Si elle a donné lieu à de nombreux enregistrements, plus qu’aucun autre écrivain n’en a jamais suscité, la relation entre Marcel Proust et la musique repose sur un paradoxe. Car celui qui, dans son roman, consacre de nombreuses pages à décrire l’œuvre du compositeur fictif Vinteuil, à évoquer les opéras de Wagner, les quatuors de Beethoven, la modernité de Debussy, écrivait dans sa jeunesse, en 1894, à son amie Suzette Lemaire: « Je crois que l’essence de la musique est de réveiller en nous ce fond mystérieux, et inexprimable à la littérature, de notre âme, qui commence là où le fini, et tous les arts qui ont pour objet le fini, s’arrêtent. » En d’autres termes, la musique, selon Proust, ne saurait être appréhendée par des mots. On peut dès lors se demander si l’importance qu’elle occupe dans son œuvre n’illustre pas une forme de défi suprême pour l’écrivain: parvenir à dire l’indicible. Pour le relever, Proust va contourner le problème: plutôt que sur la musique, il va écrire sur les impressions qu’elle provoque. Ce faisant, celui qui, dans A la recherche du temps perdu, dénonce les « célibataires de l’art » qui « n’extraient rien de leur impression » et se contentent d’« éprouver un plaisir sans le connaître », offre au mélomane une sorte de guide à suivre pour que sa passion soit réellement féconde.
En réalité, Proust savait de quoi il parlait: il connaissait fort bien la musique. Enfant, il avait appris le piano, instrument que sa mère, et plus encore sa grand-mère, maîtrisaient à la perfection. En 1884, répondant à l’un des fameux « questionnaires » auquel la postérité associera son nom, il indiqua que son « idéal de bonheur » serait de vivre avec auprès de lui « une quantité de livres et de partitions ».
Similitudes beethovéniennes
On ne connaît pas