Diapason

LES 120 CRITIQUES DU MOIS

en studio

• Nelson Goerner revient à Liszt pour Alpha. Au programme, la Sonate en si mineur, les trois Sonnets de Pétrarque, une Rhapsodie hongroise… Tandis que Pierre-Laurent Aimard s’est penché pour Pentatone sur les Ländler de Schubert.

Jonas Kaufmann est le héros du Parsifal wagnérien à paraître chez Sony. Autour de lui, Elina Garanca, Ludovic Tézier, Georg Zeppenfeld… et dans la fosse de l’Opéra de Vienne, Philippe Jordan (Sony).

• Michael Spyres, accompagné par les Talens Lyriques de Christophe Rousset, a gravé chez Erato un programme intitulé « In the Shadows », avec des pages signées Méhul, Rossini, Meyerbeer, Beethoven, Auber, Spontini, Bellini, Marschner, Weber et Wagner.

• CVS nous promet deux raretés lyriques : un Poro de Handel avec l’ensemble Il Groviglio dirigé par Marco Angioloni, et Le Carnaval du Parnasse de Mondonville sous la baguette d’Alexis Kossenko (avec entre autres Mathias Vidal et Gwendoline Blondeel).

Giovanni Antonini poursuit son périple dans les symphonies de Haydn : les 33e, 62e, 50e et 85e « La Reine » arrivent dans un quinzième volume (Alpha).

• L’Akademie für Alte Musik livre la conclusion de son intégrale des symphonies de Carl Philipp Emanuel Bach, en même temps que les Dixit Dominus et Nisi Dominus de Handel avec Carolyn Sampson et le RIAS Kammerchor : c’est pour bientôt chez Harmonia Mundi.

• De l’orchestre, avec Ma Vlast de Smetana par le Philharmonique tchèque sous la direction de Semyon Bychkov (Pentatone) et la Schéhérazade de Rimski-Korsakov – couplée à Une nuit sur le mont chauve de Moussorgski – par l’Accademia nazionale di Santa Cecilia et Antonio Pappano (Warner).

NOS COTATIONS

EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés.

NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre inédite ou d’un talent à suivre.

CARL FRIEDRICH ABEL

1723-1787

Symphonies WKO 37, 38, 39 et 41. Symphonie concertante WKO 43.

Main Barockorchester, Martin Jopp.

Accent. Ø 2022. TT : 1 h 18’.

TECHNIQUE : 4/5

Né à Köthen, dernier grand virtuose de la viole de gambe, Abel a animé pendant plus de vingt ans la vie musicale de Londres, où il fonda avec Johann Christian Bach les « Bach Abel Concerts ». Le public d’alors étant notamment friand de symphonies; Abel en écrivit une quarantaine. Les six dernières, qu’il présenta en 1782 à Berlin au futur Frédéric-Guillaume II, sont dites « Prussiennes ». En voici cinq, dont quatre en « premier enregistrement mondial », la cinquième étant une symphonie concertante pour hautbois, violon et violoncelle.

Avec ces œuvres en trois mouvements assez brefs dans le style galant, on se situe nettement en deçà des ambitions et des réalisations d’un Haydn ou d’un Carl Philipp Emanuel Bach à la même époque. Mais elles alternent agréablement fraîcheur des mouvements vifs et délicatesse des mouvements lents, celui de la Symphonie WKO 38 faisant dialoguer le hautbois et le cor tandis que celui de la WKO 39, pour cordes seules, s’aventure en ut mineur. Malheureusement, les solistes de l’orchestre francfortois ne sont pas à leur meilleur dans la WKO 43, avec en particulier un violoncelle désespérément en mal de justesse, et l’on peut sans doute rêver direction plus ardente que celle de Martin Jopp.

Simon Corley

FRANCO ALFANO

1875-1954

Les trois quatuors à cordes.

Elmira Darvarova, Mary Ann Mumm (violon), Craig Mumm (alto), Samuel Magill (violoncelle).

Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 23’.

TECHNIQUE : 2,5/5

De Franco Alfano, la postérité a surtout retenu la réalisation des deux dernières scènes de Turandot, à la demande de Toscanini. A côté de ses opéras Résurrection, Sakuntala (« le Parsifal italien » selon Fritz Reiner) et Cyrano de Bergerac, subsiste un corpus chambriste, dont trois quatuors à cordes.

Très vaste et composé durant la Grande Guerre (apparemment en mémoire de son fils Herbert mort au front), le premier saisit par sa tension véhémente et ses déplorations tragiques. Plus détendu, le deuxième fut créé en 1927 dans la maison de Mussolini à qui il est dédié. Comme certaines pages de Respighi, il se réfère volontiers à la musique ancienne ou à des thèmes populaires pour évoquer, en l’idéalisant, l’Italie de la Renaissance. Le troisième, écrit à la mort de son épouse et créé en 1947, s’ouvre par un chant funèbre et se referme par une marche beethovénienne dont l’énergie rayonne d’espérance.

Les quatre musiciens du Met de New York qui les interprètent ici accentuent la complexité, voire la férocité de ces trois œuvres. L’intellect prime le plus souvent sur le cœur et l’émotion, mais la découverte vaut largement le coup d’oreille.

Jean-Claude Hulot

CHARLES-VALENTIN ALKAN

1813-1888

L’œuvre pour piano, Vol VI : Petit Conte. Pour Monsieur Gurkhaus. Jean qui pleure et Jean qui rit. Toccatina op. 75. Capriccio alla soldatesca op. 50. Désir. Le tambour bat aux champs op. 50 bis. Fantasticheria. Chapeau bas ! Ma chère liberté et Ma chère servitude. Quasi-Caccia op. 53. Le Chemin de fer op. 27. Trois petites fantaisies op. 41.

Mark Viner (piano).

Piano Classics. Ø 2018-2022.

TT : 1 h 18’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Mark Viner poursuit son intégrale Alkan avec des pièces de caractère et autres « grotesqueries » – terme qu’il emprunte au titre d’un florilège gravé en 1971 par Raymond Lewenthal (cf. no 687). Le curieux trouvera dans ce sixième volume deux premières au disque : l’anodin et très bref Pour Monsieur Gurkhaus et le plus substantiel Jean qui rit (une de ses deux fugues de chambre avec Jean qui pleure), brodant sur l’air de Don Giovanni « Fin ch’han dal vino ».

L’extraversion caractérise maintes pages, telle la Toccatina op. 75, qui nécessite d’être jouée dans sa première partie continuellement dans la nuance piano, le caprice Quasi-Caccia ou encore l’Etude Le Chemin de fer (1844), qui prend la forme d’une folle toccata vivacissimamente, dont le motorisme annonce lointainement Prokofiev.

Le Capriccio alla soldatesca est dédié au fils du maréchal Lannes, dont l’héroïsme bravache est évoqué par une musique aimablement extravagante (« crânement », « quasi conquistatore », intime la partition), et se clôt sur un « religiosamente » à la douceur inattendue. Le tambour bat aux champs prolonge cette veine militaire plus fantasque que belliqueuse.

L’indolent Petit Conte et Ma chère servitude !…, au ton désabusé, apportent un éclairage différent, tout comme le charmant Andantino des Trois petites fantaisies, dont le Presto offre à ce très plaisant album une conclusion sardonique. Auteur d’un texte exhaustif (réservé aux anglophones), Mark Viner confirme son statut de pianiste aux moyens appréciables et de fin connaisseur d’un corpus singulier entre tous.

Bertrand Boissard

GRAZYNA BACEWICZ

1909-1969

Symphonies nos 3 et 4. Ouverture.

BBC Symphony Orchestra, Sakari Oramo.

Chandos (SACD). Ø 2023. TT : 59’.

TECHNIQUE : 4/5

Puissante et imaginative, la musique de Grazyna Bacewicz détourne volontiers les règles attendues. Dans ses deux dernières symphonies, les nos 3 (1952) et 4 (1953) les structures traditionnelles s’accompagnent de tempos changeants, de couleurs imprévues et variées. A la création, le critique de Glos Wielkopolski fut désarçonné par les « lambeaux de motifs nerveusement déchiquetés » de la 3e, cette musique « sale » aux « harmonies obstinément dissonantes ». Les premiers mouvements, comme les derniers, donnent le ton en faisant place à nombre de sections qui accélèrent ou ralentissent le discours. Ici, un thème commencé à la clarinette s’achève aux bassons, relayés par les hautbois puis les flûtes (Drammatico de la 3e). Là, les bois enrichissent la ligne des cordes d’un fragment rythmique supplémentaire (Appassionato de la 4e).

Pleins d’invention, les motifs sont souvent brefs, voire très brefs, jouant les oppositions de caractères (notes répétées contre mélodie « sans fin » dans le Vivace de la 3e, lignes disjointes contre motifs plus ramassés dans l’Ouverture). Le recours aux mesures irrégulières instaure certains déséquilibres (Adagio de la 3e), assortis d’accentuations brusques, de ponctuations percussives qui ne sont pas sans rappeler Stravinsky, tandis que les scherzos invitent volontiers le ton populaire (plus marqué dans la 4e).

Sakari Oramo et le BBC Symphony paraissent un peu plus sages que Lukasz Borowicz avec les musiciens de la WDR (CPO, cf. no 722). Les nouveaux venus laissent néanmoins percevoir les contrastes propres à cette musique, tour à tour élégiaque et motorique, inquiète et jubilatoire, et d’une palette de nuances qui ose s’étendre du pppp murmuré au ffff éclatant.

Anne Ibos-Augé

CARL PHILIPP EMANUEL BACH

1714-1788

Magnificat. Cantate de Noël. Spiega, Ammonia fortunata.

Kölner Akademie, Michael Alexander Willens.

CPO. Ø 2022-2023. TT : 1 h 09’.

TECHNIQUE : 3/5

Pour Carl Philipp Emanuel Bach, écrire en 1749 un Magnificat constituait à coup sûr un exercice intimidant, a fortiori s’il s’agissait pour lui de concourir à la succession paternelle comme cantor de l’église Saint-Thomas de Leipzig. Alexander Willens et la Kölner Akademie n’y font guère d’ombre au RIAS Kammerchor et à l’Akademie für Alte Musik Berlin que dirigeait en 2013 Hans-Christoph Rademann (HM).

Pourtant, cela démarre bien, l’orchestre emmenant avec une fougue joyeuse un chœur équilibré qui joue plaisamment avec les entrées en canon. Si le premier air (Quia respexit) semble pris au pas de course, la soprano s’accorde de belles libertés de tempo et prend le temps du dialogue avec les violons. Ensuite, les déceptions s’enchaînent. Les vocalises du Qui fecit mettent le ténor en difficulté : l’articulation manque de précision, le souffle de longueur. Le Fecit potentiam est entonné par une basse bouffe très occupée à rouler les r, moins à soutenir les lignes chromatiques – que l’écriture se rapproche parfois du genre lyrique ne veut pas dire qu’il faille forcer le trait.

L’entrée véhémente de la mezzo dans le Deposuit potentes tranche avec l’élan souple et mesuré que lui donnaient l’orchestre et le ténor. Enfin, les énoncés successifs du sujet de la fugue (Sicut erat) auraient mérité davantage de soin : ici, ils sont à plusieurs reprises brisés de façon disgracieuse par une autre voix. En pleine déroute contrapuntique, le chœur dont on louait l’équilibre initial s’engage dans de laborieuses vocalises. On attend en vain l’explosion de joie qui devrait conclure le Magnificat.

Les mêmes défauts entachent la Cantate de Noël, pour laquelle on retournera à Hermann Max (Capriccio, 2018), à ses chœurs soyeux et à la merveilleuse Barbara Schlick.

Adrien Cauchie

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Orgelbüchlein (Chorals BWV 599-624). Préludes et fugues BWV 543 et 549.

Masaaki Suzuki (orgue).

Bis (SACD). Ø 2023. TT : 1 h 07’.

TECHNIQUE : 3/5

C’est le très bel orgue Treutmann (1737) de la collégiale Saint-Georges de Grauhof que Masaaki Suzuki a choisi pour le quatrième volume de son exploration de l’orgue de Bach. Le programme est centré sur l’Orgelbüchlein, dont il propose les chorals pour l’Avent, Noël, la Nouvelle Année, l’Epiphanie et le temps de la Passion. Le grand Prélude et fugue en la mineur BWV 543 les précède tandis que celui en do mineur BWV 549 – une œuvre de jeunesse influencée par Böhm et Buxtehude – se glisse au milieu des chorals.

Généralement très brèves, les pièces de l’Orgelbüchlein ne sont pas les plus virtuoses, toujours portées par le sens du choral qu’elles traduisent en notes. Ce lien entre texte et musique, essentiel dans ce recueil, doit être sensible à l’écoute. Ici, c’est parfois réussi (Der Tag, der ist so freudenreich ou Vom Himmelkam, très aérien) et parfois à l’opposé du sens du choral : où est la joie de Jesu meine Freude ? le recueillement de Christe, du Lamm Gottes ? Cette divergence entre texte et musique se trouve accentuée par certains choix de l’interprète.

Souvent d’une extrême lenteur, ses tempos permettent à Suzuki de déployer une ornementation inventive et adaptée. Mais ce manque d’allant dessert quelquefois l’intensité du discours (Das alte Jahr vergangen ist ou O Mensch, bewein dein Sünde gross). Les registrations, généralement pertinentes, se révèlent çà et là étonnantes voire très discutables (la fugue en ut sur les anches est à oublier) et la pédale reste bien trop faible de bout en bout. D’où un défaut d’assise rythmique, que renforcent certains ralentis exagérés aux cadences ou des appuis trop marqués faisant boiter la pulsation (fugue en la). Eminent spécialiste de Bach, Suzuki nous a habitués à mieux.

Charles Seinecé

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Missa solemnis.

Lina Johnson (soprano), Olivia Vermeulen (mezzo), Martin Platz (ténor), Manuel Walser (baryton), Capella Nacional de Catalunya, Le Concert des Nations, Jordi Savall.

Alia Vox (SACD). Ø 2023. TT : 1h16’.

TECHNIQUE : 2,5/5

Après une intégrale des symphonies plombée par un orchestre rarement à la hauteur des enjeux (cf. nos 694 et 714), Jordi Savall affronte avec la Missa solemnis une œuvre dont les hardiesses confinent à l’impraticable, notamment dans l’écriture meurtrière des parties vocales. Alors que l’effectif instrumental (8/7/5/4/3 pour les cordes) est le même que celui de l’excellente version de René Jacobs (HM, cf. no 698), les forces chorales, elles, sont plus réduites : trente-six chanteurs au lieu de quarante-sept. Le chef catalan, revendiquant un Beethoven à hauteur d’homme, tourne le dos à toute débauche de puissance, choix légitime qui n’est d’ailleurs nullement l’apanage des interprètes historiquement informés. La volonté de maintenir l’effusion sous contrôle fonctionne (à peu près) dans le Kyrie, mais plus du tout dans le Gloria dont les assauts mettent au supplice orchestre, chœurs et solistes, la vaillance déployée ne pouvant faire oublier l’indiscipline.

L’artisanal volontarisme affiché dans la première section du Credo engendre davantage de tapage que d’envolée. L’Et incarnatus – que Jacobs plongeait dans une pénombre à couper le souffle – apparaît mal assuré et reste avare de mystère. Le Crucifixus se pare, lui, d’accents presque véristes, quand l’immense fugue Et vitam venturi saeculi prend l’eau de toutes parts.

Dans le Sanctus, l’entame et le Preludium l’emportent sur un Pleni sunt coeli et un Osanna (Presto) passablement débraillés, un Benedictus articulé de manière décousue. Il faut attendre l’Agnus Dei pour voir Savall et ses troupes trouver le ton juste, entre recueillement et extraversion. Enfin, on ne nous enlèvera pas de l’idée que la collégiale de Cardona, par son acoustique réverbérée, n’était pas le lieu idéal pour enregistrer une mosaïque aussi hors d’échelle.

Hugues Mousseau

RÉFÉRENCES : Thielemann/Dresde (DVD CMajor), Jacobs (HM).

Quatuors à cordes nos 1, 6, 7, 11 et 12.

Quatuor Doric.

Chandos (2 CD). Ø 2021 et 2023.

TT : 2 h 38’.

TECHNIQUE : 4/5

Formé en 1998, le Quatuor Doric puise, pour le premier volume de son intégrale, dans les trois périodes créatrices de Beethoven. Les violonistes Alex Redington et Ying Hue, l’altiste Hélène Clément et le violoncelliste John Myerscough mettent d’abord leur maîtrise technique, leur sensibilité et leur intelligence au service du jeune Beethoven. Ses   en majeur et  en mineur (« »), œuvre aussi énergique qu’énigmatique, l’effervescence des accents et la pugnacité convainquent en partie.

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Diapason

Diapason2 min de lecture
Rossini’s Follies
La Cenerentola de Rossini. Toulouse, Opéra national du Capitole, le 29 mars. C’est un secret de moins en moins bien gardé : Michele Spotti (directeur musical de l’Opéra de Marseille depuis cette saison) est, parmi les chefs lyriques qu’on a vus émerg
Diapason4 min de lecture
Leur Parole Est D’or
Tippett : The Midsummer Marriage Solistes, London Philharmonic Orchestra & Choir, English National Opera Chorus, Edward Gardner. LPO. « Il est impossible de mentionner Michael Tippett sans nommer Benjamin Britten, les deux titans de la musique britan
Diapason5 min de lecture
Le Chœur A Cappella (I)
« Acappella », autrement dit à la manière du travail mené à la chapelle. La source de cet art vocal sans instruments est sacrée, et c’est à cette lumière que nous abordons un vaste domaine – un volet « profane » suivra. Délimitons d’emblée notre doub

Associés