PHARRELL WILLIAMS A UN BOUTON. Il a un pansement sur le menton et, aussitôt après m’être présenté, je lui demande: “Que s’est-il passé ?” Il me répond de cette voix nonchalante et dieuse que j’ai entendue environ un milliard mélo-de fois sur des haut-parleurs et dans des écouteurs, mais que je ne m’attendais pas à retrouver aussi parfaitement en personne: “Oh, c’est rien, juste un bouton.”
Il vient d’avoir 50 ans, mais sa peau a la texture et le grain d’un jeune homme de 22 ans bien nourri et bien hydraté. En voyant le pansement, j’ai pensé que l’un de ses quatre enfants lui avait sans doute donné un coup de tête. Ou qu’il était peut-être tombé en faisant du skateboard. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il me dise que sous le pansement se cachait un bouton. Immédiatement, je me suis senti comme un con de lui avoir fait cette remarque. Mais Pharrell ne paraît pas le moins du monde perturbé par mon commentaire, ni d’ailleurs par le bouton ou le pansement. Il est plein d’humilité. Il est ouvert, honnête et prêt à se confier au monde entier. Y compris sur ses imperfections.
Nous nous trouvions alors sur un immense parking de Virginia Beach, sa ville natale, au milieu d’un défilé de remorques et de camions qui servaient de coin backstage au festival Something in the Water. Un festival de musique de trois jours, désormais annuel, où Pharrell reçoit ses invités les pieds dans le sable. C’était à la fin du mois d’avril, une période charnière pour lui. Cela faisait tout juste deux mois qu’il occupait le poste de directeur créatif des lignes homme de Louis Vuitton, et tout le monde attendait de voir ce que ce producteur superstar allait faire à la tête d’une telle marque de luxe.
Sa nomination met fin à une année de rumeurs et de spéculations sur la personne qui pourrait occuper le siège laissé vacant après la mort de Virgil Abloh en 2021. Certains s’attendaient à ce que le poste soit utilisé pour propulser l’un des jeunes diplômés d’écoles de mode qui ont réussi à créer leur propre marque. D’autres pensaient que le poste reviendrait à un styliste de renom. Mais le nom de Pharrell ne semblait pas circuler. Lorsque la nouvelle est tombée, le jour de la Saint-Valentin, elle a fait l’effet d’un tremblement de terre. L’une des personnes les plus célèbres du monde était invitée par l’une des plus grandes marques du monde à redéfinir le secteur de la mode de luxe.
Jamais auparavant un artiste ou un musicien aussi célèbre – ou une célébrité quelle qu’elle soit – n’avait été nommé à un poste aussi prestigieux dans l’industrie du luxe. Et pourtant, ce choix n’aurait pas dû être une réelle surprise. Depuis une dizaine d’années, la mode vit dans l’ère de la célébrité. Les marques cherchent à établir quelque chose de plus vaste et de plus fiddèle qu’une simple clientèle : elles dus qui suivent ce qu’elles font comme on suit Hollywood ou le sport, indépendamment du fait qu’ils aient ou non les moyens de s’off rir un sac chez eux.
Entre-temps, les célébrités ont évincé les acheteurs et la presse des premiers rangs des défi lés de mode et remplacé les top-models dans les campagnes. Les collaborations entre les marques de luxe et les stars de la pop sont monnaie courante. En termes de priorités, l’infl uence des réseaux sociaux est tout aussi importante que la coupe et la qualité des vêtements.
Dans ce contexte, la nomination de Pharrell semblait être la suite logique de ce rapprochement entre la mode et la culture des célébrités. C’est en tout cas ce que se sont empressés de dire les cyniques qui ont suggéré que ce poste n’était qu’un objet de vanité pour Pharrell, et un simple stratagème marketing pour la marque. Pourtant la véritable portée du pari de Louis Vuitton sur Pharrell est plus grande que nous n’aurions pu l’imaginer à l’époque où il a été annoncé.
Cet après-midi-là, en Virginie, je voulais savoir comment Pharrell qui se consacrait à