Diapason

Les poètes parlent

Auer / Bach / Benda / Bernstein Brahms / Braunfels / Buffardin / Bull / Caix d’Hervelois Charpentier / Chopin / Chostakovitch / Cimarosa / Dupré Dutilleux / Fagerlund / Ferneyhough Furtwängler / Gerhard / Gesualdo / Giardini / Goldberg / Gorzanis Greif / Haydn / Husa / Kapoustine Kapralova / Karnavicius / Korngold / Kraus / Lachner / Lekeu Liapounov / Liszt / Monteverdi / Mozart Mozart / Penderecki / Pevernage / Poot Prokofiev / Radigue / Rossini / Saint-Saëns / Schubert Schubert / Schumann / Stanczyk / Standford Schumann / Storace / Strauss / Tchaïkovski / Venturini / Verdi / Vieuxtemps Vivaldi / Weinberg / Wolf-Ferrari / Ye Récitals

Près de trois cents lieder, à une ou plusieurs voix. Manquent quelques essais de jeunesse, présents dans l’intégrale Hyperion accomplie par Graham Johnson, qui épousait l’ordre chronologique avec une vingtaine de chanteurs. Or la somme voulue par Christian Gerhaher – il s’y taille la part du lion, schumannien invétéré « comme d’autres sont wagnériens » – donne chaque opus dans sa continuité, en marquant clairement les deux pôles du corpus: la floraison insensée de 1840 pour les six premiers disques, puis les compositions tardives (1849-1852), souvent plus radicales.

Panorama neuf: l’intégrité de chaque groupe fait mieux sentir la pensée poétique de Schumann. L’Opus 98a, alternant les figures du Wilhelm Meister, commence (Kennst du das Land) où s’achève l’Album pour la jeunesse, idéalement partagé entre Gerhaher et Christina Landshammer. Replacer Der arme Peter dans le sillage de Blondel et de Loreley (Opus 53) décuple son effet. La terrible Löwenbraut ouvre une série différenciée sur la répétition (Opus 31), jusqu’à Die rote Hanne et son refrain rendu à un quatuor de solistes.

Paysage mental

On retrouve deux albums déjà parus en 2019 (« Frage » et « Myrthen » avec Camilla Tilling, cf. no 676 et 685), les Opus 39, 40 et 36 provenant du génial « Melancholie » (RCA, 2007). Mais du premier Schumann de Gerhaher (2004) ne subsistent que Belsatsar et Löwenbraut: voici un nouveau Dichterliebe et, pour couronner le tout, un nouvel Opus 90 (clos par Requiem), tous deux caractéristiques de l’évolution du baryton, accusant la précision élocutoire (le verbe commande), l’intériorisation des nuances au bord du silence, l’ascèse de la ligne. Le remake du sublime Einsiedler de 2007 sonne moins sombre et plein, plus ramassé dans la dynamique, mais encore plus recueilli.

La décantation des grands Heine (Opus 24 et 48) estompe l’élan juvénile dans un paysage mental comme abstrait du monde. Mais quelle force d’étrangeté, d’onirisme, dans cette économie! La science de la mezza voce, de la voix mixte, porte une vision hors pair. Dans Mit Myrten und Rosen, Abends am Strande ou Mein Wagen rollet langsam, conduite et fin stupéfient, et plus encore l’interprétation des lieder tardifs, épiphanies secrètes (Opus 90 et 96 en tête) où s’entend l’exploration par Schumann d’une déclamation nouvelle (Opus 89). Cependant le relief ni le caractère ni le sourire ne manquent à l’Hidalgo, aux chants de hussards (Opus 117). La diversité d’humeurs est bien là (Opus 119 et 127), avec une récitation fantastique, terrassante, dans les ballades (Le Gant de Schiller, dernière venue).

Gerold Huber ravit partout, en interaction intime et à égalité vraiment avec la voix, conjuguant comme son alter ego rigueur et imagination. Cet art souverain de timbrer, de phraser, ne sacrifie jamais la netteté rythmique. Quant aux autres chanteurs, Sibylla Rubens peine certes dans Frühlingsliebe, et le Spanisches Liederspiel à quatre est moins réussi qu’un Minnespiel épatant, mais bénie soit Julia Kleiter: tenue et lumière, sensibilité absolument juste (Frauenliebe), elle touche au coeur de Mignon ou de Philine, prodiguant autant de beautés harmonieuses en duo (avec l’opulent mezzo de Wiebke Lehmkuhl) ou en trio féminin (Opus 114). Un ensemble indispensable (notices en allemand et anglais, poèmes non traduits).

Jean-Philippe Grosperrin

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LEOPOLD AUER

1845-1930

Rhapsodie hongroise. Deux rêveries. Tarentelle de concert. SEVCIK: Sept danses bohémiennes op. 10.

Mauro Tortorelli (violon), Angela Meduso (piano).

Brilliant. Ø 2019-2020. TT: 1 h 02’.

TECHNIQUE: 3/5

Voici réunies pour la première fois les principales compositions de deux illustres pédagogues du violon. C’est en 1868, à l’âge de vingttrois ans, que Leopold Auer succède à Henryk Wieniawski au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, où durant un demi-siècle il va exercer une influence considérable sur plusieurs générations de violonistes venus du monde entier. Il y engendrera la plus extraordinaire lignée de virtuoses au XXe siècle, parmi lesquels Zimbalist, Elman, Heifetz, Milstein ou Seidel. Outre plusieurs ouvrages didactiques, et de remarquables cadences pour les concertos de Beethoven et de Brahms, on lui doit quelques pièces originales. Sa Rhapsodie hongroise, sans doute la plus ambitieuse, mêle charme et haute virtuosité dans une atmosphère Mitteleuropa, qui rappelle souvent les célèbres danses hongroises de Brahms. On se laissera encore captiver par le lyrisme capiteux de ses deux Rêveries, dans le pur style des pièces de salon de la fin du XIXe siècle, tandis que sa Tarentelle de concert impose à l’interprète de périlleuses acrobaties de main gauche comme d’archet, témoignant d’une filiation directe avec Wieniawski ou Paganini.

Otakar Sevcik (1852-1934), considéré comme le père de l’école tchèque, enseigna quant à lui à partir de 1875 successivement à Kiev, Prague et Vienne, puis à partir de 1920 aux Etats-Unis et à Londres, où il se forgea une réputation de pédagogue tyrannique. Parmi ses élèves citons Jan Kubelik, Erica Morini, Jaroslav Kocian ou Wolfgang Schneiderhan. A côtés d’Etudes si fondamentales qu’elles sont toujours enseignées dans les conservatoires du monde entier, il laisse une série de six Danses bohémiennes datant de sa période russe (1875-1892), qu’il complétera par une septième en 1928. Energiques, pleines de fantaisie et techniquement très exigeantes, elles puisent leur inspiration dans le folklore tchèque, faisant alterner mélodies mélancoliques et danses entraînantes.

Autant de périls qu’affronte avec maîtrise et bravoure le violoniste italien Mauro Tortorelli, qui fait état d’une intonation très sûre et d’une généreuse sonorité sur un instrument tchèque du XIXe siècle autrefois entre les mains de Pina Carmirelli. Spécialisé dans la redécouverte du patrimoine musical italien – on se souvient de son album consacré à Camillo Sivori (cf. no 610) – le duo qu’il forme avec la pianiste Angela Meluso démontre audace et brio dans ces pages totalement méconnues.

Jean-Michel Molkhou

CARL PHILIPP EMANUEL BACH

1714-1788

Quatuors pour clavier, flûte et alto Wq 93-95. Transcriptions de l’Adagio de la Sonate Wq 48/6, de l’Andante con tenerezza de la Sonate Wq 65/32.

Nevermind.

Alpha. Ø 2020. TT: 57’.

TECHNIQUE: 3,5/5

A l’instar du Concerto pour clavecin et pianoforte Wq 47, les Quatuors Wq 93-95 de Carl Philipp Emanuel Bach ont été composés durant la dernière année de sa vie. Outre leur distribution inhabituelle (flûte, alto, clavier, auxquels s’ajoute ici une basse d’archet à la pertinence discutable), ils ont la particularité de voir se succéder un mouvement de tempo modéré, un plus lent puis un très rapide, qui entraînent l’auditeur dans le flux imprévisible des passions. L’équilibre entre les voix, la continuité du propos malgré silences et bifurcations ancrent ces pages dans un classicisme aux frémissements parfois préromantiques.

Le choix, majoritaire dans la discographie, du pianoforte par les interprètes, renforce cette impression. Nevermind lui préfère néanmoins le clavecin: Jean Rondeau y fait jaillir les étincelles dont on le sait capable. Distinguons à ses côtés la flûte aimable, sensible, d’Anna Besson, et la vocalité de l’alto de Louis Creac’h. Tous optent pour une touche légère et une palette raffinée qui confèrent aux finales un irrésistible allant (Presto du Wq 95). L’énergie sans nervosité, le rebond, les dialogues conduits avec aisance contribuent à un sentiment de clarté et de naturel (Allegretto du Wq 94). Les mouvements médians gagneraient en revanche à davantage de profondeur expressive; si l’Adagio du Wq 95 diffuse la mélancolie attendue, on oublie le Sehr langsam du Wq 94 sitôt achevé. Le disque déjà ancien des Adieux (DHM, 1988) s’en tenait à une formation en trio (Staier, Hazelzet, Bäss); ses choix agogiques plus audacieux (dans l’Andantino du Wq 93, par exemple), apportaient à ce recueil une nostalgie souriante dont le temps n’a pas dissipé le charme.

Jean-Christophe Pucek

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Cantates BWV 51 et 199. Aria BWV 487 (extraits). Cantate BWV 146 (Sinfonia). HANDEL: extraits de la Brockes Passion, Giulio Cesare in Egitto, d’Il Trionfo del Tempo e del Disinganno.

Sabine Devieilhe (soprano), Stéphane Degout (baryton), Pygmalion, Raphaël Pichon.

Erato. Ø 2020. TT: 1 h 23’.

TECHNIQUE: 4/5

Saluons d’abord un orchestre conduit avec fermeté, précis, capable de moments de bravoure (la Sinfonia de la BWV 146, en dépit de l’emploi d’un positif sous-dimensionné) comme de poésie (« Tu del Ciel ministro eletto » d’Il trionfo del Tempo e del Disinganno). Saluons, bien sûr, la voix de Sabine Devieilhe. Forte d’une sûreté technique évidente, son aisance dans tous les registres lui permet d’épouser la jubilation cuivrée de Jauchzet Gott in allen Landen dont les envolées virtuoses sont rendues avec éclat (Alleluja final); on aurait néanmoins souhaité qu’un peu de ferveur vînt soutenir la prouesse. Donnée dans sa version de Coethen (ca. 1720), Mein Herze schwimmt im Blut réserve de jolis moments malgré un allemand perfectible (« Stumme Seufzer »). Eblouie par l’étendue de ses moyens, la soprano reste étrangère à la tension spirituelle qui traverse cette cantate: nulle détresse dans le récitatif initial, nulle douleur dans l’aria qui suit, malgré la plainte émouvante du hautbois; tout est en place, mais étale.

Les incursions dans les pages en italien de Handel sont plus probantes. Sans atteindre l’incandescence de la Cléopâtre de Kozena chez Minkowski (Archiv, 2003), « Se pietà » et « Piangerò » distillent une émotion palpable qui, alliée au timbre à la fois solaire et sensuel, parle au coeur. Ces qualités sauront combler un public plus soucieux de la beauté plastique que du message des oeuvres. Les autres retourneront, par exemple, à Kirkby/Gardiner (Philips) dans la BWV 51, et Bonney/Harnoncourt (Warner) ou Kozena/Gardiner (SDG) dans la BWV 199.

Jean-Christophe Pucek

Partitas BWV 825, 826, 830.

Evgeni Koroliov (piano). Tacet (2 CD). Ø 2019, 2020. TT: 1 h 22’.

TECHNIQUE: 3/5

Partita BWV 825. Fantaisie chromatique et fugue BWV 903. Le Clavier bien tempéré, Livre I (extraits). Concerto italien BWV 971. Fantaisie et fugue BWV 944. BACH/SILOTI: Prélude BWV 855a.

Hélène Tysman (piano) Klarthe. Ø 2019. TT: 1 h 12’.

TECHNIQUE: 3,5/5

La Partita no 1 est bien la seule chose qu’ont en commun ces deux visions diamétralement opposées de Bach au piano: l’une tout en concentration, l’autre en maniérismes.

Chez Evgeni Koroliov, la suite de danses baroque s’est éloignée de la salle de bal comme du salon pour s’en aller vers la chapelle. Savourée (ou méditée) à des tempos qu’on pourra dire de sénateur, chaque partita trouve ici un cheminement spirituel. Le refus des extrêmes, la pédale parcimonieuse voire absente, un contrôle aussi absolu de la polyphonie et de l’agogique pourraient signifier de la raideur ou de la froideur. Non pas. Tout au contraire, quoique guère accentuée, la vie métrique est bien là, et même à la française quand il le faut, et avec même des agréments ajoutés, jamais gratuits, toujours organiquement intégrés au discours et prenant leur juste part à une rhétorique dont le registre est sans conteste l’élégiaque.

Rien de cette cohérence ni de cette intériorité dans le « Prisme Bach » d’Hélène Tysman, naguère finaliste au Concours Chopin de Varsovie. Sa recherche de « recréation/récréation » dit privilégier l’improvisation, mais ne vous y trompez pas: chacun de ses grands airs ou de ses petites manières est soigneusement calculé, depuis une Fantaisie chromatique noyée dans le moindre arpège jusqu’au délire ornemental des reprises de la Partita no 1. Une sensationnelle indépendance digitale dégage çà une note, là un motif, dans une vision traditionnelle de la fugue où seule importe la suite d’entrées du sujet, tout le reste dans l’ombre. Nulle rhétorique ici, mais un happening où alternent prostrations et gesticulations, chuchotis et éclats de voix; une page grise où, dispersées, des lettres noires ne constituent pour le lecteur ni des phrases ni même des mots.

Virtuose, peut-être: mais il suffit de comparer les deux courantes de la BWV 825 pour voir où réside la vraie bravura, qui ne se confond pas avec la rodomontade.

Paul de Louit

Les Sonates et Partitas pour violon seul BWV 1001-1006.

Tedi Papavrami (violon). Alpha (2 CD). Ø 2020. TT: 2 h 18’.

TECHNIQUE: 4/5

Tedi Papavrami n’est pas le premier violoniste à éprouver le besoin de revenir sur son interprétation des Sonates et Partitas. Menuhin, Milstein et Szeryng avant lui, mais aussi plus récemment Kremer, Grimal, Zehetmair ou encore Tetzlaff avaient déjà relevé le défi d’une seconde vision de ce sommet de la littérature pour violon seul. En regard de son enregistrement de 2004, ivre de liberté et imprégné de son admiration pour les versions de ses aînés (Milstein et Mintz), le nouveau témoigne d’une profonde métamorphose de sa lecture du cycle.

Radicale en tous points, l’évolution s’est faite vers une conception baroque, dans l’articulation comme dans la sonorité, l’utilisation rare du vibrato ou le dépouillement expressif. Sans pour autant faire le choix d’un instrument ancien (il joue un violon moderne signé Christian Bayon) et d’un archet baroque (ici un Persoit de 1830), Papavrami atteste une farouche volonté d’épurer le texte par une économie de moyens, visant l’ascèse, pour en livrer la nature brute.

Usant d’une virtuosité ciselée (Double II de la BWV 1002), jamais démonstrative, et d’une intonation naturelle, il offre des timbres d’une homogénéité rare, dont les éclats les plus brillants ont été intentionnellement gommés. De cet ensemble magistralement conduit, esthétiquement pur et non dogmatique émane néanmoins une teinte souvent plus nostalgique qu’enjouée, voire plaintive (Allemande de la BWV 1004, Largo de la BWV 1005, Loure de la BWV 1006), et ce même dans les Partitas, d’ordinaire plus souriantes que les Sonates.

Dans une acoustique idéale, sans réverbération déplacée, on est sensible à la poésie qu’il distille, on admire le niveau d’exigence, notamment dans les trois fugues, ou encore la dimension mystique dont il habite certains mouvements (Andante de la BWV 1003, Adagio de la BWV 1005). Malgré la maîtrise, d’archet comme de main gauche, l’élégance d’articulation (Gigue de la BWV 1004, Preludio de la BWV 1006), la solidité d’architecture (Chaconne de la BWV 1004) ou la précision métrique, il manque toutefois à cette vision d’une profonde humilité – miroir de l’âme de son interprète – les sourires et la joie de vivre de sa première gravure pour nous combler tout à fait.

Jean-Michel Molkhou

GEORG BENDA

1722-1795

Concertos pour piano en fa mineur, en sol mineur, en sol majeur et en si mineur.

Hyperion. Ø 2020.

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