Diapason

LES 120 CRITIQUES DU MOIS

en studio

• Après les concertos et les quatuors avec flûte, restaient à Emmanuel Pahud les sonates de Mozart: il les a enregistrées pour Erato, avec Eric Le Sage au piano.

• Andreas Staier scelle son arrivée chez Alpha en réunissant dans une « Méditation » des pages de Bach, Froberger, Couperin, Fux, Fischer et… Staier.

• A la même enseigne, la viole de Lucile Boulanger, le violon de Simon Pierre et le clavecin d’Olivier Fortin nous promettent une « Golden Hour » avec des sonates de Francœur, Rebel et Leclair.

• Bryn Terfel et les musiciens traditionnels de l’ensemble Calan ont glané pour DG des « Sea Songs » en Pays de Galles, Angleterre, Irlande, Nouvelle-Zélande, Bretagne…

Benjamin Alard chez Falla? Dans le concerto pour clavecin que Pablo Heras-Casado et le Mahler Chamber Orchestra couplent au Rétable de maître Pierre ainsi qu’à Pulcinella de Stravinsky (HM).

• Théotime Langlois de Swarte et Le Consort reviennent à Vivaldi pour un bouquet intitulé « Concerti per una vita » (HM). Vivaldi était aussi sur les pupitres du Concert de la Loge et de Julien Chauvin, qui ont gravé pour Alpha Les Quatre Saisons.

• Bertrand Chamayou passe chez Sony le temps d’un album: il y accompagne le violoncelle de Sol Gabetta dans des œuvres de Mendelssohn, mises en miroir de compositions nouvelles signées Holliger, Rihm ou Widman.

• Christian Tetzlaff dans la Partita pour violon et orchestre de Lutoslawski? C’est pour bientôt chez Ondine, avec l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise et Nicholas Collon.

NOS COTATIONS

EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés.

NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre inédite ou d’un talent à suivre.

KALEVI AHO

NÉ EN 1949

Concerto pour flûte à bec. Concerto pour saxophone ténor. Sonata concertante pour accordéon et cordes.

Eero Saunamäki (flûtes à bec), Esa Pietilä (saxophone ténor), Janne Valkeajoki (accordéon), Saimaa Sinfonietta, Erkki Lasonpalo.

Bis (SACD). Ø 2022. TT: 1 h 11’.

TECHNIQUE: 4/5

Dans le Concerto pour flûte à bec et orchestre de chambre (2020), l’idée, au demeurant intéressante de faire entendre deux types de flûtes à bec basses, une alto et une sopranino, ne contrecarre pas une tendance au catalogue de timbres. A la sopranino incombent les passages à haute virtuosité ou les gazouillis de la coda, aux basses les ambiances plus sombres et feutrées, souvent accompagnées de nappes soyeuses pour éviter les effets de masque. Les flatterzunge et multiphoniques que maîtrise Eero Saunamäki au même titre que la virtuosité digitale ne suffisent pas à corser un discours quelque peu conventionnel, parfois même académique. De même, l’évocation de la flûte de la Renaissance dans le Vivace, soulignée par un tambour de basque, rejoint par son caractère convenu les saillies orchestrales aux airs de musique de peplum. Dans le Concerto pour saxophone ténor et petit orchestre (2015) écrit à sa demande, Esa Pietilä séduit par une sonorité veloutée, des multiphoniques impeccablement contrôlés et quelques slaps. S’il hausse le ton dans un growl doucement rugueux, côtoie une darbouka dans une de ces séquences orientalisantes qu’affectionne Aho, le soliste reste captif d’une virtuosité qui rapproche davantage ce concerto d’une pièce de concours que du jazz où excelle pourtant notre saxophoniste. Pierre Rigaudière

JACQUES ARCADELT

1507-1568

Missa Noe Noe. Hodie beata Virgo Maria. Regina coeli laetare. Magnificat primi toni. Dont vient l’esjouissance. JOSQUIN: Illibata Dei Virgo nutrix. MOUTON: Noe Noe. JOSQUIN/GUYOT: Benedicta es coelorum regina.

Chœur de Chambre de Namur, Cappella Mediterranea, Leonardo Garcia Alarcon.

Ricercar. Ø 2021. TT: 1 h 02’.

TECHNIQUE: 4/5

En 2018, un coffret Arcadelt de trois CD par les mêmes interprètes – plus Doulce Mémoire – rendait au Namurois sa place parmi les compositeurs les plus talentueux de la Renaissance (Diapason d’or). Après les motets, les madrigaux et les chansons, voici l’une de ses trois messes: la Missa Noe Noe à quatre voix basée sur un motet de Jean Mouton. Datant probablement des années 1540-1550, elle se situe, par son écriture polyphonique, dans la lignée de l’ars perfecta de Josquin Desprez. Le seul Magnificat d’Arcadelt, deux de ses motets et un psaume, ainsi que deux pièces monumentales de Josquin complètent le programme.

Ce sont surtout ces dernières qui retiennent l’attention, particulièrement le Benedicta es amplifié à douze voix par le Liégeois Jean Guyot de Chatelet, contemporain d’Arcadelt. Le choix de doubler certaines voix (chez Guyot de Chatelet) par un instrument y trouve son intérêt, tout comme les diminutions de la flûte à bec dans le Hodie beata Virgo Maria d’Arcadelt.

Pour autant, la palette sonore des troupes d’Alarcon n’atteint pas les sommets du précédent coffret. Les voix hétérogènes rendent la réalisation assez lisse, sans que les renforts d’orgue, de cornets et de trombones inversent la tendance. Les arches contrapuntiques ne se déploient pas autant qu’elles le devraient, qui plus est dans une écriture qui privilégie la perfection formelle à la flamboyance. Dans une discographie encore assez parcellaire, on louera l’abnégation des présents interprètes à sortir Arcadelt de l’ombre.

Frédéric Degroote

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Partita pour clavecin no 6. Partita pour violon no 3 (extraits, transcr. Rachmaninov). Prélude BWV 855a (arr. Siloti). RACHMANINOV: Sonate no 2.

Guilhem Fabre (piano).

1001 Notes. Ø 2021. TT: 1 h 06’.

TECHNIQUE: 3/5

Au cœur de ce premier disque consacré à Bach et à Rachmaninov, Guilhem Fabre a placé les trois mouvements de la Partita pour violon seul no 3 du Cantor, transcrits pour piano par le maître russe: un Bach qui ne serait ni de son temps ni d’une modernité à venir mais qui serait, « dans un concentré d’émotions », nous dit-il, le premier romantique.

Ainsi lue à la lumière non des affects mais du sentiment, la dernière Partita de la Clavierübung I se trouve moins dramatique que puissamment lyrique: bien que sans nulle faute de style, les tempos recueillis détournent l’oreille de la référence à la danse pour maintenir l’attention sur l’intensité mélodique; la Toccata est conçue comme une Ouverture à la française dont la fugue ne contrasterait pas avec le début mais en prolongerait la gravité cérémonielle et quasi religieuse.

La même intériorité se dégage de la Sonate no 2 de Rachmaninov, dont Fabre choisit la seconde version, plus concentrée. N’y attendez pas les fracas d’un Horowitz: c’est, de bout en bout des trois mouvements, le fil de la mélodie que suit, là encore, l’interprète. Il souligne comme piliers de la construction le second thème chromatique du mouvement initial, élément cyclique auquel il donne un caractère de quasi-choral, et le thème nostalgique du mouvement lent. Jusque dans les tumultes de cette œuvre passionnée, il parvient à tirer de son piano, qu’il timbre magnifiquement dans l’acoustique de l’Arsenal de Metz, « des sons d’orgue mourant et de cloches lointaines » (Baudelaire).

Paul de Louit

BELA BARTOK

1881-1945

Concerto pour alto*. Concerto pour orchestre.

Amihai Grosz (alto)*, Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch.

Alpha. Ø 2022. TT: 1 h 02’

TECHNIQUE: 4/5

Exagérément douloureuse et spectaculaire, l’interprétation d’Amihai Grosz dans le Concerto pour alto (1945) de Bartok? Si, par l’intensité de son jeu, il frôle sans cesse l’expressionnisme le plus exacerbé, cet excellent instrumentiste ne verse jamais dans le pathétisme outrancier ou la complaisance. Au contraire, bien soutenu par le chef et l’orchestre, il met en valeur le climat affectif particulier de l’œuvre. Le timbre volontiers poignant et nostalgique de l’alto sert puissamment le discours, sa nature presque improvisante par ses surprises, ses ruptures rythmiques, ses échappées brillantes et par la liberté de son développement.

Cette lecture revigorante donne au passage l’occasion d’admirer la qualité du travail effectué par Tibor Serly, élève de Bartok, à partir des nombreux fragments et esquisses laissés par le compositeur. Certains lui ont reproché la grande discrétion de la trame orchestrale, alors même qu’elle permet à des idées d’une individualité accusée de s’épanouir, et laisse l’alto soliste s’épancher sans devoir trop hausser la voix. Ce rude, lumineux et fauve Concerto pour alto sera pour beaucoup le moment fort de l’album.

Pas plus que la gravure récente de Karina Canellakis avec la Radio néerlandaise (Pentatone, cf. no 724), la nouvelle venue ne modifiera substantiellement la riche discographie du Concerto pour orchestre de 1943 (cf. notre Œuvre du mois dans le no 710). Moins raide et démonstratif que sa consœur, Alexandre Bloch équilibre mieux qu’elle détails et grande ligne. A la tête d’un solide Orchestre national de Lille, il clarifie davantage l’architecture des premier et cinquième mouvements. Le Jeu de couples et l’Intermezzo interrotto sont énergiquement enlevés, avec rutilance mais sans régime survitaminé ni excès d’emphase. La grave et funèbre Elegia centrale aurait gagné à davantage d’arrièreplans, de densité, de profondeur dans l’expression et de largeur dans la respiration. Mais il est vrai que ce mouvement essentiel est – par sa découpe et son propos beaucoup plus exigeants qu’il n’y paraît – le moins souvent réussi par les interprètes.

Patrick Szersnovicz

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Concerto pour piano no 1. Sonate pour piano no 14 « Clair de lune ». Für Elise. Bagatelle op. 119 no 1. Pièces WoO 54 et 61.

Alice Sara Ott (piano), Orchestre philharmonique de la Radio néerlandaise, Karina Canellakis.

DG. Ø 2022 et 2023. TT: 58’.

TECHNIQUE: 4/5

Ecrit en 1795-1796, repris en 1798, créé en 1800, le Concerto pour piano no 1 en ut majeur est en réalité le deuxième composé par Beethoven. Ce dernier ne tenait pas cette partition énergique, virtuose et brillante pour une de ses meilleures du genre. Tels jadis Pollini/Jochum (DG) ou Argerich/Sinopoli (DG), Alice Sara Ott s’inscrit en faux contre ce jugement sévère. Captée en concert, efficacement soutenue par la direction incisive de Karina Canellakis et un rutilant orchestre de la Radio néerlandaise, elle ose des traits fulgurants, des envolées scintillantes d’invention toujours en exact rapport avec la foncière originalité que dissimule cette œuvre de jeunesse.

Très peu d’échos de Haydn et Mozart sous les doigts de la soliste, mais plutôt une appropriation, fidèle à la lettre et plus encore à l’esprit. Volontiers sombre, éruptive, voire anguleuse, cette interprétation prenant l’apparence d’une improvisation conjugue une extrême attention aux détails et une admirable tension continue. Ses subtils équilibres, sa ligne intérieure et sa force d’impact font regretter que ne soit pas joint un second concerto en complément.

L’éditeur a préféré une suite de petites pièces méconnues ou célébrissime (Für Elise) et la Sonate no 14 « Clair de lune » (1801). Certains y trouveront Ott trop sage et trop retenue, d’autres y reconnaîtront à l’inverse une simplicité qui est, en fait, l’évidence et la connivence mêmes. Ils admireront le poids exquis des accords, l’impeccable et marmoréenne perfection des phrasés, leur profondeur introspective. Ils goûteront la légèreté d’accent et d’articulation dans les vacillations contrôlées de l’Allegretto comme dans l’agitato volubile du finale. Et, fait assez rare, les trois mouvements gardent une égale puissance d’atmosphère. Alice Sara Ott demeure une des pianistes les plus passionnantes de sa génération.

Patrick Szersnovicz

Quatuors à cordes nos 10 « Les Harpes » et 13.

Quatuor Chiaroscuro.

Bis (SACD). Ø 2022. TT: 1 h 11’.

TECHNIQUE: 4/5

Idéaux dans bon nombre des quatuors de Mozart et plus encore de Haydn, les Chiaroscuro rénovent-ils en profondeur l’approche du Beethoven de la maturité? Leur lecture incisive et nerveuse de l’Opus 18 avait surtout convaincu dans des nos 1 et 3 exemplaires de vitalité et de transparence (Bis, cf. no 708). L’Opus 74 « Les Harpes » (1809) en mi bémol majeur est abordé avec un sérieux, un raffinement et une rigueur remarquables. De cette œuvre de consolidation et de relative détente (après les révolutionnaires « Razoumovsky »), les Charioscuro proposent une vision souvent sobre et curieusement assombrie (premier mouvement), avec un ambitus dynamique privilégiant les intensités douces, les nuances infinitésimales. Cette interprétation à la fois élancée et analytique demeure attentive à la beauté mélodique et plastique des thèmes, à la richesse des modulations (Adagio ma non troppo). Le scherzo est en revanche un peu trop uniment démonstratif dans son extrême vélocité, et le finale à variations gagnerait à davantage de souplesse et d’ampleur de respiration.

Jeu senza vibrato, cordes en boyau, sonorités pointues, arêtes vives, attaques et contrastes volontiers exacerbés confèrent-ils une lumière fructueuse à l’Opus 130 (1825) en si bémol majeur, partition périlleuse marquée par la discontinuité, voire la dislocation? Les Chiaroscuro réussissent particulièrement l’Adagio-Allegro initial, en lui insufflant un ton inquiétant, interrogatif et angoissé assez en situation. Moins creusés, les trois brefs mouvements suivants n’attirent guère l’attention que par quelques incises et surprises propres à une telle approche « historiquement informée ».

Développant une texture polyphonique de choral varié, tour à tour sombrement moirée, chatoyante puis étincelante, la Cavatine est défendue de façon admirable. Elle enchaîne, choix discutable et plus guère pratiqué de nos jours, sur l’Allegro de substitution écrit en 1826, et non sur la Grande Fugue, son finale d’origine. Ce n’est sûrement pas cette solution qui est la plus satisfaisante sur le plan discursif et expressif.

Patrick Szersnovicz

RÉFÉRENCES: Italiano (Philips/Decca), Berg I (Warner) pour « Les Harpes »; Juilliard I (Sony), LaSalle (DG) pour l’Opus 130.

Les neuf symphonies.

Mandy Friedrich (soprano), Marie-Claude Chappuis (mezzo), AJ Glueckett (ténor), Tareq Nazmi (basse), Chœur et Orchestre du Mai musical florentin, Zubin Mehta.

Dynamic (5 CD). Ø 2021-2022.

TT: 6 h 08’.

TECHNIQUE: 3/5

Il aura fini par le faire. Aussi étonnant que cela paraisse, seul parmi les chefs de sa génération, Zubin Mehta n’avait jamais gravé de cycle Beethoven homogène. A plus de quatre-vingt-cinq ans, a-t-il

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