Rock and Folk

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“Definitely Maybe”

Oasis

Première parution: 30 août 1994

Début 1990, l’arrivée d’Oasis apporte une éclaircie salutaire dans un univers rock dépressif incarné par le grunge provenant majoritairement des Etats-Unis. Devancés de peu sur la scène anglaise par Suede et Blur, Oasis magnifie les prétentions de ses prédécesseurs en se présentant très modestement comme les nouveaux Beatles et Stones réunis. Leur premier single, “Supersonic”, publié en avril 1994, impressionne tout autant que leurs interviews, pleines d’assurance, voire de morgue, pour de ne pas dire de haine, à l’égard des autres groupes, notamment de Blur (on”). Quant à leurs pochettes, y compris celles des singles, elles sont à l’image de leurs intentions et, dans une certaine mesure, de leur suffisance. Pour celle de leur premier album, “Definitely Maybe”, Oasis fait appel à Michael Spencer Jones, photographe de l’ensemble des pochettes de leurs premiers singles. Le tropisme beatlesmaniac du groupe oriente la vision esthétique de Noel Gallagher qui a en tête la photo du verso de “A Collection Of Beatles Oldies… But Goldies!”. Prise sur le vif par Robert Whitaker dans leur suite de l’hôtel Hilton de Tokyo, elle saisit les Beatlesen kimono discutant dans un nuage de fumée assis autour de tables basses. John tourne la tête s’adressant à Paul, Ringo penché vers le sol est à peine plus visible alors que George, lunettes rondes aux verres teintés, regarde hors champ. Cette photo absolument anticommerciale respire la banalité, mais est magique par la coolitude qui s’en dégage. Le brief très vague du projet interroge le photographe. En dehors de parodier le cliché des Beatles, il se demande ce que vont bien pouvoir faire les membres du groupe autour d’une table. Un repas, une partie de cartes, une séance de spiritisme? Réunis dans la maison du guitariste, Paul “Bonehead” Arthurs, au 8 Stratford Avenue, à Didsbury, banlieue de Manchester, Spencer Jones abandonne la pose autour d’une table et choisit instantanément le salon pour sa large fenêtre et sa lumière irradiant la pièce. Chacun est invité à y déposer un objet signifiant. Dans ce bric-à-brac hautement symbolique se dégage le portrait de Burt Bacharach sur la gauche posé contre le canapé, comme un totem. Intérieur de la pochette double de l’album “Portrait In Music”, il représente un hommage particulier et étonnant de la part de Noel car Burt Bacharach est considéré, à ce moment-là, comme un faiseur de chansons pop un peu ringardes. C’est bien avant le film hommage aux sixties “Austin Power” (1997) dans lequel Bacharach chante et joue son propre rôle, puis la collaboration avec Elvis Costello sur “Painted From Memory” (1998) qui scelleront la réhabilitation du compositeur américain. Deux photos de footballeurs emblématiques, George Best, accrochée à la fenêtre et Rodney Marsh, posée devant la cheminée, marquent l’attachement du groupe pour le ballon rond, et notamment pour les clubs de Manchester, United (Bonehead) et surtout City (les frères Gallagher et le bassiste Paul McGuigan). Outre le flamant rose apporté par Bonehead, un paquet de Benson & Hedges et des verres de vin (remplaçant les canettes de Red Stripe, bière préférée du groupe, mais écartée pour éviter le placement de produit) complètent la collection. Il faut ajouter une mappemonde géante gonflable soumise par un roadie et adoptée — on imagine — immédiatement par le groupe y voyant leur prochaine hégémonie mondiale. En guise d’occupation, Noel, Epiphone EJ-200 en main, et ses trois musiciens regardent sur une petite télévision Le Bon, La Brute Et Le Truand” de Sergio Leone, film culte de Noel. Seul Liam échappe à cette mise en scène quand même un peu factice. Allongé et scrutant le plafond, il semble au-dessus de tout ça; sans doute, est-il devenu l’objet même de son propre culte. Il faut avouer que dans cette scène de la vie quotidienne de cinq garçons dans le vent, seule la posture de Liam sauve le cliché de l’extrême banalité qui, à la différence de l’image référence des Beatles, évoque un après-midi de glande et d’ennui profond. Après tout, Liam n’a cessé d’affirmer dans les interviews son rêve d’être une “Rock ‘N’ Roll Star”, morceau ouvrant l’album, c’est donc à lui que revient le rôle d’être différent et d’apporter de la distinction. Les murs jaunes, renvoyant une lumière pâle, créent une ambiance chaleureuse et presque solaire, bien loin des ambiances sombres (“New Wave”, The Auteurs; “Dog Man Star”, Suede…) ou arty maniérées (“Suede”, Suede; “Leisure”, Blur…) des albums de leurs concurrents. Mais le plus important dans la démarche esthétique d’Oasis, c’est ce désir d’afficher en permanence des références culturelles grand public (foot, cinéma et pop), et de s’inscrire dans la grande histoire de la pop anglaise comme des héritiers naturels et légitimes. Du reste, Oasis ne manquera jamais une occasion de s’affirmer comme tel, que ce soit dans les interviews, les chansons, et bien évidemment sur les pochettes, singles inclus. Ainsi, pour le troisième single extrait de “Definitely Maybe”, c’est une photo de la maison d’enfance de John Lennon sur Menlove Avenue à Liverpool qui orne “Live Forever”. Cette réappropriation des sixties n’est pas un phénomène unique et propre à Oasis. Ce mouvement est partagé par de nombreux groupes dont Blur, mais également par la société où la nostalgie du Swinging London bat son plein. Dans ce contexte identitaire, Oasis réhabilitera la culture lad, pilier de pubs principalement consommateur de foot, de filles et de bière, toujours prêt à en découdre et à faire la fête, un tantinet sexiste et homophobe, mais aussi flambeur et autodestructeur. A ce petit jeu, les frères Gallagher cochant sans aucun problème toutes les cases reproduiront jusqu’à satiété cette attitude quel que soit le support.

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