Monsieur Barenboim, comment avez-vous vécu le drame des dernières semaines ?
Daniel Barenboim : Vous savez, mon épouse, ma belle-soeur, ma bru sont russes, et mes grands-parents l’étaient eux-mêmes. Mon grand-père, que j’ai connu, était originaire d’Odessa. Mes ancêtres du côté de ma mère étaient biélorusses. Beaucoup de Russes pensent comme la plupart des Européens et condamnent avec fermeté l’agression à laquelle nous assistons. Cette parenthèse sur mes origines refermée, je dois dire que le sens de cette guerre m’échappe. Des milliers de personnes meurent actuellement en raison de l’orgueil et de la soif de pouvoir d’un seul homme. Je ne crois pas un mot de la rhétorique de Poutine sur la résurrection du grand Empire russe.
Vous avez longtemps défendu Vladimir Poutine. Pourquoi ?
Pour tout dire, je n’ai pas trouvé l’attitude de l’Occident après la chute du mur de Berlin particulièrement intelligente et avisée. Le triomphalisme affiché par l’Ouest était, selon moi, déplacé. Il ne se justifiait pas. La Guerre froide, voyez-vous, avait généré une forme d’équilibre : chacun des deux camps était convaincu d’incarner le Bien. Oui, je le répète, une forme d’équilibre s’était installée. Je l’avoue bien volontiers : pendant un temps, certains points de