Comment les antivaccins ont été contaminés par QAnon
LE SOIR DE NOËL, un pharmacien du Wisconsin a tenté de détruire plus de 500 doses de vaccin contre le coronavirus, parce qu’il craignait que le médicament de Moderna “altère l’ADN”. Quoi? Un professionnel de santé, doté d’une bonne culture scientifique, qui se laisse piéger par ce genre de théories? Dans l’Amérique des années 2020, ce n’est plus surprenant. Ce phénomène, connu sous le nom de “red-pilling” (en référence à une scène de Matrix où le personnage de Keanu Reeves choisit la pilule rouge et découvre les réalités cachées du monde), affecte ceux qui se sont laissés consumer par leur scepticisme autrefois rationnel pour s’embourber dans le conspirationnisme.
Pour la plupart d’entre nous, l’arrivée d’un vaccin sûr et efficace contre la Covid-19 a été synonyme d’espoir. C’est un triomphe médical sans précédent, qui a déjà offert une protection à des millions de personnes fragiles. Mais pour d’autres, la peur des vaccins défie la raison et se fond dans des systèmes de croyances qu’Ethan Zuckerman, ancien directeur au MIT, nomme “l’irréel”: nous serions des pions dans un jeu mondial diabolique dirigé par des élites impitoyables, et les vaccins serviraient à nous injecter des substances pour nous contrôler. “Les inquiétudes sur la dangerosité [des vaccins] ont été absor- bées dans cette autre façon de voir le monde, explique Jack Bratich, professeur à Rutgers. C’est là que QAnon et le mouvement antivaccin se recoupent.” Tôt ou tard, le pays se heurtera à ce mur de résistance qui pourrait empêcher notre retour à “la vie normale”. Selon un sondage de décembre, seuls 60 % des Américains comptent se faire vacciner, et près de 20 % sont catégoriquement contre.
Cependant, l’hésitation face au vaccin repose sur des inquiétudes valables, explique Ashish Jha, médecin et doyen de la School of Public Health, à l’université Brown (Providence, Rhode Island). Les nouveaux vaccins ont-ils été lancés trop insiste Jha. Commençons donc par quelques explications. Si vous avez vu des modélisations du virus Sars-CoV-2, vous savez que sa surface est couverte de protéines S qui forment une “couronne”, laquelle donne leur nom aux coronavirus. Les humains attrapent la Covid-19 lorsque ces protéines percent des cellules saines, permettant au virus d’y pénétrer, de l’infecter et de commencer à se répliquer.
