“Quand je suis monté à Paris dans les années 1980, j’ai commencé par faire de l’assistanat dans la mode, des shootings à droite et à gauche. J’ai travaillé pendant longtemps au 24×36, il n’était pour moi pas question que je passe à autre chose. Mais ce que je faisais n’était vraiment pas très bon. Je me suis souvenu qu’un de mes profs m’avait dit un jour :, et j’ai décidé d’arrêter le 24×36 et de tout recommencerUn moment incroyable… Je me souviens très bien être sorti du magasin en me disant qu’il avait raison. J’ai commencé en photographiant les anciens de mon village. Des portraits centrés, sur trépied car c’était plus simple pour cadrer, avec un 80 mm, qui équivaut au 50 mm du 24×36. J’ai travaillé trois étés là-dessus. Puis j’ai continué pendant quinze ans, de façon acharnée, avec ma propre grand-tante, sans trépied cette fois. Là, je trouve enfin quelque chose, je commence à être à l’aise avec mon appareil et le 80 mm. Moi qui ne suis pas ami avec la technique et qui ne mets jamais les pieds dans les magasins photo, un jour, je me promène sur le boulevard Saint-Germain et je passe devant Odéon Photo. Dans la vitrine, j’aperçois un 65 mm d’occasion, équivalent du 35 mm en 24×36. Je l’achète en me disant que je verrai bien quoi en faire. C’est comme ça que je suis passé au 65 mm. Alors que j’étais obsédé par le 80 mm pour que rien ne soit déformé dans l’image, petit à petit, j’ai mis le 65 mm, en essayant de rester bien droit pour éviter les déformations. Depuis ce jour-là, je n’ai que ces deux objectifs, que j’utilise alternativement. Quand je rencontre quelqu’un et que je veux faire un portrait, je mets le 80 mm. Quand je veux englober plus de contexte, je mets le 65 mm. Je ne sais pas faire d’images autrement. Mon rapport à cet appareil est très fort. J’ai acheté trois boîtiers numériques que je n’ai jamais utilisés ! Maintenant, je ne me pose plus de questions. Mon travail fonctionne bien ainsi, je continue de vendre des tirages et des livres avec les photos issues de ce Mamiya prises en Égypte ou au Ghana. L’image du ballon en couverture de ce magazine a été faite en grand-angle, donc au 65 mm. Elle ne figure ni dans l’exposition ni dans le nouveau livre, car j’ai choisi une autre photo prise au même moment. Le cliché ci-dessus fait partie en revanche de la sélection. Il était en couverture du livre et est aujourd’hui presque épuisé en tirage. Il a été fait au 80 mm, on le voit bien par son côté très rectiligne. À vrai dire, j’ai eu un peu de mal à passer au 65 mm, j’avais peur de perdre mon identité. Le portrait a toujours été ma préférence. Parfois, j’utilise le grand-angle en portrait quand je n’ai pas de recul. Par exemple, sur la photo de cet homme en bleu de dos qui regarde la mer Rouge, que j’ai prise sur un ponton au 65 mm. Mais longtemps, j’ai eu tendance à choisir par défaut le 80 mm. À un moment donné, une éditrice m’a imposé de faire plus de grand-angle, car elle trouvait que je faisais trop de portraits serrés. Je me suis alors forcé à cadrer des scènes de rue plus larges. J’ai mis beaucoup de temps à prendre du recul, mais je lui dois quelque chose, car les images que je vends le mieux sont des scènes où il y a plus d’ambiance, donc plutôt au 65 qu’au 80 mm. Dans l’absolu, j’aimerais qu’on ne voie pas que j’utilise deux focales différentes. Mais je m’arrête à ces deux objectifs : il n’y aura pas de troisième focale dans mon travail.”
