Des milliers de rouges-gorges s’envolaient vers le ciel et éclaboussaient notre monde de toute leur lumière », murmure Laura Dern à Kyle MacLachlan. Ils sont assis dans une voiture, en pleine nuit, le temps semble suspendu, seules résonnent quelques notes d’orgue. L’actrice, alors âgée de 17 ans, raconte ce songe en embrassant toute la candeur du monologue. Ses yeux s’écarquillent d’émerveillement, comme si elle observait cette nuée d’oiseaux en temps réel. Blue Velvet, le quatrième film du cinéaste américain David Lynch, la saisit dans un instant de sublimation. « J’ai oublié la position des caméras, mais je me souviens de l’atmosphère, de la température, de la musique sur le plateau », me raconte-t-elle aujourd’hui au téléphone, d’une voix rêveuse. Ce jour de décembre, très matinal du côté de Los Angeles, la comédienne fait défiler les souvenirs, avec une pointe de nostalgie ou d’incrédulité. Sa décontraction n’apparaît jamais forcée.
D’où vient cette impression de connaître Laura Dern depuis toujours ? Elle représente, à elle seule, cinq décennies de fiction américaine. Son parcours ferait rougir d’envie n’importe quelle actrice : elle est aussi à l’aise dans une production indépendante qu’en vice-amirale aux cheveux roses dans La plasticité de son jeu a séduit les plus grands cinéastes, de Clint Eastwood à Steven Spielberg. Même David Lynch est sorti de son mutisme habituel pour me chanter les louanges de sa muse : « C’est une travailleuse acharnée. Elle est constamment en train de voyager, de tourner et de donner des interviews. Les gens respectent la comédienne, mais aiment aussi la personne. » Au Il s’affiche dégoulinant de mascara sur l’affiche de la série Il s’enveloppe dans un voile de tendresse maternelle dans « Elle nous donne accès à son humanité la plus véritable », estime le réalisateur Florian Zeller, qui la considère comme « la meilleure actrice de Los Angeles ». Le cinéaste français, oscarisé pouren 2020, l’a choisie pour l’un des principaux rôles féminins de son second long-métrage(en salle le 1mars). Laura Dern incarne Kate, une mère désemparée par la dépression de son fils adolescent. Elle fait aussi l’objet, le 20 février, d’une grande rétrospective organisée par la Cinémathèque française, où elle donnera une masterclass sur ses grands rôles. Elle se dit « émue et reconnaissante » d’être honorée par l’institution. Après tout, elle rejoint un prestigieux panthéon d’artistes américains : Spike Lee, Jane Fonda, Robert Redford, etc.