Diapason

LES 160 DU MOIS CRITIQUES

en studio

• Les créatrices demeurent encore trop en retrait de la vie musicale et discographique ? Laurence Equilbey et son Insula Orchestra prennent fait et cause en enregistrant les Symphonies nos 1 et 3 de Louise Farrenc pour Erato.

• Alexander Melnikov a jonglé entre Stravinsky, avec Isabelle Faust pour l’Histoire du soldat et le Grand Duo concertant, et Brahms, pour un Concerto no 1 avec Ivor Bolton (Harmonia Mundi).

• Brahms attirait également Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel : les deux sonates pour violoncelle sont en boîte (HM).

• Les Vents français et l’Orchestre de chambre de Paris entourent la traversière d’Emmanuel Pahud dans un « Mozart and Flute in Paris » qui navigue jusqu’à Hersant, en passant par Fauré, Saint-Saëns, Poulenc et Chaminade (Warner).

Bertrand Cuiller poursuit son aventure Couperin pour HM avec un troisième volume intitulé « Etre au roi ». Autre suite attendue, celle des symphonies de Haydn par Giovanni Antonini arrive sous étiquette Alpha. Au menu, « Les Heures du jour ».

• C comme Chopin pour les pianistes Jan Lisiecki (Nocturnes) et Seong Jin Cho (Concerto no 2 et Scherzos), mais aussi C comme « Cello Unlimited » : celui du jeune et prodigieux violoncelliste Kian Soltani. Les trois sont à guetter chez DG.

Véronique Gens revient à ses premières amours avec une anthologie d’opéra baroque français en compagnie de l’ensemble Les Surprises (Alpha).

• Côté opéra français toujours, Les Ombres ont déniché une Sémiramis inédite de Destouches (CVS), tandis que La Princesse jaune de Saint-Saëns réunissait Judith Van Wanroij et Mathias Vidal au Capitole de Toulouse, dirigés par Leo Hussain (Bru Zane).

THOMAS AGERFELDT OLESEN NÉ EN 1969

YYYYY Der Wind bläset wo er will. Concerto pour violoncelle.

Johannes Moser (violoncelle), Orchestre symphonique national danois, Otto Tausk.

Da Capo. Ø 2019 et 2017. TT : 49’.

TECHNIQUE : 4/5

Dès son introduction habilement « atmosphérique » – arabesques et fusées incisives des vents, cordes éthérées ou stratosphériques, rafales de percussion sur fond de contrebasses jazzy –, Der Wind bläset wo er will (Le vent souffle où il veut, 2011) semble nous entraîner vers une sorte de poème symphonique alla Richard Strauss, tout en utilisant les techniques d’écriture les plus actuelles. Une mélodie sombre et sinistre aux cordes préfigure une transition vers des passages plus brefs, plus différenciés, quoiqu’à l’ordonnance aussi arbitraire : la direction du vent est toujours inconnue, imprévisible.

Violoncelliste et ancien élève en écriture de Gorecki, Sørensen, Ruders et Rasmussen, le Danois Thomas Agerfeldt Olesen trompe son monde. Admirateur de Berg comme de Lutoslawski, nostalgique sans excès d’une certaine harmonie tonale, il sait fusionner humour et sérieux pour s’affranchir des conventions. D’un seul mouvement mais articulée en cinq phases, sa pièce orchestrale abonde en contrastes, en ruptures de climat favorisant l’expression rhapsodique, même si ce néoromantisme luxuriant se conclut par une touche mélancolique, où la musique paraît d’un coup contrainte d’évoluer au ralenti.

D’une plus grande continuité dynamique et architecturale, le Concerto pour violoncelle (2014-2016), écrit à la mémoire de la mère du compositeur, est lui aussi d’un seul tenant mais clairement quadripartite. C’est une des meilleures partitions et des plus personnelles d’Agerfeldt Olesen. Johannes Moser en donne une interprétation magnifique d’engagement, d’élan et de ferveur. D’abord discrète, la partie orchestrale s’accentue jusqu’au drame, puis le discours redevient tour à tour chambriste, âpre ou puissamment lumineux. Clairs-obscurs, inflexions subtiles, variété des textures : les troisième et quatrième sections sont les plus surprenantes et riches d’invention (avec de lointaines réminiscences de la musique de Nørgard). Dans l’émouvant Poco più mosso final, le matériau initial, avec ses gammes ascendantes et descendantes, tend vers l’épure, comme empreint de mystère. Patrick Szersnovicz

ANTTI AUVINEN NÉ EN 1974

YYYYJunker Twist. Himmel Punk. Turbo Aria.

Orchestre symphonique de la Radio finlandaise, Hannu Lintu.

Ondine. Ø 2016 à 2018. TT : 46’.

TECHNIQUE : 4/5

Ne cherchez pas chez Antti Auvinen une esthétique sibélienne (textures polyphoniques, clarté harmonique) comme on en trouve chez d’autres compositeurs de sa génération. Formé principalement hors de sa Finlande natale, il parle un tout autre langage. Pièce la plus turbulente du programme, Junker Twist (2015) fait la part belle aux percussions et à leur capacité à pressuriser les impacts comme à élever le niveau acoustique de crête. Leur utilisation conjointe avec le piano pourrait rappeler Stravinsky, dans une déclinaison survitaminée. Cette substance volcanique n’est pas sans nous évoquer Kraft de l’aîné Magnus Lindberg. Les forces de la Radio finlandaise y fournissent toute la puissance requise en évitant l’effet fanfare, et Hannu Lintu tend à bloc une musique qui ne supporterait pas la demi-mesure.

Même propension aux attaques musclées et aux cuivres rageurs dans Himmel Punk (2016), que contrebalancent deux éclaircies successives, faites de cordes célestes, de harpes et de carillons à l’éclat immaculé. Son harmonie rassérénée et parfaitement consonante sied tout autant à l’orchestre finlandais.

Là où l’utilisation d’un clavier numérique pour déclencher des échantillons pourrait facilement tourner à l’anecdotique, Auvinen tire astucieusement son épingle du jeu. Sa Turbo Aria (2017-2018) prend pour matière première des disques historiques de trois sopranos finlandaises. Il réussit à les intégrer à la trame orchestrale sans renoncer à les manipuler, tirant même parti des bruits de surface. Cet alliage d’histoire patrimoniale, d’émotion libérée des sillons et d’électronique vintage traitée avec des moyens modernes se cristallise en une œuvre pas banale. Pierre Rigaudière

PEDRO ANTONIO AVONDANO 1714-1782

Y Y Il mondo della luna.

Fernando Guimaraes (Ecclitico), Luis Rodrigues (Buona Fede), Joao Pedro Cabral (Ernest), Joao Fernandes (Cecco), Susana Gaspar (Clarice), Carla Caramujo (Flaminia), Carla Simoes (Lisetta), Os Musicos do Tejo, Marcos Magalhaes.

Naxos (2 CD). Ø 2017. TT : 2 h 17’.

TECHNIQUE : 3/5

Le titre vous dit quelque chose, c’est normal : le dramma giocoso de Goldoni a connu pas moins de sept autres mises en musique, dont celles, plus fameuses, de Galuppi, Paisiello et Haydn. Fallait-il déterrer la partition élaborée en 1765 par Avondano, obscur compositeur lisboète d’origine génoise ? Rien n’est moins sûr, tant nous afflige cette litanie de formules stéréotypées, ces mélodies sans saveur, ces harmonies convenues.

L’interprétation n’arrange rien : le disparate et la justesse très relative de l’ensemble portugais rebutent (la Sinfonia initiale vire à la cacophonie), la direction est aussi atone que l’œuvre, et le plateau manque singulièrement d’homogénéité. Fernando Guimaraes, remarqué en Ulisse chez Monteverdi (Linn), a beau mettre son abattage au service de l’astrologue roué, il peine comme tous les autres dans des airs à l’écriture malhabile. Ses comparses masculins se perdent en approximations sans nous arracher un sourire et les trois sopranos minaudent à l’envi, rivalisant d’imprécisions. Par charité, oublions ce pauvre Avondano et retournons au chef-d’œuvre de Haydn (en CD par Dorati et DVD par Harnoncourt) pour enfin rêver et rire à la lune ! Denis Morrier

JOHANN SEBASTIAN BACH 1685-1750

YYYYY Préludes BWV 931, 934, 940. Inventions BWV 773, 775, 784. Sinfonie BWV 788, 790, 799. Le Clavier bien tempéré (Préludes et fugues BWV 865, 889, 851, 875, 847, 871). Fantaisie et fugue BWV 904. Sonate BWV 964. Fantaisie BWV 906. L’Offrande musicale BWV 1079 (Ricercar a tre voci).

Rinaldo Alessandrini (clavecin).

Naïve. Ø 2019. TT : 1 h 19’.

TECHNIQUE : 3/5

Trois Suites imaginaires dans le mode mineur, voilà le carnet de route fixé par Rinaldo Alessandrini pour sa nouvelle incursion soliste au pays de Bach. Avec une liberté calculée, chaque partie du programme progressant du plus simple au plus complexe, le claveciniste cueille Inventions, Sinfonie, extraits du Clavier bien tempéré, miniatures (des « petits préludes ») ou pages plus vastes, pour composer des bouquets dont la parenté d’essence n’est jamais synonyme d’uniformité. On s’émerveille, au contraire, de la variété de formes, de couleurs, de parfums qu’ils nous offrent.

Le Prélude BWV 931, aux intonations françaises, n’est peut-être pas de la main du Cantor ? Qu’importe ; sa brève minute recèle assez de tension et de mélancolie pour que toutes les pièces en la mineur qui le suivent s’y enracinent, la massive Fugue BWV 865 comme les errances chromatiques du Prélude BWV 889 ou le lyrisme intranquille de la Fantaisie et fugue BWV 904, ici restitué avec densité. La Sonate BWV 964 n’est-elle qu’une transcription (par Friedemann ?) de celle pour violon seul BWV 1003 ? Elle vient couronner les étapes en mineur concises, parfois sévères (Invention BWV 775) ou amères (Fugue BWV 875), qui la précèdent : les frémissements de l’Adagio, la coulée impérieuse de l’Allegro fugué, la douceur presque couperinienne de l’Andante, le finale éperdu nous enchantent. Le voyage s’achève en ut mineur, d’une nostalgie délicate – la triade Prélude BWV 934, Invention BWV 773, Sinfonia BWV 788, chantée en retenant ses larmes, touche au cœur – qui s’exacerbe en prenant des teintes plus sombres. Ces dernières culminent dans la Fantaisie BWV 906, parfaite illustration d’un jeu ménageant des irrégularités, des aspérités subtiles qui accrochent la lumière, creusent les ombres, captent l’attention. Les audaces, l’ambiguïté du Ricercar à 3 de L’Offrande musicale constituent un envoi idéal pour ce florilège marqué du sceau d’une autorité sans raideur ; tout finit et recommence avec cette pièce, invitation à réécouter un disque où l’intelligence le dispute à la sensibilité. Jean-Christophe Pucek

YYY Passion selon saint Matthieu.

Patrick Grahl (l’Evangéliste), Peter Harvey (Jésus), Isabel Schicketanz (soprano), Marie Henriette Reinhold (alto), Benedikt Kristjansson (ténor), Kresimir Strazanac (basse), Gaechinger Cantorey, Hans-Christoph Rademann.

Accentus (2 CD). Ø 2020.TT : 2 h 37’.

TECHNIQUE : 4/5

Au moment où la version essentielle de la Passion selon saint Matthieu dirigée par Nikolaus Harnoncourt (Teldec, 2001) reparaît chez Warner, nous arrive la lecture de Hans-Christoph Rademann. Une simple écoute comparée du chœur d’entrée démontre à quel point les deux approches diffèrent : d’un côté, le drame, ses déchirures, son dépassement par l’ultime sacrifice ; de l’autre, une estompe aux volumes dessinés avec précision, pétrie d’humilité, mais si précautionneuse (« O Schmerz! » du bout des lèvres), si désireuse de se placer en observateur plutôt qu’en acteur de l’histoire (les turbae, y compris « Sind Blitze », ne saisissent, ne mordent jamais), qu’elle n’émerge qu’à de rares moments d’une grisaille consensuelle lénifiante.

L’orchestre est propret et le chœur, bien chantant, tire son épingle du jeu, mais les solistes, honnêtes, n’affichent pas une conviction débordante (« Blute nur » maniéré, « Erbarme dich » l’œil sec, « Komm süsses Kreuz » indifférent). Ajoutons un Evangéliste au timbre parfois pincé qui, handicapé par un excès de détachement solennel, peine à faire vivre la narration, le Jésus fatigué de Peter Harvey, et les atouts dont peut se prévaloir cette réalisation bien tenue, mais sans arêtes, s’amincissent, la reléguant bien loin des jalons d’une riche discographie. S’il fallait lui trouver un saint patron, plutôt que Matthieu, ce serait assurément Placide. Jean-Christophe Pucek

YYY « Bach Unbuttoned ». Concerts brandebourgeois BWV 1047, 1049, 1050. Concerto pour flûte et hautbois d’après le BWV 1043. Suite BWV 1067 (Badinerie).

Ana de la Vega (flûte), Ramon Ortega Quero (hautbois), Cyrus Allyar (trompette), Alexander Sitkovetsky (violon), Johannes Berger (clavecin), Württembergisches

Kammerorchester Heilbronn.

Pentatone. Ø 2020. TT : 1 h 02’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Les solistes auraient pu les dissimuler ou les réserver pour les photos du livret, ils exhibent au contraire, non sans fierté, leurs instruments modernes sur la pochette de leur « Bach déboutonné ». Trois Brandebourgeois, une transcription pour flûte et hautbois du Concerto pour deux violons BWV 1043, voilà pour le programme destiné à les faire briller, notamment la flûte qui se voit gratifiée d’un bis : la célèbre Badinerie de la Suite BWV 1067. A l’image de la lecture brillante mais jamais renversante qu’Ana de la Vega en propose, les solistes s’acquittent de leur partie avec un allant, une maîtrise qui n’aboutissent à nul feu d’artifice expressif ; l’Affetuoso du BWV 1050 est sans saveur ni chaleur, l’Andante du BWV 1047, prosaïque. Dans les mouvements rapides, flûte et violon sonnent pourtant avec plénitude, la première non sans narcissisme, le second non sans coquetteries ; la trompette déploie son lustre coruscant, le hautbois, son charme agreste ; le probe clavecin est plus terne, comme le montre sa cadence trop mécanique dans l’Allegro initial du BWV 1050. L’orchestre, dont l’allègement touche hélas aussi les couleurs, livre une prestation solide, parfois trop mesurée : l’Allegro du BWV 1043, empesé, nous ramène cinquante ans en arrière. C’est tout le paradoxe de cette réalisation qui se veut traversée par un vent de nouveauté : les boutons enlevés laissent, en maints endroits, apparaître une peau déjà défraîchie. Jean-Christophe Pucek

LUDWIG VAN BEETHOVEN 1770-1827

YYYY Quatuors avec pianoforte WoO 36.

Van Swieten Society.

Brilliant Classics. Ø 2020. TT : 1 h 06’.

TECHNIQUE : 4/5

Le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven aura été l’occasion de belles (re)découvertes ! Tels ces trois quatuors avec pianoforte écrits par un compositeur de quinze ans, rares au disque, qui plus est dans une interprétation « historiquement informée ». N’en faisons pas mystère : ils n’ont ni l’ampleur ni la consistance des œuvres à venir cinq à dix ans plus tard, mais témoignent d’une empreinte classique, voire , sur le jeune homme. La forme du quatuor avec piano était alors en discret essor : Mozart en laissait deux derrière lui (dont se rapprochent stylistiquement ceux de Beethoven), Hummel allait lui offrir bientôt ses lettres de noblesse… Elle doit peu à Beethoven,

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