luth baroque. Fascinant.

Wissâm Feuillet

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Symphonie no 7. Les Créatures de≈Prométhée (ballet intégral).

Freiburger Barockorchester, Gottfried von der Goltz.

HM (2 CD). Ø 2020. TT : 1 h 43’.

TECHNIQUE : 4/5

Enregistré en février 2020 au Konzerthaus de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) par Tobias Lehmann. Une image orchestrale charpentée, charnue et chaleureuse, à l’exact opposé d’un son analytique. La réverbération généreuse de la salle engendre une dynamique instrumentale qui manque un rien de tonicité.

Quoi de plus naturel que de réunir « l’Apothéose de la Danse » que Wagner voyait dans la   et le ballet ? Si ce rapprochement crée des ponts entre les deux œuvres, il ne faut pas les exagérer. Dès les premières scansions savamment étagées de la , on dresse l’oreille. Le Freiburger Barockorchester dispense un foisonnement sonore, une exaltation intérieure, riche de mille reste saillant, voire rugueux, en dépit de la douceur du deuxième thème. Toutes les voix sont audibles, portées par la dynamique perpétuellement renouvelée des contrastes (cuivres, timbales). Le mordant et le volontarisme âpre du enthousiasment, générant une intranquillité accentuée par la pertinence du détail. Elle s’accomplit dans un finale qui, plus qu’une course folle Carlos Kleiber, est une résolution.

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