Guerres & Histoires

CUBA, LA « SPLENDIDE PETITE GUERRE» DE WASHINGTON CONTRE MADRID

1 L’ARRIÈRE-PLAN

La guerre de Cuba se joue à trois: l’Espagne et ses appuis locaux, les indépendantistes et les États-Unis. Et elle se joue en deux actes très différents: d’une part une guerre d’indépendance mâtinée de guerre civile (et raciale) entre 1895 et 1898, d’autre part, d’avril à juillet 1898, une guerre entre le royaume d’Espagne et la République états-unienne – deux puissances secondaires à l’époque, l’une en fort déclin, l’autre en ascension météorique.

L’Espagne est installée à Cuba depuis le début du XVIe siècle. Elle y est représentée par un gouverneur général assisté, pour les affaires militaires, d’un capitaine général. L’économie locale est entre les mains d’une bourgeoisie blanche dont les grandes propriétés sucrières prospèrent en exploitant la main-d’œuvre noire. Cette «saccharocratie» a soutenu le régime colonial tant qu’elle en avait besoin pour éviter ou mater les révoltes serviles. Pour la métropole, l’île est une grosse source de revenus (via les taxes douanières) et un marché protégé où elle écoule les produits de son industrie.

Pour complaire à la saccharocratie, Madrid tarde à abolir l’esclavage (1886), ce qui ne fait qu’alimenter la légende noire de ce pays. Le parti conservateur, mené par Antonio Canovas, plusieurs fois président du Conseil, n’a d’autre objectif que de consolider la restauration de la monarchie en Espagne après un demi-siècle de convulsions (voir encadré p. 64) et de maintenir l’empire. Les deux vont de pair, puisque la restauration doit beaucoup à l’argent de la bourgeoise cubaine. Pour autant, à partir des années 1880, la saccharocratie, bien qu’hispanisée en profondeur, se rapproche des milieux d’affaires états-uniens. Ce n’est pas étonnant, dans la mesure où 91% des exportations partent chez le grand voisin du Nord. Elle supporte par ailleurs d’autant moins les barrières douanières imposées par Madrid que celles-ci l’empêchent d’importer les produits états-uniens, meilleurs et moins chers que ceux des Espagnols.

Pour autant, la plupart des indé-pendantistes cubains, actifs dès les années 1850, ne sont pas issus de la grande bourgeoisie, mais de ce qu’on appelle aujourd’hui les classes moyennes. Ils ont pour modèle les nationalistes dominicains qui ont contraint l’armée espagnole à quitter Saint-Domingue en 1865. Washington, de son côté, déborde d’ambitions pour Cuba et l’ajouterait volontiers à l’Union. À quatre reprises (1848, 1857, 1859 et 1869), la Maison-Blanche propose à Madrid d’acheter l’île, comme en 1821 pour la Floride – mais l’offre est à chaque fois repoussée. La démarche obéit fidèlement à la « doctrine» formulée par James Monroe (président de 1817 à 1823), qui fait des Amériques une sphère d’influence des États-Unis, dans laquelle aucune colonie ou ingérence des pays du Vieux Continent ne sera tolérée.

Espagnols et indépendantistes s’affrontent une première fois durant dix années, entre 1868 et 1878 (avec des soubresauts en 1879-1880, 1883 et 1885): c’est la « grande guerre» où résonne pour la première fois le cri . Elle fait plus de 200 000 morts, dont 81000 chez les Espagnols – à 90% de maladie. Washington appuie alors Madrid au nom du maintien de l’ordre et parce qu’il souhaite une annexion de

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