L’amour au fusain
Bruno écarte l’ouverture de sa tente dressée entre deux arbres sur le trottoir du boulevard et risque une tête ébouriffée à l’extérieur. Il ne pleut plus. Le soleil a percé les nuages et se reflète dans l’eau du caniveau. Les passants ont refermé leur parapluie ou retiré leur imperméable car il fait doux. Le printemps est la meilleure saison pour ceux qui n’ont pas de toit. Il est plus de midi et Bruno n’a rien mangé. Il glisse la main dans la poche de son pantalon, en retire un biscuit entamé qu’il dévore aussitôt. Tout à l’heure, il se rendra sur le marché pour récupérer les fruits et les légumes abandonnés au moment du remballage. Souvent, des maraîchers bienveillants lui offrent quelques tomates, des poivrons, une barquette de fraises.
Le sol est encore trop mouillé pour qu’il s’installe sur sa couverture. Bruno passe la plus grande partie de son temps à dessiner, toujours des personnages. Il s’inspire des gens qui passent, mais il puise aussi dans son imagination – aussi infinie que l’est son dénuement.
Il a toujours dessiné, d’aussi loin qu’il s’en souvienne. Son père se moquait de lui, le traitant de futur artiste raté.
Celui qu’il n’a jamais pu appeler « papa » est employé dans une entreprise de nettoyage travaillant pour la ville de Paris. Il conduit les balayeuses qui sillonnent les rues pour en assurer la propreté. A la fin des marchés, les petites voitures vertes sont nombreuses à cracher leurs jets d’eau sur les allées jonchées de feuilles de salade en lambeaux, de fruits abîmés, de cagettes éventrées.
Chaque fois qu’il traverse le boulevard pour glaner sa nourriture, Bruno prend bien soin de vérifier que son père n’est pas au volant d’un de ses engins. Il ne tient pas à se retrouver face à celui qui l’a
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