L’impossible amour
La salle bruissait d’un murmure feutré quand apparut le commissaire-priseur talonné par son assistant. Aussitôt, les conversations demeurèrent en suspens tandis que les silhouettes se redressaient sur leurs sièges. Assise près de son associée, Elsa Estevan sentit les battements de son cœur s’accélérer. Cette fois, on y était! Les dernières toiles d’Anna Foscari, l’artiste romaine, décédée quatorze mois plus tôt, allaient être dispersées. Il y avait là tout le gratin international des collectionneurs. Mécontents d’avoir vu l’œuvre majeure de l’artiste leur passer sous le nez au profit de nombreux musées, ainsi que l’avait notifié Anna dans son testament, précisant quelles toiles seraient attribuées à tels destinataires, ces derniers piaffaient à la pensée d’avoir encore une chance d’emporter chez eux les rares jalons restants.
Quelques semaines plus tôt, l’annonce selon laquelle le contenu de l’atelier romain de la défunte allait être mis aux enchères avait soulevé une vague d’enthousiasme au sein de la communauté des marchands d’art, parmi lesquels figurait Elsa. Dans l’instant qui avait suivi cette nouvelle, la jeune femme avait pris les dispositions nécessaires afin d’effectuer un aller-retour à Rome en compagnie de Catherine Vans, son associée et amie. Deux jours sur place seraient suffisants, avait-elle décidé. Il n’était pas question de laisser plus longtemps la galerie à la surveillance de leur jeune assistante. Bien sûr, Catherine aurait pu demeurer à Paris le temps de la transaction, mais cela n’aurait pas été juste envers elle, d’autant que, Elsa le savait, son associée nourrissait une véritable passion pour l’œuvre d’Anna Foscari. Il n’était d’ailleurs pas exclu que Catherine enchérisse pour son propre compte. Elsa la savait suffisamment à l’aise financièrement pour se permettre un tel plaisir.
Quoi qu’il en soit, elles se trouvaient à présent toutes deux assises au troisième rang, prêtes à admirer le premier tableau mis aux enchères: une vue du port de Naples, dont l’assistant s’apprêtait à soulever l’étoffe qui la dissimulait encore aux yeux des futurs acheteurs.
La mise à prix frisait déjà l’indécence, songea Elsa en entendant le commissaire-priseur énoncer un montant astronomique. Toutefois, la salle s’animait et, très vite, les prix gonflèrent comme une voile poussée par le vent. Près d’elle, Catherine rongeait son frein, visiblement peu séduite par ce paysage maritime. Quant à Elsa, elle se refusait à s’embarquer dans une acquisition de cet ordre. Les grands formats ne l’intéressaient pas. Des toiles aux dimensions plus modestes se revendraient plus
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