Quel triomphe ! Lui qui a vécu plusieurs succès, il le sent avant même que le rideau ne se ferme, dans le silence épais et impatient du public qui accouche d’une explosion d’acclamations quelques secondes plus tard.
Et maintenant la voilà, radieuse, émue, seule au milieu de la scène, agitant ses mains dans toutes les directions, ses larmes formant des ruisseaux sur son beau visage peint en blanc et en rouge. Quatre minutes de standing ovation, d’applaudissements, de viva et de brava. Le reste du casting – les adultes, car les enfants se reposent dans sa loge – est déjà revenu sur scène et reparti deux fois. Ils ont été bons, excellents même, mais qu’importe : ce soir est sa soirée, la soirée d’Alessia Bernardini.
Le regard de l’actrice tombe sur lui et, d’un geste de sa main tachée, elle l’invite à monter sur scène. Après tout, c’est aussi son triomphe, à lui.
« Tout metteur en scène face à ses acteurs est une sorte de dieu face à des athées », penset-il en gravissant les marches. Mais cette fois, quelque chose est différent. Cette fois, il est un dieu absolu, et elle, contre toute attente, la plus fidèle et la plus obéissante des croyantes. Elle est soumise à sa toute-puissance et, comme un vrai dieu à travers des grands tourments et des petites promesses, il la délivre. Et Dieu créa l’Actrice.
Elle ouvre les bras pour l’accueillir – il sent sa sueur et l’odeur du mélange qu’ils ont utilisé pour fabriquer le sang. Il s’incline devant elle et, lui prenant la main, s’avance à ses côtés sur le devant de la scène et se penche face au public. Un public qui a rempli le théâtre trois heures auparavant non par amour de l’art, encore moins par amour pour elle, mais afin de la voir « massacrer » Euripide.
Pourtant, comme les Athéniens, choqués, cinq siècles avant notre ère, par la nouvelle fin que le dramaturge avait donnée au mythe de Médée, le public malveillant de ce soir a lui aussi été surpris par la puissance et le talent de la protagoniste. Euripide avait réécrit le destin de l’héroïne tragique en la rendant synonyme de jalousie, de