Le regard masculin (male gaze) a toujours été un spectre dans ma vie, le discours obsédant planant au-dessus de mes images favorites d’un bout à l’autre de l’histoire de l’art. Je me suis souvent demandé comment tuer un fantôme qui ne cesse de rôder, une force omniprésente qui me pousse à demander, tel un médium : “Le regard masculin est-il avec nous dans cette pièce en ce moment ?” Je reconnais qu’il faut l’appréhender de front.
Pendant un séminaire impressionniste à l’institut Pratt en 2013, on nous présenta, à moi et à une troupe d’étudiants en art en descente de gueule de bois, le Regard Masculin (RM). Était projeté sur un écran le “dernier chef-d’œuvre” de Manet, dans lequel une femme aux paupières tombantes, à l’air peu enthousiaste et vaguement ennuyé, tient le bar. Nous, spectateurs, nous trouvons de l’autre côté du comptoir et l’observons. Il faut bien dire qu’elle est canon. Derrière elle se trouve un large miroir et, dans son reflet, nous voyons sur quoi se pose son regard : une foule chic de clients du bar, indistincts dans un fatras de peinture. En regardant mieux, on aperçoit sur le côté un homme moustachu, dont notre barmaid semble s’occuper. Au contraire du personnage principal du tableau, cet homme est définitivement ordinaire. Et bien qu’on puisse le rater au premier coup d’œil, sans ce type,