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JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

L’Art de la fugue.

Christophe Rousset (clavecin), Korneel Bernolet (second clavecin).

Aparté. Ø 2020. TT: 1 h 23’.

TECHNIQUE: 4/5

Eclairer pour l’auditeur un recueil àla genèse aussi complexe que L’Art de la fugue impose des choix. Comme Gustav Leonhardt avant lui, Christophe Rousset ne retient pas la Fuga a tre soggetti inachevée dont la musicologie remet aujourd’hui en cause, non sans arguments, l’appartenance au projet initial de Bach. Sur un clavecin anonyme allemand (ca 1750) aux registres fluides (aigus souples, graves sans lourdeur), l’interprète nous entraîne avec assurance àtravers ces massifs aux polyphonies denses (Contrapunctus XI conduit avec une clarté rigoureuse).

Il ne presse jamais le pas, prend le temps d’habiter chaque étape dans sa plénitude: la gravité du Contra punctus I, la noblesse un peu hautaine du VI sont traduites avec une justesse, une énergie impressionnantes. On louera aussi le traitement des canons, gigue sérieuse pour l’Hypodiapason, sévérité du Alla duodecima, funambulisme chromatique de l’Hypodiatessaron mais surtout un splendide Alla decima abordé dans l’esprit d’une fantaisie – un sommet de cette réalisation. Ce « discours de la méthode » gagnerait àassouplir la structure au profit du mouvement (Contrapunctus IV), às’éprendre davantage du chant, comme dans le Contrapunctus X, dont le caractère mélodique est ici magnifié. Cette hauteur de vue témoigne certes d’une réelle maîtrise du sujet, la musique n’échappant pas un instant àson contrôle. Làoù Kenneth Weiss (Paraty, Diapason d’or) choisissait de donner un tour plus abordable, presque familier, àce recueil intimidant, Rousset le rétablit sur son socle de tour de force polyphonique, sans toutefois le rendre ennuyeux voire rébarbatif. Une proposition mûrie, intériorisée, qui invite àla réflexion.

Jean-Christophe Pucek

Cantates BWV 32 et 49. GRAUPNER: Concerto pour hautbois d’amour GWV 302.

Miriam Feuersinger (soprano), Klaus Mertens (basse), Elisabeth Grümmer (hautbois), Ensemble des Bachkantaten in Vorarlberg.

Christophorus. Ø 2023. TT: 1 h 01’.

TECHNIQUE: 4/5

Miriam Feuersinger propose deux des quatre cantates en dialogue composées àLeipzig en 1726. La soprano y incarne l’Ame aux côtés du Jésus campé par Klaus Mertens, grand familier de l’œuvre du Cantor. L’ample Sinfonia de la BWV 49 donne le ton: une sobriété habitée privilégiant l’équilibre plutôt que l’effervescence (la pulsation dansante est soulignée sans excès). Les deux solistes s’accordent bien en dépit d’une différence notable de puissance (la basse est en net retrait dans le Duetto « Dich hab ich je ») et servent le texte avec précision, malgré quelques fragilités: tensions passagères dans l’aigu de la tessiture chez l’une (« Liebster Jesu » de la BWV 32), signes d’usure chez l’autre (« Ich geh und suche » de la BWV 49).

S’il n’est pas virtuose (le violon solo manque de souplesse dans l’aria « Hier, in meines Vaters Stätte »), le petit ensemble autrichien livre un accompagnement solide, et fait sourire le concerto de Graupner offert en complément où s’illustre un hautbois d’amour bien chantant. La fin de la BWV 32 (duetto et choral), très réussie, met àmerveille en lumière àmerveille l’enthousiasme serein que les interprètes mettent au service de la musique. Un disque modeste mais fervent.

Jean-Christophe Pucek

Cantates BWV 56 et 82. Cantate BWV 42 (Sinfonia). Passion selon saint Matthieu (extraits).

Christoph Prégardien (baryton), Le Concert Lorrain, Stephan Schultz.

Etcetera. Ø 2021. TT: 56’.

TECHNIQUE: 3,5/5

Allant et coloré, mené par le violon de Leila Schayegh, Le Concert Lorrain, propose la Sinfonia de la BWV 42 en prélude àdeux célèbres cantates pour basse, le tout capté sur le vif en 2021. Quelques raidissements ponctuels dans les vocalises de Christoph Prégardien (désormais baryton) viennent rappeler le passage du temps, mais la science du mot demeure intacte. Quelle autorité lorsqu’il s’agit d’évoquer la libération par la foi (« Endlich, endlich » dans la BWV 56), quelle humanité dans le « Ich habe genung » de la BWV 82! Le cheminement spirituel vers la joie de la délivrance (« Ich freue mich auf meinen Tod ») est rendu avec justesse, même si un supplément d’abandon n’aurait pas nui à« Schlummert ein », àl’instar de ce qu’apportait Philippe Huttenlocher (chez Harnoncourt, Teldec, 1977). Passons sur quelques inégalités vocales et quelques hésitations du hautbois.

Un récitatif et deux arias de la Passion selon saint Matthieu, partition si souvent fréquentée par Prégardien, forment un épilogue bienvenu. Le baryton s’y coule avec un naturel stupéfiant, irradiant de tendresse dans « Mache dich, mein Herze, rein ». L’album ne bouleverse pas une discographie immense, couronnée par Dietrich Fischer-Dieskau, Thomas E. Bauer, sans oublier Peter Kooij, mais il distille le charme des retrouvailles entre amis de longue date.

Jean-Christophe Pucek

Concertos pour violon BWV 1041, 1042, 1052R et 1056R.

Lina Tur Bonet (violon), Musica Alchemica.

Glossa. Ø 2022. TT: 1 h.

TECHNIQUE: 2,5/5

La frontière entre engagement et ostentation est parfois ténue. Lina Tur Bonet la franchit çàet làdans ces concertos pour violon de Bach – deux originaux (BWV 1041 et 1042), deux reconstructions d’après les versions pour clavecin (BWV 1052R et 1056R). Comme pour mieux traduire l’impact qu’a pu avoir, sur le compositeur, la découverte de Vivaldi, patronage revendiqué par la violoniste. Une captation sans finesse, qui épaissit le trait, fait vrombir les basses, le souligne àloisir.

Dans l’Allegro du BWV 1041, l’énergie de l’archet escamote quelques notes au passage. L’Adagio ne dédaigne pas une certaine ardeur et quelques fins de phrase plates altèrent l’Allegro assai, plus pétillant chez Isabelle Faust (HM, 2019). Contrairement àcette dernière, Tur Bonet s’abandonne àdes maniérismes dans le premier mouvement du BWV 1041, mais elle fait aussi davantage chanter l’Andante, fût-ce au prix d’un alentissement du tempo.

L’emportement du BWV 1052R est rendu avec une intensité qui induit de menues rugosités et, çàet là, quelques décalages avec un petit ensemble très actif et affûté dans les moments les plus acrobatiques du finale. Une réalisation parfois grisante, mais qui ne fera pas d’ombre àl’approche plus équilibrée de Faust ou du Freiburger Barockorchester (HM, 2013).

Jean-Christophe Pucek

Les trois sonates pour viole de gambe et clavecin BWV 1027-1029. Partita BWV 828 (Sarabande). An Wasserflüssen Babylon BWV 653. Variations Goldberg (Aria). Le Clavier bien tempéré, Livre II (Prélude BWV 885). Sonate pour flûte et clavecin BWV 1032 (Largo e dolce).

Andrea De Carlo (viole de gambe), Luca Guglielmi (orgue, clavecin, pianoforte).

Fineline. Ø 2015. TT: 1 h 07’.

TECHNIQUE: 4/5

Qualités de précision, chaleur communicative (évidentes dès un An Wasserflüssen Babylon en apesanteur): la complicité radieuse des échanges entre Andrea De Carlo et Luca Guglielmi se double d’une démarche singulière, notamment dans les trois sonates pour viole de gambe et clavecin. D’abord par la variété des claviers convoqués: le clavecin prescrit par le compositeur alterne ici avec deux instruments de Gottfried Silbermann, un grand orgue (celui installé en 1753 dans l’église de Frankenstein) et la copie d’un pianoforte de 1749.

Dans la BWV 1028, qui conserve son clavecin, l’émotion (Andante), le jaillissement (irrésistible Allegro final) tiennent tête aux références de la discographie. Introduite par une Aria des Goldberg rêveuse, la partie où s’invite le pianoforte est aussi réussie. Dès l’Adagio de la BWV 1027, le timbre chaleureux de la viole et la clarté mate du clavier fusionnent àmerveille: portés par un élan commun, les deux partenaires s’écoutent, se répondent, comme en témoigne l’allure parfaite de l’Allegro ma non tanto. La profondeur qu’atteint le sentiment dans l’Andante laisse pantois. La Sonate BWV 1029, où l’orgue intervient, convainc moins: en dépit d’un Adagio àla noble gravité, le Vivace peine quelquefois àcanaliser son souffle. L’audace et la qualité de la proposition méritent l’attention des amateurs du Cantor. Pour eux, le détour s’impose. Les autres retourneront, pour les sonates, entre autres, àJordi Savall et Ton Koopman (Emi puis Alia Vox) ou Lucile Boulanger et Arnaud De Pasquale (Alpha, Diapason Découverte).

Jean-Christophe Pucek

Suites françaises BWV 812-817. Suites BWV 818, 819, 822.

Mahan Esfahani (clavecin, clavicorde).

Hyperion (2 CD). Ø 2022. TT: 2 h 29’.

TECHNIQUE: 4/5

Comme il s’en explique dans la notice, Mahan Esfahani a distribué les œuvres entre deux instruments: au clavecin reviennent les trois dernières Suites françaises (BWV 815-817); au clavicorde les trois premières (BWV 812-814) et deux Suites « orphelines » BWV 818 et 819. La réussite est inégale. On reste perplexe devant un clavecin trafiqué (ajout d’éléments anachroniques en fibre de carbone) dont la sonorité excessivement nasale tourne la Gavotte II de la BWV 815 en caricature et gâche l’entière BWV 816. De beaux moments émergent malgré tout, comme la rêverie délicate de la Sarabande dans la BWV 815 ou une Allemande noble et une Courante agile dans la BWV 817.

Esfahani exploite de manière plus convaincante les ressources expressives du clavicorde (Allemande grave mais fluide de la BWV 812), sans négliger ses capacités dynamiques (Air, Menuets et Gigue de la BWV 813). La projection sonore intimiste de l’instrument semble libérer l’imagination du musicien àla recherche de l’émotion (Sara bande de la BWV 814) ou de l’audace (Allemande sinueuse de la BWV 819). La suprématie, pour les Suites françaises, des lectures récentes signées Pierre Gallon (L’Encelade, 2022, Diapason d’or) et Benjamin Alard (HM, 2023) n’est jamais remise en question par cette nouvelle proposition.

Jean-Christophe Pucek

Suites pour violoncelle seul nos 3 et 4.

Sonia Wieder-Atherton (violoncelle).

Alpha. Ø 2021. TT: 57’.

TECHNIQUE: 2,5/5

Deuxième étape de l’enregistrement des Suites pour violoncelle de Bach, que Sonia Wieder-Atherton entamait chez Alpha en 2018 par les nos 1 et 2. Comme dans la précédente, le violoncelle paraît planer dans la réverbération des voûtes de l’abbaye de Noirlac. Certes, on peut trouver une cohérence àce qu’un halo sonore enveloppe une interprétation peu portée sur la matière et la puissance, plus volontiers hypnotique que spéculative, notamment dans des préludes et sarabandes àla lenteur très étudiée. Il y a heureusement davantage de vigueur et de variété dans les autres mouvements, mais un phrasé trop apprêté, avec une tendance àsouligner de menues inflexions et àprendre la pose, vient trop souvent mettre àmal la continuité du propos.

Simon Corley

Les six Suites pour violoncelle seul.

Valérie Aimard (violoncelle).

En Phases (2 CD). Ø 2022.

TT: 2 h 36’. TECHNIQUE: 4/5

La vénération que partagent les violoncellistes pour ces Suites explique peutêtre que beaucoup les abordent avec un excès de réserve, de distance ou de hauteur. Rien de tel avec Valérie Aimard: son Bach est davantage celui du Café Zimmermann que de la Thomaskirche, terrien, truculent même (Gigue de la Suite no 3), sans être pataud ou balourd. Forte en caractère, résolument expressive, très vivante et investie, pleine d’élan, cette intégrale est portée, comme s’il s’agissait d’une version de concert, par une spontanéité, une animation et un plaisir communicatif qu’un micro fort bien placé met parfaitement en valeur et que quelques embardées ne parviennent pas àgâcher.

Voilàune approche assurément virtuose (Gigue de la Suite no 4, Courante de la no 6), mais surtout physique, volontiers vigoureuse (Courante de la no 4), où l’interprète, comme dans une lutte, prend la matière àbras-le-corps, jusqu’àune grandeur quasi symphonique (Pré lude de la no 3). Le geste est impérieux, assuré, exempt de toute arrogance: Valérie Aimard affirme sa personnalité, sans égocentrisme ni mégalomanie, et n’hésite pas àfaire preuve d’originalité (Bourrée II de la no 4, toute en pizzicatos). Coloré et riche en contrastes, l’instrument grogne, le phrasé est parfois même heurté (Gavottes et Gigues des nos 5 et 6) mais la danse (Gigue de la n° 3, Bourrée I de la no 4), le chant (Sarabande de la no 5), l’éloquence (Préludes des nos 2 et 5), la joie (Prélude de la no 6) et la tendresse (Sarabande de la no 6) ont également toute leur place.

Simon Corley

Les six Suites pour violoncelle seul.

Michiaki Ueno (violoncelle).

La Dolce Volta (2 CD).

Ø 2021-2022. TT: 2 h 14’. TECHNIQUE: 3,5/5

Bardé de prix internationaux, Michiaki Ueno (né en 1995) s’attaque très tôt dans sa carrière aux Suites de Bach. De fait, il y a de l’envie et de l’élan dans cette interprétation fine et cursive, desservie par une prise de son un peu lointaine. Mais au-delàde cet entrain de bon aloi qui convient bien àla Suite no 3 et plus encore àla Suite no 6, particulièrement athlétique, l’interprétation manque de poids et de caractère, varie peu la sonorité et l’expression, et paraît ainsi trop uniforme, les principales aspérités consistant en des « arrêts sur image » dont l’opportunité est questionnable. Mais comme l’écrit luimême le jeune violoncelliste avec une sagesse prometteuse, « j’ai conscience que cette interprétation n’est révélatrice que de ma conception actuelle de l’œuvre. Je suppose que j’en serai peut-être insatisfait dans quelques années… Je me rassure en me disant qu’on ne peut affirmer que l’on en a terminé avec Bach. »

Simon Corley

Variations Goldberg BWV 988.

Vikingur Olafsson (piano).

DGG. Ø 2023. TT: 1 h 14’.

TECHNIQUE: 3,5/5

Ces nouvelles Goldberg nous arrivent tout auréolées d’une réputation flatteuse. Une presse pâmée célèbre Vikingur Olafsson, àl’instar de Damian Thompson dans The Spectator, pour « l’espièglerie de son Bach » et la façon dont « il dégage la logique structurelle des variations virtuoses en jetant de petits rais de lumière sur les changements d’harmonie àune vitesse qui défie la gravité. »

Il y a deux manières d’aborder l’interprétation du pianiste islandais. Dans le détail, cette presse-làn’a pas tort. Un toucher hyper-gouldien (accompagnement de borborygmes inclus) réussit la prouesse d’un nonlegato perlé àun tempo supersonique (, ). Des nanochangements de couleur, des accents qui soudain déstabilisent le rythme () ou attirent l’attention sur quelques notes de contrechant (, , ) pour animer une polyphonie toujours lisible, des ruptures inattendues de la dynamique relancent le discours en lui donnant un air improvisé () tandis qu’en fin de variation des ralentis outrés se veulent joueurs, peut-être ironiques. La, ).

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