ierre Guillemont quitta sa propriété à 8 heures pour se rendre chez maître Henri Martin, notaire à Chinon. La veille, il avait reçu un pli du cabinet Martin le convoquant pour une « affaire urgente ». Germain, le cocher de M. Guillemont, gros bonhomme jovial, lança son fouet dans l’air humide :
– Hue, ma belle ! Le brouillard s’étirait sur les plateaux boisés. Par endroits, un rayon de soleil transperçait la brume épaisse, inondant d’une pâle lumière les vallées harmonieuses parsemées de quelques habitations en pierre de tuffeau.
Pendant que le char à banc brinquebalait dans le matin serein, Pierre Guillemont regardait avec fierté les coteaux où se déployaient ses vignes. Des générations de labeur, de sueur et de sacrifices s’étalaient à perte de vue. Et Pierre Guillemont ne s’arrêterait pas là ! Orgueilleux et déterminé, il ambitionnait de racheter les terres du baron Morin.
La maison du notaire, en plein centre de Chinon, faisait l’angle de la place. Devant le haut portail en fer forgé ciselé d’or, Germain tira sur les brides de son cheval.
Pierre Guillemont descendit de la voiture et poussa le portail qui s’ouvrit dans un grincement. Il n’eut pas le temps d’actionner la cloche que déjà la porte s’ouvrit sur une servante, le visage sévère et la bouche pincée.
– Qui dois-je annoncer, monsieur ?
– Pierre Guillemont.
Elle le fit entrer dans une pièce où dominait une forte odeur de cire. Quelques secondes plus tard, maître Martin, engoncé dans un bel habit noir, le rejoignit et accueillit son hôte avec l’aisance des gens fortunés. Le notaire prit place derrière son secrétaire en bois laqué. Il invita son visiteur à s’asseoir en face de lui dans un fauteuil de velours verdâtre.
– Votre dépêche m’a fait passer une très mauvaise nuit, maître, dit Pierre, une ombre d’inquiétude mal dissimulée dans les yeux.
– Cher ami, enchaîna le notaire en ajustant son binocle, vous
