À85 ans, Colette Barracas se souvenait parfaitement de ce jour de 1942 où un voisin, vieux monsieur barbu au long manteau et au large chapeau noirs, les attendait sur le trottoir, son père et elle. Il devait quitter son appartement du square Pétrelle, dans le 9e arrondissement de Paris, leur avait-il confié, et ne savait pas quand il reviendrait. Puisqu’il ne pouvait pas emporter avec lui son piano, il souhaitait en faire cadeau à l’enfant.
L’homme n’a plus jamais donné signe de vie. La petite Colette, elle, a appris à jouer et, chaque fois que ses doigts se posaient sur les touches, il lui semblait que le disparu était assis à côté d’elle. Huit décennies plus tard, le Lutetia de palissandre massif trônait toujours dans sa maison de Montmerle-sur-Saône, au nord de Lyon. En 2021, l’octogénaire a chargé Pascale Bernheim, la fondatrice de l’association Musique et spoliations, d’identifier les descendants du monsieur au couvre-chef noir afin de leur rendre l’instrument.
Mais Colette est morte en décembre dernier et Pascale a fait chou blanc. En vain, elle a remué ciel, terre et archives avec l’aide de l’historienne Caroline Piketty. Impossible d’identifier le voisin volatilisé. « Les recherches que nous menons ne sont pas toujours fructueuses, loin de là, souligne-t-elle. Néanmoins, elles sont toujours incroyablement émouvantes. »
Elles sont la raison d’être de Musique et spoliations, née en 2017 pour ressusciter l’histoire des instruments arrachés aux familles juives par le tumulte de la guerre ou volés