Rock and Folk

Discographisme_54

“Parklife”

Blur

Première parution: 1994

Dominé par le grunge US, le rock anglais a perdu de sa superbe en cette amorce des années 1990. Aussi, la presse britannique est-elle prête à s’emballer pour n’importe quel groupe qui osera réactiver la flamme de la parenthèse enchantée du Swinging London ou du glam, comme l’a laissé espérer Suede. Mais dès son deuxième album, la sensation des Brit Awards 1991 renonce à incarner l’ambition nationaliste espérée par les médias. Reste désormais à trouver des groupes capables de tenir la dragée”, déclare Damon Albarn, devenu définitivement maître de la formule marketing. L’album est suffisamment salué par la critique pour mettre en orbite le groupe et alimenter l’ambition du chanteur. Le prochain album sera le bon, à l’image du single avant-coureur, “Girls And Boys” qui se place dans le Top 5 des charts dès sa sortie en mars 1994. C’est clair, Albarn a bossé sa formule musicale. Désormais, la dernière pierre à l’édifice, la pochette, devient, avec le titre, cruciale! “London” est la première proposition. C’est simple, direct et annonce la couleur d’un groupe qui revendique son identité, avec, peut-être, un manque de nuance. Néanmoins, Stylorouge, l’atelier graphique déjà responsable des deux premiers opus, dépêche trois photographes qui mitraillent la capitale durant un week-end. Le résultat est peu emballant, le a quelques difficultés à émerger, d’autant que le titre pourrait être “Soft Porn”. Désappointement et solitude créative. Puis, Albarn écrit “Parklife” et décide que ce sera le titre de l’album. Si la chanson raconte les journées d’un chômeur qui glande dans les rues, observant avec cynisme la vie des autres, il serait malvenu de proposer une métaphore de cette vie restreinte. Stylorouge empile les propositions comme la calandre chromée d’une Rolls-Royce dont la partie supérieure reflète l’Union Jack; la fanfare des gardes de la Reine défilant devant le palais de Buckingham ou une fausse pub façon seventies pour une tenue de tennis. L’idée maîtresse est d’incarner cette fameuse “britannicité”, mais rien n’emballe Albarn, qui trouve ces visuels mous. Devant le pataugeage généralisé, Albarn donne rendez-vous au staff créatif devant une échoppe de paris sportifs, William Hill, sur King’s Road, vers Chelsea. En Angleterre, on ne parie pas uniquement sur les chevaux ou le foot, mais sur tout. Cette vision synoptique de la Grande-Bretagne des pauvres jouant pour améliorer leurs fins de mois ou tuer un temps qu’ils n’arrivent pas à combler par un emploi est le concept recherché et signifiant. Reste à trouver le bon cheval, et ce sera une course de lévriers. Stylorouge achète un visuel dans une banque d’images. La photo d’origine est signée Bob Thomas et a été prise au Walthamstow Stadium, dans le grand Est de Londres. Le cliché est recadré de façon à resserrer l’image sur la gueule muselée des deux chiens en plein effort. Albarn tient enfin son concept ultra-britannique de férocité et de vanité. Des jours passés aux courses, quelle belle métaphore de la vie sous l’ère thatchérienne, entre marasme et divertissement pascalien. Avec “Parklife”, directement n°1 à sa sortie en avril 1994, Blur règne pleinement sur la brit pop sans prêter attention à un petit groupe de Manchester qui vient de publier son premier single, “Supersonic”. En effet, Albarn et sa bande, aveuglés sans doute par le plein de confiance, ont oublié une dimension à cette image, la plus littérale, la plus évidente: la mise en scène d’une rivalité violente et sans pitié entre deux chiens, crocs dehors et yeux enragés. Cette menace va rapidement prendre corps sous le nom d’Oasis. Et les frères Gallagher vont devenir l’autre versant de cette anglicité, plus simple, plus directe et sans cynisme. A trop chercher les seconds degrés, on oublie quelquefois l’évidence des images.

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