Diapason

Vies d’héroïnes

Plus d’un siècle de musiques à programme au féminin. Augusta Holmès a choisi, dans son poème symphonique Andromède (1883), de conter le sauvetage de la « vierge au coeur pur » par le « calme » Persée « et son divin coursier ». Plusieurs sections aux harmonies wagnériennes déroulent les événements que résument dix quatrains, posés en préambule à la partition et reproduits dans la notice. Rythme solennel de trombones, « piangendo » de violon, thèmes disjoints, appels de trompettes, tutti victorieux, conclusion lumineuse figurent ainsi successivement la décision de l’oracle, l’attente angoissée, l’arrivée du libérateur et la délivrance.

Mel Bonis donne à ses Femmes de légendes (1909), orchestration de trois portraits d’abord pensés pour le piano, une carrure très différente: Ophélie, Cléopâtre et Salomé sont brèves, finement ciselées et teintées d’un impressionnisme délicat, volontiers orientalisant, que magnifie le jeu raffiné de l’Orchestre national de Metz Grand Est. Le diptyque (1918) de Lili Boulanger articule un scherzo debussyste, dans lequel alternent épisodes légers et tristesse « mystérieuse » (D’un matin de printemps) et une page d’allure ravélienne, lente et plus âprement lugubre (D’un soir triste) dont la conclusion se veut « douloureuse et calme ».

Quintessence

Avec Betsy Jolas, l’auditeur fait un bond d’un siècle. A quatre promenades (« Strolling »), déambulations au thème tournoyant multiple (« away », « about » ou « home »), s’opposent, dans A Little Summer Suite (2015), trois couples d’actions: Knocks and Clocks (frappements et mélodie ponctuée d’impulsions vives), Shakes and Quakes (trémolos et mouvements brefs) puis Chants and Cheers aux incises mélodiques répétées, questions sans réponses aux airs de mélopées. Pureté des touches colorées, transparence des sons et des matières, formidable économie de moyens: douze minutes quintessencielles.

David Reiland appréhende avec un art consommé la variété des écritures – dense chez Holmès, translucide chez Bonis et Boulanger, acérée chez Jolas. Le chef distille des prises de paroles précises et trouve, partout, le juste équilibre. De la fresque à la miniature, du diptyque à la Suite, un panorama riche et superlativement enregistré. Une Germaine Tailleferre, une Elsa Barraine seront-elles les hôtes d’un second volet?

Anne Ibos-Augé

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HANS ABRAHAMSEN

NÉ EN 1952

Schnee.

Orchestre de chambre de Laponie, John Storgards.

Da Capo (SACD). Ø 2020. TT: 54’.

TECHNIQUE: 4/5

A la veille du second millénaire, Hans Abrahamsen, se mit au vert pendant dix ans. Nourri des courants complémentaires de la Nouvelle Simplicité germanique et du minimalisme nord-américain, cette figure majeure de l’avant-garde danoise prit alors le temps de s’immerger dans les canons de Bach (BWV 1072-1078). Revenu à la composition, il en tira le principe de Schnee: cinq paires de canons de caractère (cinglant, rond, avenant) et de sonorité (trio à cordes, trois bois, deux pianos et percussions) spécifiques, mais dont chaque couple est lié par une relation paradoxale faite d’affinités et de divergences. « Comme un tableau repeint avec d’autres couleurs » précise Abrahamsen, convaincu d’offrir à l’oreille capable d’opérer avec le recul la synthèse des deux, une musique virtuelle en trois dimensions, à la manière du stéréoscope où la combinaison d’images quasi semblables crée l’illusion du relief.

Une réussite incontestable si l’on admet que, Frère Jacques excepté, les seuls canons qui vaillent sont ceux dont les emboîtements subtils font oublier le mécanisme prosaïque. Faut-il récuser la virtuosité polyphonique au motif que le langage d’Abrahamsen, tout polarisé qu’il soit, est plus accueillant aux licences que celui des maîtres de la Renaissance? La virtuosité et la réponse sont plutôt à chercher du côté des interprètes qui défendent bec et ongles une partition vive et drue, aux exigences impérieuses. Après, selon, l’expression, on aime ou on n’aime pas.

Gérard Condé

SERGIO ARMAROLI

NÉ EN 1972

OEuvres électroniques et concrètes.

Da Vinci. Ø 2005-2020.

TT: 1 h 06’.

TECHNIQUE: 2,5/5

Sergio Armaroli évolue dans le milieu de la musique électronique et du jazz, tout en prenant part, comme peintre et poète, à des projets au périmètre plus large. Cette ouverture artistique se reflète dans sa musique électroacoustique. OneWeekOneDay (2005), pièce la plus ancienne de cette rétrospective, mêle field recording (un environnement urbain avec bruits de fête foraine), des sons concrets tels qu’aurait pu les manipuler Pierre Schaeffer et des glougloutements électroniques vintage. Un modo di saltare (2007-2009), empruntant son matériau à des enregistrements ethnomusicologiques, affirme le goût du compositeur pour les réverbérations longues et une latéralisation marquée, que la stéréo projette ici de façon abrupte.

Un saut d’environ une décennie semble coïncider avec l’avènement d’une musique plus généreuse en sons de synthèse et traitements. Armaroli rend un premier hommage à Luc Ferrari dans ViceVersa (2017) en empruntant certains de ses sons et même quelques secondes de sa voix. Là encore, il n’hésite pas à assembler sons concrets, choeur mixte entendu da lontano, ambiance aquatique et toupies sonores, la réverbération permettant une fusion des ambiances acoustiques. Dans Improvisation fortuite (2019), second et plus bref hommage au même Ferrari, quelques notes au vibraphone nous rappellent qu’Armaroli est aussi un percussionniste.

Pierre Rigaudière

MALCOLM ARNOLD

1921-2006

Concerto pour clarinette et cordes no 1. Philharmonic Concerto. Larch Trees. Divertimento no 2. Commonwealth Christmas Overture. The Padstow Lifeboat.

Michael Collins (clarinette), BBC Philharmonic, Rumon Gamba.

Chandos. Ø 2019 et 2022.

TT: 1 h 08’.

TECHNIQUE: 4,5/5

Rumon Gamba a bien fait de revenir à la musique de Malcolm Arnold, dont il a déjà gravé les trois dernières symphonies, des partitions pour le ballet et le cinéma. Il avait aussi enregistré un formidable bouquet d’Ouvertures (cf. no 527) incluant A Grand, Grand Overture (1956) pour le premier Festival Hoffnung et Beckus the Dandipratt (1943), qui contribuèrent à la réputation de joyeux drille du compositeur.

De même que dans les symphonies ou l’Ouverture Peterloo (évocation d’une manifestation réprimée dans un bain de sang), plusieurs pages montrent un autre versant d’Arnold, sombre voire torturé. En témoignent ici le Nocturne du Divertimento no 2 (1950) et les atmosphères mystérieuses des Larch Trees (1943). Les sonorités riches de Michael Collins se coulent avec bonheur dans les climats changeants du concerto pour clarinette (1948), qui s’enfonce dans la noirceur dès l’Allegro initial – le ton primesautier est vite étouffé. Agité, le finale semble lui aussi refléter un combat intérieur, traduit tant par le soliste que des cordes aux ostinatos tragiques.

La Commonwealth Christmas Overture (1957) éblouit par son coloris orchestral plein de ressources, son goût enfantin du merveilleux et de la surprise, des percussions et des guitares nous transportant soudain en Jamaïque. Fruit d’une commande passée par le London Philharmonic (au sein duquel officia un temps le trompettiste Malcolm Arnold), le Philharmonic Concerto (1976) mise sur la diversité de ses alliages de timbres pour mettre en valeur chacun des pupitres de l’orchestre. Enfin, célébrant l’héroïsme des sauveteurs en mer, The Padstow Lifeboat (1967) déroule une marche irrésistible, où beugle une espiègle corne de brume. Superlativement interprété par Rumon Gamba et le BBC Philharmonic, l’ensemble, enthousiaste et habile, brosse du facétieux Arnold un portrait aussi fidèle que contrasté.

Christophe Huss

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Le Clavier bien tempéré, Livre I BWV 846-869.

Andreas Staier (clavecin).

HM (2 CD). Ø 2021. TT: 1 h 49’.

TECHNIQUE: 3,5/5

Il y a un an, Andreas Staier nous embarquait pour une traversée mémo rable, émouvante, du Livre II du Clavier bien tempéré (Diapason d’or, cf. no 708). Voici à présent le Livre I, toujours sur l’opulente copie du clavecin hambourgeois signé Hass (1734) qui fait tonner sa puissance dès le Prélude BWV 847. Le musicien y déploie les mêmes qualités: la conduite polyphonique rigoureuse (implacable dans la Fugue BWV 865) nourrit la recherche permanente d’éloquence; caractérisation et variété se placent au centre de ses préoccupations. Cette exigence expressive s’appuie sur les différentes possibilités de registrations, ronflantes (avec un soupçon de lourdeur dans la Fugue BWV 855) ou plus discrètes (un nasal utilisé à plusieurs reprises nous laisse parfois perplexe, comme dans le Prélude BWV 858), d’un instrument avec lequel s’est établi un véritable rapport de compagnonnage.

La plus grande concision du recueil inspire à Staier maints épisodes fulgurants (le BWV 866 fait des étincelles), parfois à la limite de la brusquerie (la Fugue BWV 864 y perd en cohésion). Ces accès d’énergie donnent, par contraste, un poids singulier aux moments où le temps se dilate: l’atmosphère méditative du BWV 853 est une réussite; le BWV 869 allie clarté du chant et concentration. Saluons aussi la candeur désarmante du BWV 864. Reste une tendance à marteler la mesure qui peut engendrer une certaine lassitude (Prélude BWV 867). Pierre Hantaï (Mirare, 2003) ou plus récemment Benjamin Alard (HM, 2022, Diapason d’or), ont sans doute porté sur ce premier Livre un regard encore plus original, mais la voie d’excellence tracée par Staier, reste empreinte, jusque dans ses menus excès, d’une forte personnalité.

Jean-Christophe Pucek

Toccata et fugue BWV 56. Partita pour violon BWV 1004. BACH/CAUVIN: Préludes BWV 846, BWV 1007 et BWV 855a.

Thibault Cauvin (guitare).

Sony. Ø 2022 TT: 52’.

TECHNIQUE: 4/5

Abordant Bach, Thibault Cauvin assume de vrais partis pris. L’album s’ouvre sur la Toccata et fugue BWV 565, peu présente dans la discographie pour guitare, sans doute en raison de sa difficulté pour l’instrument soliste. Cauvin relève le défi haut la main, grâce à un jeu d’une maîtrise exceptionnelle, particulièrement précis et d’une grande stabilité rythmique, loin de l’impulsivité ou de l’expressivité parfois excessives qui peuvent caractériser les rares versions existantes, comme celles de Philip Hii (GSP) ou plus récemment Luigi Attademo (Brilliant). Jamais débordé, le guitariste se laisse emporter par l’implacable nécessité de la fugue et parvient à un subtil équilibre dynamique.

L’autre sommet de l’album est la Chaconne de la Partita pour violon BWV 1004, monument auquel se sont confrontés les plus grands interprètes, tels qu’Andres Segovia, John Williams, David Russell ou encore Manuel Barrueco. Moins démonstratif, Cauvin prend son temps pour explorer tous les méandres. Sa lecture méditative se déploie sur 15’ 48’’ quand les grandes versions rivales dépassent rarement les 14’. L’écoute des premières mesures pourra dérouter, d’autant plus que la direction de la phrase est à la fois plus affirmée et moins dramatique que d’ordinaire. Mais rapidement le phrasé se clarifie et ouvre les portes d’un labyrinthe envoûtant et contemplatif.

Entre ces deux réussites se trouve la séquence la plus clivante, trois préludes de Bach librement réécrits par Jordan Cauvin. Les ambiguïtés harmoniques, tensions et dissonances qui font l’esprit du compositeur en sont absentes, à l’exception du dernier Prélude BWV 855a, moins éthéré, peut-être le plus convaincant. Le jeu de Thibault Cauvin se transforme lui aussi, plus souple, expressif et riche en rubato. Si la réverbération est bien dosée, le son nous a néanmoins semblé un peu trop rond et chaud, ne rendant pas entièrement justice au toucher de l’interprète.

Julien Gobin

BELA BARTOK

1881-1945

Le Prince de bois op. 13. Suite de danses.

Orchestre symphonique de la WDR, Cristian Macelaru.

Linn. Ø 2020 et 2022. TT: 1 h 14’.

TECHNIQUE; 3,5/5

Bartok a surmonté, avec autant de maîtrise architecturale que de fantaisie poétique, les bizarreries de l’argument du ballet Le Prince de bois (1914-1917) imaginé par Béla Balazs (déjà librettiste de son opéra Le Château de Barbe-Bleue). La partition intégrale (enregistrée ici) de ce chef-d’oeuvre s’apparente davantage à la symphonie que la Musique pour cordes ou le Concerto pour orchestre.

Ne demandons pas à Cristian Macelaru et au vaillant Orchestre symphonique de la WDR de Cologne d’égaler la somptueuse transparence analytique des deux versions Boulez, avec New York (Sony) puis Chicago (DG), ni la vision plus chorégraphique de Dorati à Londres (Philips-Decca), ni même la continuité dramatique de Susanna Mälkki avec le Philharmonique d’Helsinki (Bis, cf. no 681). Malgré les couleurs sombres et mates de la phalange allemande, les ruptures de climat, les rythmes anguleux sont bien mis en valeur et ne souffrent d’aucune insuffisance de texture. Les phases finales, que des percussions et des cuivres envahissants, rendent parfois un peu grandiloquentes, manquent de mystère, mais cela n’a rien de rédhibitoire.

Souvent pesamment articulée, mais creusée dans le détail, la Suite de danses (1923) pourrait offrir davantage d’élan, d’électricité. Jouant la carte des hungarismes et de la couleur, Macelaru se montre au moins fidèle au rythme et au rubato bartokiens.

Patrick Szersnovicz

JOHANNES BRAHMS

1833-1897

Deutsche Volkslieder, WoO 33, Livres I-V.

Alina Wunderlin (soprano), Esther Valentin-Fieguth (mezzo), Kieran Carrel (ténor), Konstantin Ingenpass (baryton), Ulrich Einselohr (pianoforte).

Naxos. Ø 2021. TT: 1 h 26’.

TECHNIQUE: 3,5/5

Maître-d’oeuvre d’intégrales devant l’Eternel (et avec un certain bonheur!), Ulrich Eisenlohr livre un deuxième volume des lieder de Brahms. Les Volkslieder ne sont pas une part mineure de la production du compositeur, qui y mit tout son coeur, luttant contre les tentations de sophistiquer le lied à outrance et ainsi de l’arracher à ses racines populaires. Pour ce recueil, il puisa dans l’anthologie établie par Andreas Kretzschmer et Anton Wilhelm von Zuccalmaglio réunissant plus de sept cent ballades populaires (dont, par exemple, Heidenröslein de Goethe!).

Dire que ces lieder s’enchaînent sans monotonie serait exagéré. Le parti pris de simplicité musicale ne semble pas nécessairement s’accorder avec l’exigence d’exhaustivité. Les thèmes, les humeurs, la prosodie, la structure strophique, le lissé, le bien-peigné sont adorables mais il faut accepter de picorer si l’on ne veut pas risquer l’indigestion pastorale.

Les jeunes interprètes retenus par Eisenlohr sont vocalement impeccables, d’une fraîcheur idéale, parfaitement idiomatiques et non dénués d’humour. Le piano tricote à son aise au gré de ces charmantes bluettes.

Sylvain Fort

Symphonie no 1. Danses hongroises nos 1, 3, 10, 17 à 21.

DVORAK: Symphonie no 6.

Bamberger Symphoniker, Jakub Hrusa.

Tudor (2 SACD). Ø 2020-2021.

TT: 1 h 51’.

TECHNIQUE: 4/5

Chaque volet du cycle de Jakub Hrusa (cf. et ), met en regard une symphon i e de Brahms et une

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